Notes de lecture - 2006 (Jean-Pierre Voyer) NOTES DE LECTURE – MAI 2006 (Jean-Pierre Voyer)

Notes de lecture – mai 2006

 

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Y a-t-il une différence entre un tout et une collection ?

LA COLLECTION, L’ENSEMBLE ET L’INDIVIDU COLLECTIF   MAJ 01-05-2006

 La véritable invention de l’économie (Fourquet)

C’est un manitou    MAJ  28-03-2006

L’erreur de Marx    MAJ  11-04-2006

Une erreur de Ricardo

Encore un peu de dictionnaire

Un peu d’Adam Smith maintenant

♦ L’économie n’existe pas (ça commence à se savoir)    MAJ 20-04-2006

L’Achat d’obéissance

♦ La prétendue invention de l’économie    MAJ 06-03-2006

Critère de réalité d’un fait social total selon Lévi-Strauss

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Notes de lecture – octobre 2005 Þ

 

 

Y a-t-il une différence entre un tout et une collection ?

Vincent Descombes. « Les Individus collectifs » 1992 (format PDF)
Revue du MAUSS no 18 –2001/2   (format HTML).

    LES INDIVIDUS COLLECTIFS  

 « Dans ce texte, j’essaierai d’articuler quelques raisons philosophiques qui militent en faveur d’une réforme de l’entendement moderne. Dans son article sur la valeur [1983, Essais sur l’individualisme, Paris, Seuil, p. 241, note 34], Louis Dumont déplorait la faiblesse des philosophies contemporaines sur un sujet qu’il leur appartient pourtant d’élucider :

« Si l’on se tourne vers nos philosophies avec cette simple question : quelle est la différence entre un tout et une collection, la plupart sont silencieuses, et lorsqu’elles donnent une réponse, elle a chance d’être superficielle ou mystique comme chez Lukacs. »

Le contexte montre que les philosophies ici visées sont les doctrines néokantiennes ou hégélianisantes. En fait, les hégéliens comme les néo-kantiens ne reconnaissent le problème ici posé que sous les formules de la totalisation et de la coïncidence du sujet et de l’objet. Mais nous ne sommes peut-être pas condamnés à ressasser indéfiniment les apories de l’idéalisme allemand. Rien ne nous oblige à penser toute chose en termes du sujet, de l’objet, de leur opposition et de leur réconciliation éventuelle dans une « totalité » (qui a toute chance d’être « idéale »). Il y a, dans la philosophie d’aujourd’hui, la possibilité d’offrir mieux que des réponses superficielles ou mystiques à la question du statut des individus collectifs.

ONTOLOGIE DES INDIVIDUS POLITIQUES

Y a-t-il une différence entre un tout et une collection, et si oui, quelle est cette différence ? La question peut être posée sur le terrain de la logique. On demandera : y a-t-il une différence (affectant la forme logique) entre une proposition dont le sujet est un tout (par exemple, « Paris ») et une proposition collective dont le sujet, forcément au pluriel, est l’ensemble des parties (par exemple, « les vingt arrondissements de Paris », « les Parisiens ») ? Le problème est de savoir si la différence grammaticale du singulier et du pluriel a également une signification logique. On se demandera donc si le passage du singulier au pluriel est toujours possible, ou bien si nous ne devons pas reconnaître certaines prédications comme ayant pour sujet le tout et non la collection des parties. Paris est la capitale de la France, mais peut-on le dire des vingt arrondissements, ou à plus forte raison des Parisiens ? La question peut aussi être posée sur le terrain de la métaphysique, comme question ontologique (en entendant ici par « métaphysique » l’essai de préciser ce qui correspond in rebus à nos façons de parler et de penser*). On retrouve alors la discussion classique autour de l’axiome « le tout est plus que la somme de ses parties ».

On pourrait croire que ces questions sont trop spéculatives pour avoir une incidence sur la réflexion en sociologie et en théorie politique. En fait, c’est le contraire qui est vrai. Tout raisonnement sur la société et l’État présuppose une certaine ontologie, c’est-à-dire une certaine façon de donner un objet aux concepts mêmes de « société » et d’« État ». Chez les grands penseurs, le moment philosophique devient explicite. Je n’en donnerai qu’un exemple tiré du Contrat social de Rousseau. Dans sa démonstration, il arrive à Rousseau de faire appel à des raisons d’ordre ontologique. Ainsi, il présente un argument contre la doctrine de la représentation du peuple par un souverain individuel :

« Je dis donc que la souveraineté n’étant que l’exercice de la volonté générale ne peut jamais s’aliéner, et que le souverain, qui n’est qu’un être collectif, ne peut être représenté que par lui-même » [livre II, chap. 1; je souligne].

La phrase de Rousseau suppose qu’il y ait moins dans un être collectif que dans un être individuel. Ce n’est d’ailleurs pas assez dire : le collectif n’est pas seulement moins que l’individuel, il n’est en fait rien d’autre que la pluralité des individus. Un être collectif (le souverain) se réduit à plusieurs êtres individuels (les citoyens). Selon cette conception, rien n’est ajouté aux individus quand on les désigne collectivement. Rien sinon la simple représentation de leur réunion en une pluralité. L’unité plurielle visée par des expressions telles que « le peuple », « le souverain », « la volonté générale », est une représentation et non une res. Le peuple n’a donc, à part des citoyens, qu’une pseudo-existence. Un nominaliste contemporain dirait que le peuple ou l’État sont des « réifications »** suscitées par l’emploi des tournures nominalisantes du langage. Rousseau, lui, parle d’une existence « abstraite » ou « de raison ». Dans la première version du Contrat social, il écrivait :

« Il y a donc dans l’État une force commune qui le soutient, une volonté générale qui dirige cette force et c’est l’application de l’une à l’autre qui constitue la souveraineté. Par où l’on voit que le souverain n’est par sa nature qu’une personne morale, qu’il n’a qu’une existence abstraite et collective, et que l’idée qu’on attache à ce mot ne peut être unie à celle d’un simple individu [… ] » [Rousseau, 1984, t. III, p. 294-295; je souligne les termes ontologiques].

Ce texte tient pour équivalents le collectif et l’abstrait. Entre les citoyens et le souverain, il n’y a qu’une différence de raison (faite par l’esprit) : c’est pourquoi le souverain n’a pas d’existence indépendante, sinon par abstraction. Le souverain, étant une personne seulement morale, ne peut pas être cherché ailleurs que dans la pluralité des citoyens qui forment ensemble***, collectivement, le corps politique. Quant à la différence qu’il convient de faire entre une personne naturelle et une personne morale, elle est ici la suivante : la personne naturelle existe et subsiste comme telle par elle-même, alors que la personne morale n’existe qu’en un sens dérivé ou fictif, en vertu d’une convention humaine****. On retrouve ce contraste entre le naturel et le moral dans un fragment sur l’état de guerre :

« Au fond, le corps politique, n’étant qu’une personne morale, n’est qu’un être de raison. Ôtez la convention publique, à l’instant l’état est détruit sans la moindre altération dans ce qui le compose; et jamais toutes les conventions des hommes ne sauraient changer rien dans le Physique des choses » [ ibid., p. 608].

En fait d’ontologie du corps politique, Rousseau est donc tout aussi nominaliste que l’était Hobbes ou que le seront les « individualistes méthodologiques » de nos jours. »

Notes de Heil myself :

*. La question est : qui est une chose, qui n’en est pas. L’économie n’est aucune chose. L’économie a lieu seulement dans une certaine façon de parler du monde.

**. Des hypostases.

***. Non justement : ou bien les citoyens existent ensemble et alors le souverain n’est pas un ensemble mais une collectivité, ou bien le souverain est seulement un ensemble et les citoyens n’existent pas ensemble. Ou bien deux personnes marchent côte à côte par hasard et alors elles ne vont pas ensemble, ou bien elles vont ensemble. Notez que les personnes qui ne vont pas ensemble quoique cheminant côte à côte cheminent dans un savoir.

****. Lewis rend justice à Rousseau dans son ouvrage (en fait non, ce n’est pas lui. Je ne sais plus où j’ai lu ça. En fait : Descombes encore, Le Complément du sujet,  XLII, « Légiférer pour soi-même »). Convention is general conforming. III, 2, Social Contract.

Une forêt n’est pas seulement composée d’arbres.
Il y a beaucoup d’arbres dans une forêt
mais une forêt n’est pas un être collectif pour autant.

Un système, oui ; un système collectif, non.

Les arbres ne sont pas doués de collectivité ni de collectivisation.

Contrairement aux hommes, ils ne peuvent pas vivre ensemble.

Notez encore que l’ensemble des arbres d’une forêt n’est pas une partie de la forêt.
Les branches des arbres, à titre individuel, sont des parties des arbres.
Les arbres, à titre individuel, sont des parties de la forêt.

Mais l’ensemble des arbres n’est pas une partie de la forêt.

 

 

« LA COLLECTION, L’ENSEMBLE ET L’INDIVIDU COLLECTIF »

Vincent Descombes. « Les Individus collectifs » 1992 (format PDF)
Revue du MAUSS no 18 –2001/2   (format HTML).

    LES INDIVIDUS COLLECTIFS  

La leçon qui se dégage de cette discussion est que les individus collectifs – ou encore, les « systèmes réels », par opposition aux « systèmes nominaux » [Dumont, [ 1971] 1988, Introduction à deux théories d’anthropologie sociale, Paris, EHESS, p. 27-28] – [ ou encore totalités conrètes par oppsosition à totalités pensées ] sont des êtres au statut irréprochable, pourvu qu’on prenne soin de ne pas les confondre avec des collections d’individus ou avec des ensembles d’individus.

Pour conclure, il convient de représenter systématiquement les rapports entre ces trois concepts ontologiques : la collection, l’ensemble et l’individu collectif. On peut partir de la distinction entre le singulier et le pluriel, donc de la notion de nombre.

Les choses ne sont pas en un certain nombre sans plus. Elles sont en un certain nombre à être dans un certain cas. Nous obtenons ainsi les deux concepts d’individu et de collection d’individus. Le singulier et le pluriel affectent les attributs (et non les objets). Il n’y a pas d’objet pluriel ou d’objet singulier, mais il y a des attributs communs à plusieurs objets et d’autres attributs qui n’appartiennent qu’à un seul objet. Par exemple, à la question : quels sont les employés de ce ministère qui sont allés au Japon le mois dernier ? la réponse pourra consister : à ne nommer aucun nom si personne n’est dans ce cas, à donner un nom désignant un individu si une seule personne est dans ce cas, ou bien enfin à donner une liste de noms désignant une collection d’individus si plusieurs personnes sont dans ce cas. Il est vrai que, dans le langage ordinaire, le mot « collection » s’emploie de deux façons, tantôt dans un sens faible pour désigner plusieurs choses prélevées par une méthode quelconque dans un domaine, tantôt dans un sens plus fort, pour parler de choses qui ne sont pas seulement prélevées, mais réunies et conservées dans un certain but (ainsi, les collections d’un musée). C’est seulement le sens faible qui nous intéresse ici. Dans ce sens, une collection d’individus n’est rien d’autre que le référent d’une liste de noms. Ce qui correspond dans la réalité à un catalogue, ce sont plusieurs objets. Ces objets ne sont nullement intégrés dans un tout du fait d’avoir été catalogués. Si plusieurs employés du ministère ont voyagé au Japon le mois dernier, cela ne crée pas entre eux un lien social : nous n’avons pas dit qu’ils avaient voyagé ensemble.

Avec des attributs tels que ceux d’une activité collective, comme « voyager en groupe », nous passons de la collection d’individus à l’individu collectif. Une collection d’individus n’est pas comme telle un sujet de prédication distinct de ces individus. En revanche, un groupe d’individus est comme tel le sujet de prédicats irréductibles. Pour que le groupe (constitué par une mission ministérielle) se rende de Paris à Tokyo, il faut normalement que les membres de ce groupe se déplacent de Paris à Tokyo. Pour que le groupe soit reçu par le maire, il faut que ses membres soient reçus par le maire.

Mais cette condition n’est pas suffisante, et elle n’est pas strictement nécessaire. Elle n’est pas suffisante : il ne suffit pas que les mêmes individus se déplacent pour que le groupe se déplace, car ils doivent se déplacer au titre du groupe (et non pas se déplacer simultanément avec des missions personnelles). La condition n’est pas non plus strictement nécessaire : le groupe peut se déplacer, ou être reçu, même si tous les membres du groupe ne sont pas du voyage ou de la réception.

Ce dernier point illustre aussi la différence entre un individu collectif et un ensemble abstrait. Un groupe social peut se déplacer, être retardé, intervenir dans les affaires. Nous lui attribuons donc des activités et des états qui ont une dimension causale. Nous le décrivons dans ses capacités à modifier ou à être affecté par le cours des choses, ainsi que dans son histoire. Un groupe est donc bien un sujet concret* de prédication. En revanche, un ensemble reçoit des prédicats d’un ordre logique supérieur**, tels que l’identité, l’inclusion dans un autre ensemble, etc. Si on commet l’erreur de prendre un groupe humain pour un ensemble au sens logico-mathématique, on crée un paradoxe : il devient impossible qu’un groupe change dans sa composition. Il serait logiquement interdit à un club de perdre des adhérents ou d’en acquérir. Je ne peux pas projeter de m’inscrire au club déjà formé par diverses personnes, car la nouvelle liste de membres où mon nom figure définit un nouvel ensemble des membres du club et donc, dans cette hypothèse, un nouveau club.

On peut s’imaginer qu’une société est ontologiquement équivalente à la pluralité des personnes qui la composent si on ne considère que son identité synchronique. Encore faudrait-il que cette identité soit définie, dans le cas d’une société un peu large, à la minute près. Mais aucune liste ne peut donner l’identité diachronique d’une société. Car l’identité d’une génération à une autre doit être définie non seulement pour le passé, mais pour le futur.

Mais comment pourrait-on enregistrer sur une liste les noms de membres qui n’existent pas encore ? Quant à une liste couvrant le passé et le présent, elle offre l’inconvénient noté par les logiciens de Port-Royal : ce ne sont pas tous les Romains, passés et présents, qui ont vaincu les Carthaginois.

En reconnaissant que le concept d’individu collectif est pleinement justifié, nous n’ajoutons pas une nouvelle classe ontologique à un univers déjà constitué par les individus ordinaires. La philosophie des mathématiques se demande à bon droit si les ensembles ne seraient pas des entia non grata.

Mais le problème ne se pose pas du tout de savoir s’il existe des individus collectifs en plus des individus ordinaires. Car ce que nous appelons « individu collectif**** » n’est pas autre chose qu’un individu ordinaire considéré dans sa composition, ou structure.*** Or nous devons tenir compte de cette composition de l’individu pris comme un système de parties, ou bien de la composition du système dont cet individu fait partie, pour rendre compte des propriétés que nous lui reconnaissons. Par définition, toutes les propriétés d’un individu sont susceptibles d’être d’abord exprimées comme des propriétés individuelles (par exemple, par un verbe au singulier). Mais déjà Pierre d’Espagne nous avertissait qu’on ne peut pas toujours inférer de la propriété du tout à celle de la partie. On distinguera trois cas :

1) certaines propriétés individuelles sont des fonctions additives des propriétés des parties (on parle alors de propriétés résultantes);

2) d’autres sont des propriétés holistiques émergentes**** parce qu’elles sont produites par le mode de composition des parties;

3) d’autres enfin peuvent être appelées des propriétés fonctionnelles (ou téléologiques) : ce sont les propriétés qui conviennent à l’individu en tant qu’il entre lui-même en composition, à titre de partie, avec d’autres individus dans un système. Certains auteurs jugent la notion de « propriété émergente » suspecte, parce qu’ils la croient associée avec des doctrines vitalistes ou spiritualistes. Mais, comme le rappelle le biologiste C. H. Waddington [ in Kenny et alii, 1973, p. 75 ], nous n’attribuons aucun pouvoir occulte à un système quand nous expliquons certaines de ses capacités par la structure dont il est doté :

« Les parties détachées d’une voiture peuvent présenter, une fois qu’elles sont assemblées avec les relations requises, la propriété nouvelle de locomotion, y compris selon des mouvements à première vue aussi inacceptables que celui de monter en haut d’une colline contre la gravité. »

Les propriétés individuelles d’un système sont à la fois les propriétés collectives de ses parties et les propriétés que manifeste ce système dans le milieu dont il fait partie. La relativisation des concepts d’individualité et de collectivité va donc de pair avec la prise en compte, pour tout individu, de deux structures : celle qui caractérise la composition de ses parties et celle de son milieu environnant. Une explication de type « mécaniste » (ou réductif) rend compte d’une capacité apparemment simple de l’individu par la complexité de son milieu interne. Une explication de type « fonctionnel » (ou téléologique) ignore largement cette complexité interne, parce qu’elle rapporte les propriétés individuelles à la complexité du milieu externe [ Simon, 1969, p. 7 sq. ]. On peut mentionner ici un exemple que cite le philosophe des sciences Romano Harré [ 1979, p. 91-92 ] :

« [… ] Bien que “grand” (tall) soit une propriété non collective d’une personne, on peut soutenir que c’est une propriété collective d’un assemblage de membres et d’os. On l’analyserait alors comme l’attribut relationnel d’une collection d’individus pris collectivement. »

À l’appui de cet exemple, on pense aussitôt à la pratique de l’anatomiste ou du paléontologue qui déterminent la taille de l’animal tout entier en raisonnant sur les proportions entre les parties qui subsistent et les autres. Or ce raisonnement ne prend pas seulement en compte les données du milieu interne (quelle peut être la taille d’un animal dont voici la mâchoire ?). Il n’oublie pas que cet animal fait partie d’un milieu (cet animal vivait-il dans l’eau ou sur terre ?). Dans la vie de relation et les échanges avec le milieu, les propriétés collectives émergentes (« holistiques ») tendent à se manifester au dehors comme propriétés individuelles. Romano Harré donne quelques exemples tirés de la psychologie de la forme : la structure interne d’une chose (par exemple, d’une suite de sons ou d’une surface) n’apparaît pas (à l’oreille ou à l’œil) comme propriété collective des éléments, mais comme qualité sensible individuelle (comme mélodie ou comme couleur).

Ainsi, pour passer de l’expression collective d’une propriété d’un système à une expression individuelle de cette propriété, il faut donner un dehors à ce système. On retrouve la leçon de Rousseau : à l’égard de l’étranger, le corps du peuple devient un être simple, un individu.

 

Notes de Heil myself !

*. C’est Marx qui aurait été content de comprendre cela.

**. Je suppose que Descombes veut dire : d’un ordre supérieur à lui-même. L’ensemble prend ses ordres en haut lieu. Tandis que l’individu collectif ne prend ses ordres que de lui-même et non en haut lieu. L’individu collectif, contrairement à l’individu personnel, est doté d’un intérieur. En ce sens, il est infini. Il ne prend ses ordres que de lui-même, il se pose lui-même. Le club se maintient lui-même à travers le temps malgré la disparition de ses membres et l’arrivée de nouveaux en vertu de ses statuts, liste de règles suivies en permanence par ses membres. Heil Hegel !

***. La question n’est pas là. Le système solaire est un système concret mais il n’est pas pour autant un système collectif. Les planètes et autres corps qui constituent ce système ne sont pas ensemble comme deux personnes qui se promènent ensemble. Il faut encore distinguer systèmes concrets (et leur structure) et systèmes collectifs. Le système solaire peut être qualifié de grand comme le corps cité en exemple par Descombes, mais ni le système solaire ni le corps grand ne sont des systèmes collectifs. Concrets oui, collectifs non. Qu’est-ce qui différencie un système collectif (concret, lui-aussi, évidemment) d’un système seulement concret ? Le système collectif contient le négatif comme apparence. Ainsi dans ce petit exemple donné par Marx en 1844 et qui est sa version des deux personnes qui se promènent ensemble (notez au passage que l’adverbe ensemble s’oppose rigoureusement, quant au sens, au substantif un ensemble : un ensemble de deux personnes qui se promènent est totalement indifférent au fait qu’elles se promènent ensemble ou non) : « Quand ma production est calculée en fonction de ton besoin, qu’elle est raffinée, je ne produis qu’en apparence cet objet ; mais je produis en vérité un autre objet, l’objet de ta production, objet que je pense échanger contre l’objet de ma production, échange que j’ai déjà effectué en pensée. » Autremennt dit, ces deux personnes sont en train de suivre une règle à l’insu de leur plein gré.

L’économie n’est ni un système concret, ni un système collectif, pas même un système pensé puisque le seul système auquel sont arrivés les économistes est celui de main invisible dans la culotte noire (comme on dit boîte  noire) d’un zouave.

****. « Si on est face à une, deux, cinq molécules on ne peut parler que des énergies cinétiques individuelles de celles-ci, qui peuvent changer si ces molécules peuvent entrer en collision. Confronté à un milliard de molécules ont peut faire apparaître des quantités macroscopiques comme la densité, la température, etc... Le passage au macroscopique correspond à la manifestation d’un phénomène d’émergence. Il en est de même en psychologie. Trois personnes forment un ensemble d’individus. Cent mille constituent "une société". » Dr Petit, Note de lecture. Il est possible que cent mille personnes constituent une société, mais il est impossible qu’un ensemble de cent mille personnes constitue quelque société que ce soit. Quant à l’ensemble de trois individus il ne peut constituer aucune chose sociale quelle qu’elle soit tandis que trois individus qui se promènent ensemble, si. Trois individus qui se promènent ensemble constituent une chose sociale. C’est la connaissance de la situation qui fait cela. Contrairement à ce que dit Descombes, un être collectif n’est pas un individu considéré dans sa structure ; même considérée dans sa structure, une automobile n’est pas un être collectif. Les seuls êtres collectifs le sont par l’intervention de la connaissance de la situation. Les parties de l’automobile, quoiqu’elles formassent un système, ne constituent pas pour autant un être collectif. C’est « l’activité collective » qui constitue les êtres collectifs comme le dit très bien Descombes. « L’activité collective » commence avec la connaissance de la situation. Il n’y a pas d’activité collective dans une automobile. Il n’y a donc pas d’être collectif dans une automobile, sauf les voyageurs qu’elle transporte. Ils voyagent ensemble, forcément ensemble, contrairement aux billes qui voyageraient dans un sac : chaque voyageur dans l’automobile sait que chaque voyageur sait que chaque voyageur sait qu’ils (l’ensemble) voyagent ensemble, fussent-ils montés initialement dans l’automobile indépendamment et pour des raisons fortuites. Les voyageurs sont comme l’ensemble des arbres d’une forêt, qui est un objet abstrait, mais ils sont aussi comme la forêt, qui est un objet réel. Cela parce qu’ils connaissent la situation.

 

 
La véritable invention de l’économie
est le fait de l’impérissable inventeur de la loi des débouchés

(François Fourquet, Richesse et puissance, La Découverte, 1989 et 2002)

 

 

   

 

« 3. ON INVENTE L’ÉCONOMIE COMME OBJET RÉEL

» C’est un Français, Jean-Baptiste Say, qui coupera le cordon. Non seulement il déclare la science indépendante de l’État, mais il invente un objet social autonome appelée “économie”.

» Tout en admirant Smith, il lui reproche d’avoir, comme ses prédécesseurs, “imaginé que leur principale vocation était de donner des conseils à l’autorité... Mais depuis que l’économie politique est devenue la simple exposition des lois qui président à l’économie des sociétés [ et voilà ! le tour est joué : les sociétés se trouvent dotées d’une économie et cette économie se trouve dotée de lois. Naissance d’une illusion en attendant la naissance d’une nation ], les véritables hommes d’État ont compris que son étude ne pouvait leur être indifférente. On a été obligé de consulter cette science pour prévoir les suites d’une opération, comme on consulte les lois de la dynamique et de l’hydraulique, lorsqu’on veut construire avec succès un pont ou une écluse” (Traité d’économie politique, 1826).

» C’est la première fois que quelqu’un ose comparer l’économie politique à une science de la nature (physiologie), ou à la physique, et employer le mot “économie” au sens d’un objet social obéissant à des lois analogues à celles de la physique. Mais, à la réflexion, peut-être a-t-il lu la Physiologie sociale, l’ouvrage du fondateur de la sociologie, Claude-Henri de Saint-Simon, paru en 1812 ? Le déplacement de perspective amorcé par Boisguilbert s’achève en un renversement. En ce début du XIXe siècle, le point de vue positiviste triomphe. Le mot sacré de science remplace les anciens mots de nature ou de raison. Marx, bien qu’il déteste Say, fonce tête baissée dans le champ discursif ainsi ouvert ; il est ravi qu’un critique du Capital lui prête d’envisager « le mouvement social comme un enchaînement naturel de phénomènes historiques, enchaînement soumis à des lois » (préface à la 2e édition du Capital ; K, I, p. 27). C’est ce point de vue qui nous enchaîne encore. [ Bravo ! ]

» On peut se demander pourquoi Say n’a pas repris à Quesnay ou à Graslin le vocable de « science économique ». Ni d’ailleurs Walras, qui adresse à Smith la même critique que Say : l’économie politique n’est pas une science pratique, mais une science pure ; ce n’est du reste pas non plus une science naturelle comme le prétend Say : nous ne sommes pas des abeilles (Éléments d’économie pure ou théorie de la richesse sociale, 1896). Il appartiendra au second XIXe siècle de larguer ce qui restait de vaguement politique dans l’économie.

» La définition de cette nouvelle science tourne dans un cercle vicieux. L’économie politique est définie par Say, dans le titre de l’édition de 1803, la science de la formation, de la distribution et de la consommation des richesses. Say habille avec les mots neufs “production”, “distribution”, “consommation”, des objets ordinaires familiers depuis des siècles aux hommes d’État et techniciens de gouvernement. Simplement il les regarde comme Smith, avec les yeux d’un professeur ou d’un universitaire, et fabrique une nouvelle formation de discours (expression que j’emprunte à Foucault). Puis il donne le noble nom de science à cette nouvelle manière de parler. S’agissant de définir ses objets, la nouvelle science ne fera pas appel à un discours ordinaire, mais aux mots qu’elle a elle-même inventés, en affirmant qu’ils sont soumis à des “lois”, et en appelant « science » la connaissance... de ces lois. A la limite, pour définir la science économique, il suffira de dire qu’elle est la science de l’économie, et le tour sera joué. La tautologie paraît grossière, elle confine à la supercherie, mais Say ne fait pas autrement quand il dit “l’économie politique est la simple exposition des lois qui président à l’économie”. A l’aide du mot “loi”, ce qui était un “art de gouverner” ou une “manière de gérer” devient, sous la plume de Say, une “science”.

» L’innovation de Say est fondamentale. Jamais, jusqu’alors, “économie” n’avait signifié un domaine social ; jamais on n’avait parlé de l’économie comme science d’un objet appelé économie. Depuis ce jour, le mot “économie” comporte, du moins en fran­çais, une insupportable ambiguïté : nous ne savons pas si nous parlons de la science ou de son objet. Et pour cause : cet objet n’existe pas ! Ce qui existe, c’est un discours économique qui fabrique ses propres objets et qui finit par croire à l’existence extérieure de ces êtres fantastiques qu’il a lui-même engendrés totidem verbis, isn’t it ? ].

Sztôpp ! Arrêt sur l’image, s’il vous plaît, pour une fois qu’un auteur dit la même chose que moi. Ce qui existe, vous l’aurez noté, ce qui existe au sens des dictionnaires populaires — c’est à dire ce qui est doté des caractères des choses, ce qui n’est pas le cas de tous les objets qui n’en existent pas moins comme objets cependant — ce qui existe est un discours économique. La seule chose qui puisse à juste titre  être qualifiée d’économique est un discours économique et je dis bien chose, car les discours sont des choses contrairement aux nombres, par exemple, et des choses abominablement envahissantes ; mais, hélas, cette chose qu’est un discours économique n’est pas économique. Ce discours, au même titre que tous les discours, n’est pas économique même s’il existe un sens du terme « économique » qui s’applique aux discours, depuis la plus haute antiquité (consultez le dictionnaire). Notre auteur est formel : l’objet fabriqué par ce discours n’existe pas et seul existe le discours qui fabrique cet objet. Le sieur Latouche qui cite cet auteur ne comprend pas ce qu’il cite. Il vient  avec sa petite chanson d’un champ sémantique.  Il dit à la fois : l’économie n’existe pas, mais elle existe pourtant puisque le discours économique produit un champ sémantique. Or un champ sémantique est bien une chose, effectivement, mais elle n’est pas une chose économique. Ce n’est pas parce que le champ sémantique du discours économique existe, au même titre que le discours économique qui l’engendre, que ce champ sémantique est une chose économique. C’est un champ sémantique au même titre que n’importe quel champ sémantique. Et un champ sémantique n’a absolument rien qui puisse être qualifié d’économique au sens qui nous occupe ici. Le champ sémantique du discours économique n’a rien qui le distingue du champ sémantique de la physique ou des mathématiques ou de l’argot des bouchers. Comme le dit très bien notre auteur un peu plus bas : il s’agit de techniques de gestion des rapports sociaux (Durkheim et moi-même parlons de « recettes ») et qui plus est ces techniques sont efficaces (ici, elles n’éloignent pas les porcs, comme aux Trobriands, elles les attirent). Mais cela n’implique nullement qu’il existe une chose économique. Ces techniques gèrent très efficacement les rapports sociaux mais ces rapports sociaux n’en demeurent pas moins totalement inconnus, ils n’ont rien à voir avec les objets produits par le discours économique (en fait, les objets produits par cette prétendue science économique ne sont là que pour dissimuler les choses effectives que connaissent encore les sauvages, comme le note Weber. Il faut empaler le cadavre de Hobbes et ceux de ses successeurs anglais dans un super Carpentras), ces rapports sociaux ne sont l’objet, jusqu’à ce jour, d’aucune science digne de ce nom. La « loi » de Gresham qui dit depuis cinq siècles que la mauvaise monnaie chasse la bonne n’a jamais été violée de mémoire d’homme et cependant elle ne dit absolument rien des rapports sociaux qui conservent tout leur mystère. On sait seulement que lorsque les gens n’ont plus confiance dans la monnaie, ils planquent la bonne monnaie et vont chez le boulanger avec des brouettes de marks. La monnaie est un fait anthropologique qui demeure totalement inconnu quoique familier. Amaïh Pleksy-Gladz ! Je vais me taper un petit coup de champagne.

» Cette confusion entre l’objet et son discours n’est pas propre à l’économie : elle est partagée par d’autres sciences humaines, à commencer par le droit. Droit, économie : des techniques de gestion des rapports sociaux devenues sciences scientifiques [ Des sciences scientifiques ! Funny ! Davantage d’avantages ].

» L’illusion de l’existence objective d’une structure sociale appelée “économie de la société” est si puissante que Marx en fit la base de la société et inventa une contradiction tout aussi illusoire entre cette base imaginaire et une prétendue superstructure politique [ Bravo ! Il est formidable ce Fourquet. ].

» En ce point précis s’origine gloup ! c’est un bordurisme ! ] ce que j’ai appelé la théorie étatique de la connaissance (cf. p. 17). Elle énonce : les sciences humaines sont des savoir-faire de l’État qui renient leur origine. Les cadres de la théorie de la connaissance sociale sont les cadres mêmes de la pensée d’État. Ils correspondent aux cadres institutionnels réels de l’appareil d’État. Cette origine, nous l’avons refoulée, à force de croire : 1) que l’objet de la connaissance obéit à des lois rigoureuses, indépendantes du pouvoir et de l’État ; la nation s’est symboliquement ou mythiquement détachée de l’État ; 2) que la position du savant (chercheur, universitaire) n’a rien à voir avec la position de l’homme d’État. Smith n’avait pu déployer le mythe de sa Richesse des nations que sur la base de la forclusion de la puissance et du pouvoir : il en sera de même de la plupart des sciences humaines.

» Les sciences humaines, ce sont, tout simplement, nos mythes. » (pages 282-283)

* * *

« La main invisible porte aujourd’hui un autre nom, scientifique : c’est la “structure”, objet du culte des sciences humaines. Les “lois”, ou la “logique” des relations sociales, organisent de l’intérieur les relations entre les éléments (der innere Zusammenhang de Marx). Les relations perçues ici-et-maintenant ne sont que la réalisation de cette structure “immanente à ses effets”, comme disait Althusser, à moins qu’elles ne soient une “incarnation” de la structure ou une “actualisation” d’une “Idée virtuelle” (Deleuze. [Tchatcheur, qu’est-ce alors qu’une idée réelle, une idée « chosique » ? On n’est jamais trop jargonneux avec les jargonneurs]). La loi structurale, la loi divine se fait chair dans les régularités empiriques. Cette manière de penser transforme un classement [ Bravo ! C’est ça, exactement, un classement ], dont l’intellect a besoin pour démêler l’écheveau des relations empiriques, en une structure-substance historique pourvue d’une efficacité causale quasi divine. Les sciences sociales, croyant en l’existence d’une main invisible, croient à la possibilité de la dégager des profondeurs de l’objet, l’exhumer, l’exhiber, la mettre au jour, en démonter les mécanismes [pensez à la critique de Frazer par Wittgenstein]. La structure doit expliquer la réalité empirique (sinon, quel intérêt ?), comme autrefois la volonté de Dieu expliquait ses propres manifestations dans la nature ou la société. De là le triomphe des mathématiques en économie : elles fournissent le modèle d’une scientificité rigoureuse, d’un déterminisme absolu, avatar moderne de la volonté de Dieu. Il y a autant de perfection dans les mathématiques que dans Dieu. Ne plus croire aux mathématiques, c’est ne plus croire en la scientificité de la science sociale ou économique. C’est bien difficile. Voilà pourquoi aucune critique n’aura raison de l’inextinguible soif de scientificité des économistes ; aucune démonstration du fait que les relations réelles n’obéissent jamais aux modèles mathématiques (notamment à l’échelle mondiale) n’aura raison de la croyance en la vertu de ces modèles. Si l’on avoue la faillite d’un modèle, c’est pour placer son espérance en un autre, plus « scientifique », et non pour interroger la validité des outils mathématiques en général. Les sciences humaines n’ont pas coupé leur lien ombilical, historique et épistémique à la fois, avec leur origine théologique. Elles conservent leur statut sacerdotal (des théologies de la société) et leur relation avec l’État, héritier de la sacralité de l’Église. » [ Bravo ! el matador ] (page 288)

Le grain de sel de Heil myself ! C’est l’illusion de science qui a engendré l’illusion d’objet. D’ailleurs, même les sciences effectives engendrent une illusion d’objet : nature ou matière, qui ne sont en fait que des classes de faits, la classe des faits qu’étudient ces sciences effectives. Les sciences étudient des faits et seulement des faits, non pas des classes de faits. Voilà pourquoi c’est la théorie qui prescrit les expériences et pas seulement les expériences. (Avec la « science économique », il ne reste que l’illusion. Comme d’habitude, la grammaire n’est pas comprise.) Je ne peux pas dire : « L’ensemble des planètes du système solaire est vert », ni « L’ensemble des planètes du système solaire sont vertes », mais je peux dire « Toutes les planètes du système solaire sont vertes » car c’est la même chose que de dire :  « Chacune des planètes du système solaire est verte ». Le système solaire n’est pas un ensemble de planètes, mais une chose singulière où l’immédiateté des planètes est supprimée grâce à Newton, ce qui émerveilla Hegel. De même avec la grammaire de la question « Est-ce qu’un arbre fait du bruit en tombant lorsqu’il n’y a personne ? ». La question réellement posée est : « Est-ce qu’il y a audition lorsqu’il n’y a pas audition ? ». La réponse est évidente. La grammaire du mot « bruit » n’est pas comprise. Personne ne pose la question « Est-ce qu’il y a vision lorsqu’il n’y a pas vision ? » ou « Est-ce qu’il y a apparition lorsqu’il n’y a pas apparition ? » ou « Est-ce que les choses sont vues lorsqu’on ne les voit pas ? » — la question qui doit être posée est : « Est-ce que le choses sont vues quand on les voit ? » et la réponse est : « Les choses ne sont pas “vues” comme elle sont “jaunes” ; “jaunes” est une qualité des choses, “vues” n’est pas une qualité des choses ». Non seulement « rien d’indique dans le champ visuel qu’il est vu par un œil » mais, plus radicalement encore, rien n’indique qu’il soit vu. Une découverte simplissime  de Wittgenstein et qui demande un très faible appareillage (il suffisait de voir qu’il n’y a rien à voir !) est que « le champ visuel n’a pas de bord » — ou « Est-ce que le jaune est jaune quand on ne le voit pas ? ». Toute apparition est miraculeuse. Les sciences effectives sont donc des signes de classe concrets !  Le positiviste pur et dur doit répondre à la question « Que pensez vous de la nature ? » par « Sire, c’est une hypothèse inutile. » Exactement ce que le futur marquis de Laplace répondit au futur Napoléon (c’était le Directoire, un faubourg de l’Empire. Donc Pierre Simon répondit : « Général, c’est une hypothèse inutile ») en parlant de Dieu.

Résumé : les sciences de « la nature » étudient des faits et non des classes de faits ; seulement des faits et non pas « la nature », encore moins le monde ainsi que le croit Searle [ « Le mot : nature prend encore un autre sens, celui qui détermine l’objet, alors que le sens précédent signifiait seulement que les déterminations de l’existence des choses en général sont conformes à des lois. Donc la nature, considérée materialiter, c’est l’ensemble de tous les objets de l’expérience. » Kant, Prolégomènes. L’ensemble des objets de l’expérience, « la nature », est bien un objet mais non pas un objet réel. Capito ? ]. De même, l’économie politique étudie des faits mais... elle prétend étudier des institutions, elle prétend étudier une institution qui serait « l’économie » alors que l’économie est seulement la classe des faits étudiés. Quant à la science qui étudierait les institutions, elle n’existe pas encore. Les prétendues sciences sociales n’étudient pas les sociétés mais seulement des faits, dans le meilleur des cas. Dans le pire, elles n’étudient rien du tout, par exemple, comble du ridicule et de la stupidité, « l’étude d’un homo œconomicus plus ou moins fictif » (complètement fictif). Durkheim recommande, faute de mieux et sans préjuger de la suite, de s’en tenir aux faits plutôt que de divaguer dans les hypostases. Production, distribution et consommation sont des catégories, et, comme le montre Fourquet, des catégories qu’utilisent les hommes d’État. Les catégories, dans tous les mondes possibles, constituent un classement, elles ne constituent pas un monde. La production ne produit rien, la distribution ne distribue rien, la consommation ne consomme rien. On se croirait toujours aux beaux jours de la querelle des universaux.

 

 
« C’est un manitou »

 

 

De même que  Freud recommandant chaudement la Gestapo à quiconque (c’était « le mot de passe » pour pouvoir émigrer), je vous conseille vivement de lire le livre dont je donne un extrait ci-dessous. Vincent Descombes y règle leur compte aux Barthes, Lacan, Derrida et consort. Tout s’éclaire, c’était donc seulement ça, ce charabia ! Comme dit Descombes, ça vient même de plus haut, c’est à dire de Lévi-Strauss. Notamment, dans le chapitre V, A l’enseigne du signifiant émancipé, Descombes montre que la philosophie linguistique (et non la linguistique elle-même), cette audacieuse percée autoproclamée (ça, ils étaient fort pour la proclamation) n’est qu’une douillette régression (c’est douillet une place de professeur foudre de guerre), un retour aux délices de l’idéologie au sens de Destutt de Tracy, un retour à Locke, inventeur du mot sémiotique. Étonnante démonstration, étonnante analyse grammaticale (je t’en foutrais de la grammatologie)*. En fait Descombes montre que la philosophie linguistique est incorrigible, tout le problème est là. La philosophie du signifiant affirme que le signe est arbitraire, non pas seulement le signifiant, mais le signe. Ensuite, implacablement, Descombes montre que les philosophes du signifiant arbitraire se contredisent : ils ne devraient traiter que du signifiant et de « son lien nécessaire » au signifié, ne pas sortir du système et négliger totalement le référent. Or, en fait, il font sans cesse appel à l’usage, au référent. Ainsi « la doctrine du signifiant souffre d’une confusion qui paraît irrémédiable ». Notez bien que Descombes ne se prononce pas sur le bien fondé de la philosophie du signifiant. Il juge ad hominem en montrant qu’elle est incapable de soutenir ses propres prétentions. C’est certain, un mou de veau, jamais, ne sauvera les philosophes du signifiant, ces faisans, ces faiseurs, bon débarras. Évidemment, Descombes, vu sa position, ne peut pas dire ça. Mais moi, ancien coureur cycliste amateur et ajusteur mécanicien, ancien habitué de la bibliothèque de Bouville, ancien taxi driver,  je le peux. C’est pourquoi je le dis. Je ne mets pas Lévi-Strauss dans le tas, homme studieux et de terrain, il n’a jamais fait le foudre de guerre, lui — il faut toujours juger les gens à l’aune de leurs prétentions, c’est à dire ad hominem —, il s’est perdu sous les tristes tropiques. Il s’est trompé et seulement trompé, et ce n’est pas un crime. Il n’a pas cherché à tromper autrui. Il n’a pas recouru à « l’attrait de ce qui est à demi compréhensible » utilisé abondamment par les publicitaires et les demi-habiles (Boorstin). Je le lis d’ailleurs avec profit, ne serait-ce que parce qu’il plaide toujours contre lui-même, exactement comme Malinowski (Lévi-Strauss déclare plaisamment que c’est un malheur pour l’anthropologie que Malinowski se soit mêlé de théorie. Vraiment ? Au contraire puisque ses observations contredisent cette théorie, elles sont donc non suspectes de parti pris).

*. Page 216 : Benveniste corrige Saussure. Selon Saussure c’est le signifiant qui est arbitraire, il est arbitraire que le signifiant (b-ö-f) soit associé au signifié (concept de bœuf). Selon Benveniste, ce qui est arbitraire, c’est le signe composé du signifiant et du signifié. Benveniste écrit : « Ce qui est arbitraire c’est que tel signe, et non tel autre, soit appliqué à tel élément de la réalité, et non tel autre. » Quant aux deux parties composantes du signe, elles sont nécessairement liées l’une à l’autre : « Entre le signifiant et le signifié, le lien n’est pas arbitraire ; au contraire, il est nécessaire.  Le concept (“signifié”) “bœuf” est forcément identique dans ma conscience à l’ensemble phonique (“signifiant”) böf » (Nature du signe linguistique, 1939) Descombes écrit, page 219 : « Le lien du signifiant au signifié est nécessaire, le lien du signe au référent de ce signe est arbitraire. La théorie du signe n’a pas à s’occuper de ce référent, mais seulement de la relation intérieure au signe entre deux parties composantes indissociables. Puisque les signifiés sont les concepts, ils dépendent de la langue [et non de la parole, de l’usage]. » Il va donc montrer que la théorie du signe s’occupe en fait, malgré ses prétentions (elles n’étaient pas minces ses prétentions, et quelles clameurs !), du référent, hors du système. Il montre, finalement, que la théorie du signe est incorrigible¸c’est là son moindre défaut. Je m’en étais déjà aperçu grâce au style incorrigible des faisans (ça sentait le faisandé et même le prépuce) mais je ne savais pas pourquoi. Je n’allais quand même pas lire toute cette chiasse. J’ai bien fait, Descombes l’a fait pour moi.

 

Vincent Descombes, Grammaire d’objets en tous genres, Minuit, 1983 :

V. A L’ENSEIGNE DU SIGNIFIANT ÉMANCIPÉ 

6. LA MÉPRISE STRUCTURALISTE,

Dans les sections précédentes de ce chapitre, nous avons eu affaire à diverses analyses sémiologiques du signe linguistique. Ces applications au langage du concept sémiologique de signe sont censées exploiter une distinction jusque-là méconnue du signifié et du référent. Malheureusement, nous n’avons pas réussi à isoler l’un de l’autre dans nos efforts pour comprendre les exemples qui illustraient la doctrine. Il nous est apparu qu’on passait perpétuellement de la description du système auquel appartient tel signe à celle d’un emploi de ce signe (de la « langue » à la « parole »). S’il en est déjà ainsi là où on traite du signe linguistique, les choses risquent de s’obscurcir encore lorsqu’on nous invite à étendre ces analyses à des signes non linguistiques. La sémiologie étudie, de façon générale, le signifiant. Or il y a deux genres de signifiants, ceux du linguiste et ceux du sociologue. Le signifiant linguistique répond à la question : Combien faut-il prévoir d’entrées dans un dictionnaire qui décrirait l’état de la langue à telle date ? Mais le sociologue parle d’un signifiant qui n’a rien de lexical : pour lui, il y a du signifiant là où un comportement signale un statut ou une position de l’agent dans le groupe. Du point de vue du sociologue, signifier équivaut à dire, c’est toujours annoncer la couleur, émettre une prétention, faire valoir une différence, se réclamer d’une élite. Ce signifiant sociologique est l’émission d’un énoncé. On pourrait dire que le premier signifiant est celui du typographe ou de l’amateur de mots croisés et que le second signifiant est celui du maître d’hôtel, du couturier ou du négociateur. Le signifiant linguistique pose des problèmes d’identification (y a-t-il une différence signifiante entre ces deux émissions ?). Le signifiant sociologique pose des problèmes de reconnaissance (à qui ai-je affaire ?). Empruntant à Proust* les noms de ses créatures, je parlerai dans le premier cas d’un signifiant-Brichot et dans le second d’un signifiant Norpois.

(…)

Mais la boiterie n’est pas que chez Barthes. L’exemple vient de beaucoup plus haut. Une page célèbre de Lévi-Strauss** sur le « signifiant flottant » invitait déjà à rabattre le signifiant-Brichot sur le signifiant-Norpois et à étendre aux énoncés les principes d’analyse qui avaient été posés pour l’étude des langues. Le langage, écrit Lévi-Strauss, n’a pu naître que tout d’un coup. Il y a langage si une langue est apparue. Puisqu’une langue est une totalité, l’humanité qui a accédé au langage dispose d’emblée de tout le signifiant. Puisque le signifiant et le signifié sont solidaires, elle dispose simultanément de tout le signifié. Pourtant, l’apparition du langage ne donne pas aux humains la connaissance du monde. L’acquisition du langage se fait par une mutation, l’acquisition de la connaissance par une lente progression. On peut donc parler du monde avant de le connaître. Jusque-là, nous ne rencontrons pas de difficulté à suivre la démonstration (spéculative) de l’anthropologue. Notre embarras commence aussitôt après, au moment où les capacités du genre humain sont traitées comme des actualités, les possibilités comme des ressources déjà présentes. L’écart entre l’acquisition soudaine du langage et l’acquisition laborieuse de la science trouve cette formulation sémiologique : dès le début, l’intégralité du signifié est donnée en même temps que l’intégralité du signifiant, mais ce signifié est « donné comme tel sans être pour autant connu ». Il y a donc du signifié donné inconnu, d’où pour lui correspondre un « signifiant flottant » qui trouve à s’employer dans les discours étrangers à la science (art, poésie, mythe, religion, etc.). Ce qui est donné est bien sûr une simple possibilité. Celui qui a compris une phrase est par là capable de comprendre en principe toutes les phrases, celui qui a dit une phrase est en mesure de dire toujours d’autres phrases. Dans l’analogie qui illustre cela, ces possibilités accordées à l’humanité sont traitées comme des réalités.

« Tout s’est passé comme si l’humanité avait acquis d’un seul coup un immense domaine et son plan détaillé, avec la notion de leur relation réciproque, mais avait passé des millénaires à apprendre quels symboles déterminés du plan représentaient les différents aspects du domaine. L’Univers a signifié bien avant qu’on ne commence à savoir ce qu’il signifiait ; cela va sans doute de soi. Mais, de l’analyse précédente, il résulte aussi qu’il a signifié, dès le début, la totalité de ce que l’humanité peut s’attendre à en connaître**. »

Le langage est comme une carte, les choses signifiées sont comme le territoire représenté par cette carte. Vieille comparaison, toujours aussi suggestive, toujours également trompeuse. La carte est l’intégralité du signifiant, le domaine est l’intégralité du signifié. L’un et l’autre nous sont donnés simultanément, mais nous n’apprenons que progressivement à comprendre quels symboles du plan s’appliquent à quelles parties du domaine. En attendant, les symboles du plan non reconnus dans leur valeur représentative forment un signifiant flottant. Déjà cette petite fable révèle le côté bizarre de la conception du langage qu’elle doit faire comprendre. L’humanité n’apprend pas quel est son domaine en lisant la carte, elle apprend à lire sa carte en visitant son domaine. On imagine un touriste qui irait à Rome pour comprendre son Guide Bleu. Mais alors, autre paradoxe inhérent à la conception cartographique du langage, est-ce la carte qui représente le domaine, ou bien le domaine qui représente la carte ? La fable qu’imagine Lévi-Strauss assigne à l’Univers une fonction signifiante dès qu’il y a langage, l’Univers signifie, même si on ne sait pas ce qu’il signifie. Que signifie-t-il ? Ce qui est écrit sur la carte. La carte n’est pas une langue, la carte est un discours. Les symboles de la carte ne sont pas analysés comme les éléments d’un système qui serait la langue, mais comme les éléments d’un système qui est le discours sur l’Univers d’une science infinie. L’intégra­lité du signifiant, c’est l’intégralité des propositions vraies. L’intégralité du signifié, c’est l’omniscience. Ainsi, même lorsque la sémiologie anthropologique spécule sur le signifiant linguistique, elle s’empresse de passer du fait de la langue au fait de la parole. Tout se passe, selon cette fable, comme si l’apparition du langage était le don fait aux hommes d’une Bibliothèque illimitée, mais fermée sur soi, dans laquelle tout est dit. Cette Bibliothèque est « l’enten­dement divin » évoqué plus loin. Mais l’homme primitif ne sait que faire de ce don, il ne sait pas lire. En réalité, si on voulait exprimer l’apparition soudaine du langage en termes de carte et de domaine, il faudrait dire que l’homme a reçu en cadeau le domaine et la feuille de papier (tabula rasa) sur laquelle dessiner la carte à l’aide d’une série finie et fermée sur soi de symboles. Tout ce qui peut être dit peut l’être sur la feuille de papier, tout ce qu’on prétend dire du domaine doit l’être à l’aide des symboles fournis. Ce qui résulte de cela, c’est que le premier homme, ayant acquis le langage, a de ce fait la possibilité de tout dire. 

 

*. « On peut railler la pédantesque niaiserie avec laquelle les diplomates à la Norpois s’extasient devant une parole officielle à peu près insignifiante. Mais leur enfantillage a sa contrepartie (...). Chargé d’affaires dans des pays avec lesquels nous avions été à deux doigts d’avoir la guerre, M. de Norpois, anxieux de la tournure que les événements allaient prendre, savait très bien que ce n’était pas par le mot "Paix", on par le mot "Guerre", qu’ils lui seraient signifiés, mais par un autre, banal en appa­rence, terrible ou béni, que le diplomate, à l’aide de son chiffre, saurait immédiatement lire, et auquel, pour sauvegarder la dignité de la France il répondrait par un autre mot tout aussi banal mais sous lequel le ministre de la nation ennemie verrait aussitôt Guerre. » (Je souligne.) Le mot guerre, qui a bien pour signifié saussurien « la guerre », n’est pas celui par lequel une menace de guerre peut nous être diplomatiquement signifiée.

**. Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss, dans : Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, PUF, 1950

[ Et maintenant voici un extrait de la conclusion du chapitre V ]

« La doctrine du signifiant émancipé n’aurait pas eu un tel succès dans l’anthropologie de langue française si elle n’avait paru rendre un service inappréciable. La culture moderne dispose, pour éclairer l’action humaine, d’un schéma explicatif à deux places ceci explique cela. Cela qu’il faut expliquer, ce sont les faits et gestes des humains. Ceci qui doit l’expliquer, c’est autre chose que ces faits et gestes, donc ce qu’il y a autour, l’entourage ou le milieu. Les anthro­pologues sont ainsi toujours plus ou moins sous le coup d’une tentation de remplir la première place du schéma d’explication par une liste des choses susceptibles d’exercer une influence sur la façon dont les hommes se conduisent. Des choses qui doivent agir sur les agents humains ne peu­vent être prises que dans l’ordre des individus matériels. La liste des facteurs explicatifs sera donc celle d’éléments ou de suppôts ou d’assemblages matériels. Peut-être est-ce la raison qui fait qu’on donne à ce genre d’explication le nom de matérialisme. Il y a un matérialisme géographique (expli­quer par le sol et le climat), un matérialisme médical (expli­quer par l’hérédité), un matérialisme économique (expliquer par le niveau des forces productives). De telles doctrines “scientifiques” n’ont jamais dépassé le stade du programme, de la déclaration de principe. Elles se sont toujours révélées trop courtes au moment de l’application. Les bons anthro­pologues sont ceux de l’excès de l’expliqué (du prétendument expliqué) sur l’expliquant. Aussi a-t-on favorablement accueilli la notion d’un langage autonome. Emanciper le signifiant, c’est se donner le droit de ne pas l’inscrire à la seconde place du schéma d’explication, celle des choses à expliquer. Il n’y a pas à expliquer l’état d’une langue par un état du monde, ni la façon dont les énoncés sont cons­truits par la façon dont les choses sont faites, ni l’existence des différences signifiantes par l’existence de différences phy­siques. En somme, la linguistique se libérait de l’anthropo­logie (cette dernière étant ici conçue, non comme étude de cas, mais comme programme d’une intelligence de l’ensemble de l’agissement humain). Toutefois, on n’allait pas jusqu’à se débarrasser du schéma lui-même. Si le langage ne figure pas à la seconde place, il faut qu’il figure à la première, dans la liste des facteurs invoqués pour expliquer. On peut dire que l’addition du signifiant autonome à la liste des choses expli­quantes est une opération de comptabilité anthropologique par laquelle l’excès de la colonne de l’expliqué sur celle de l’expliquant est censé prendre fin. Cet excès correspond à tous les aspects de la vie et de la conduite des hommes qui paraissent, non seulement fort peu adaptés à l’environne­ment, mais étrangers à tout souci d’une adaptation ou d’un équilibre naturel. (On se souvient que, pour Lévi-Strauss, le “signifiant flottant” doit rendre compte de l’art, de la poésie, de la magie, du mythe, etc.) Ainsi, la nature explique l’action humaine dans ses aspects utilitaires, et le signifiant explique le reste. Ce signifiant est un expliquant, il doit donc être doté d’une capacité d’agir sur ce qui est à expli­quer*. Telle est l’“efficacité symbolique” de l’anthropologie structurale. »

*. Note de Heil myself : qui est le sauvage, qui est le bricoleur, qui « croit » à la magie ? Explication magique de la magie ! Le signifiant doit avoir beaucoup de mana. Pris d’un doute, je rouvre mon « Jardins de corail » à une page de formules magiques numérotées et commentées par Malinovski : que vois-je ? Je vois que le sauvage tient absolument à ce qu’il y ait intervention humaine pour telle ou telle chose (éloignement des porcs, il y a du travail par ici). Ce qui lui importe c’est qu’il y ait intervention humaine : il le veut, de même que le président A’rmani Nedjad veut s’exprimer en farsi. Il veut qu’il y ait intervention humaine et à la limite, il se moque assez qu’elle soit fructueuse ou non. Le sauvage piétine le signifiant (il est poli, lui. Moi je dirais autre chose). Ce qu’il veut à tout prix c’est qu’il y ait intervention humaine. C’est un constructeur de situation. Malinowski est déshumanisé, le sauvage non, pas encore. Comment dire ? Peu importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse. Question de l’ethnographe (dans les Argonautes) : pourquoi embarquer un enfant pour le jeter à la mer afin de calmer la furie des pierres volantes ? Pourquoi ne pas embarquer un adulte ? Réponse : parce qu’il est plus facile de jeter un enfant à la mer qu’un adulte. Question : a-t-on déjà jeté un enfant à la mer ? Réponse : de mémoire d’homme, non, jamais.

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Si Claire dit « Clinton habite à Washington » il semble naturel de supposer que la situation qu’elle décrit contient Bill Clinton, Washington, D.C., la relation …habiter à…, et a lieu maintenant, comme l’indique le présent de l’indicatif du verbe. Au contraire il nous semble contre-intuitif de supposer que le contenu de ses propos consiste en trois mots (« Clinton », « Washington » et « habiter à ») ou trois idées (ses idées de Clinton et Washington et ce que signifie pour elle habiter à). 

 

 

L’erreur de Marx

Marx ne comprend pas la grammaire

 

 

« Ce qui sur le marché fait directement vis-à-vis au capitaliste, ce n’est pas le travail, mais le travailleur. Ce que celui-ci vend, c’est lui-même, sa force de travail. Dès qu’il commence à mettre cette force en mouvement, à travailler, dès que son travail existe, ce travail a déjà cessé de lui appartenir et ne peut plus désormais être vendu par lui. Le travail est la substance et la mesure inhérente des valeurs, mais il n’a lui-même  aucune valeur. » Le Capital, Livre 1, Volume 1,  page 207-208.

Effectivement, le salaire est le prix de l’obéissance du prostitué et non pas le prix de son activité pendant la durée de son obéissance, ce que les adversaires de Marx, à cette époque, nommaient le prix du travail, c’est à dire le prix de l’activité du prostitué. Selon ces adversaires, l’activité du prostitué était donc équitablement payée, toute son activité était payée. Or, pas de chance, ce n’est pas son activité que vend le prostitué mais sa liberté en y renonçant pour une durée déterminée contre espèces sonnantes à la suite de quoi, il fait ce qu’on lui dit de faire. Dockès dit qu’on ne saurait en aucun cas considérer le prostitué comme un prestataire de service. Le prostitué n’est pas un commerçant, c’est un esclave intermittent, un esclave à éclipse. Marx a parfaitement raison sur ce point. Il s’agit même d’une découverte palmaire : puisque ce n’est pas le travail (l’activité) qui est acheté et payé, « le prix du travail » est une expression dénuée de sens (une de plus), que, cependant, tout le monde prétend comprendre (une fois de plus). Et là, presque cent ans avant Wittgenstein, Marx a fait une bonne analyse grammaticale. Il a regardé où il fallait regarder et a compris ce que ni Smith, ni Ricardo, ni aucun autre n’avaient compris avant lui (ni après d’ailleurs). Rien que pour ça Marx mérite les palmes académiques

L’activité que déploie le prostitué durant la durée de son obéissance n’a aucun prix, n’a aucune valeur. Elle ne vaut rien. Le prostitué ne vend pas son activité, il vend son obéissance, ce qui en fait un prostitué : « ce travail a déjà cessé de lui appartenir ». Le fait que le prostitué vende son obéissance, entraîne que son activité ne lui appartient plus, ce qui est la moindre des choses. On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. Pompidou des sous. Les hoplites ne marchandaient pas leur obéissance.

Le prix du travail n’existe pas, seul existe un prix de l’obéissance, et que ce soit pour une obéissance pendant une heure, cinq heures ou quatorze heures, que ce soit pour une obéissance debout, couché, assis, à plat ventre ou à quatre pattes, c’est le même prix.

C’est beau la démocratie. L’enculage est invariant de position : assis, debout, couché, à quatre patte, l’enculage demeure de l’enculage. Chacun aura pu noter facilement que les prostitués doivent faire ça dans des positions de plus en plus acrobatiques, précaires, disponibles, modernes, fluides, nomades, performantes ; avec de la souplesse, s’il vous plaît, il en faut avec ces positions acrobatiques, toujours plus de souplesse, toujours plus de flexibilité. Si le prostitué se penche, c’est plus facile de l’enculer. C’est assez cochon tout ça ! Bien fait, salauds de si vils innocents, ça vous apprendra. Que l’Arabe vous emporte, que le Turc vous empale.

Mais, cependant, contrairement à ce que prétend Marx, ni l’activité, ni la durée de l’activité du prostitué ne sont la substance ni la mesure inhérente des valeurs.

* * *

 « La valeur d’échange apparaît d’abord comme le rapport quantitatif, comme la proportion dans laquelle les valeurs d’usage d’espèce différente s’échangent l’une contre l’autre » Le Capital, Livre 1, Volume 1, page 52, § 2.

On peut entendre « rapport quantitatif » comme le rapport de deux grandeurs. Or le rapport de deux grandeurs est un nombre réel, nombre réel qui permet par la suite d’exprimer la première grandeur en quantité de la seconde a=kb, k étant un nombre réel. C’est ce que l’on nomme une mesure. Manifestement, ce n’est pas de cela qu’il est question ici. On ne peut rapporter (page 53, § 2) « 1 quarteron de froment » et « a kilogramme de fer » ; pour rapporter deux grandeurs, il faut que ces grandeurs aient même dimension (par exemple deux longueurs, la longueur d’une planche et la longueur d’un fil ; deux poids, le poids d’un boisseau de blé et le poids d’un litre de fer ), ce qui n’est pas le cas ici.  [pardonnez moi, je n’avais pas encore lu le professeur Henri « tarababoum » Lebesgue et j’ignorais encore ce qu’est une grandeur]

Hors de cette acception, « rapport quantitatif » n’a aucun sens. L’échange marchand n’est pas un « rapport quantitatif ». Marx écrit dans le bas de la page 53, § 6 : « Comme valeurs d’usage, les marchandises sont avant tout de qualité différentes ; comme valeur d’échange, elles ne peuvent être que de différente quantités. » Quel sommet de la pensée. Tout ce qui existe comme chose est mesurable et donc tout ce qui existe est nécessairement d’une certaine quantité si on prend la peine de mesurer. « Suivre la règle est une pratique »* eh bien ! mesurer avec une règle est aussi une pratique. Quand bien même les choses échangées dans un échange seraient-elles tirées au sort, elles seraient nécessairement « de différentes quantités », et même, comme cas particulier, de mêmes quantités de même dimensions : longueur, poids, volume mais peut-être de couleur différente (on ne peut mesurer la couleur mais on peut lui associer un spectre à l’aide des instruments adéquats). Pour se refroidir, il faut au canon qui vient de tirer un coup… un certain temps. Les marchandises qui s’échangent sont… d’une certaine quantité. Voilà, voilà la science militaire.

*. « Suivre la règle » se fait souvent « à l’insu de son plein gré » même si ce n’est pas toujours le cas, notamment quand vous apprenez une langue sans être doué pour ça. Ainsi, Virenque si moqué était en fait un subtil philosophe wittgensteinien, résolvant, sans le savoir, une difficile ambiguïté chez Wittgenstein. Virenque ne faisait rien d’autre que comprendre la grammaire d’« appliquer la règle » (l’auteur de ces lignes est un ancien coureur cycliste amateur du Cyclo-Club-Cauchois à Goderville, bourgade située à quelques portées de fusil du Château blanc où Maupassant passa une partie son enfance, grande bâtisse Restauration, « une des ces hautes et vastes demeures normandes tenant de la ferme et du château, bâties en pierre blanches devenues grises », qui sert de cadre au roman Une Vie.) « Grammaire », dans ce sens, est l’ensemble des règles des pratiques qui sont de la classe « suivre la règle » bien que toutes les pratiques ne consistent pas à « suivre la règle ». C’est de la mécompréhension de la grammaire des pratiques qui sont de la classe « suivre la règle » que provient la pathologie métaphysique. (Sandra Laugier, Archives philosophique, 2001) 

Suivez une règle : pour « suivre la règle », suivez ce lien è

Même remarque pour la proportion page 53, § 2 : « proportion dans laquelle les valeurs d’usage d’espèce différente s’échangent » est une expression dénuée de sens. On ne peut dire : « un quarteron de froment » est à « a kilogramme de fer comme… » comme quoi à propos ? « comme la sardine est à l’huile ». Une proportion, c’est : « a est à b ce que c est à d » La raison de a et de d est la même que la raison de c et de d. Ne peuvent avoir une raison que des grandeurs « homogènes » autrement dit de mêmes dimensions. (Euclide, Éléments, livre V*.) Écrivez là donc « la proportion dans laquelle les valeurs d’usage s’échangent » si vous le pouvez . C’est du charabia métaphysique tout ça, au mépris de toute grammaire, de toute règle, de tout usage et de toute observation.

 La voici écrite cette prétendue proportion : supposons que 1 quarteron de froment s’échange contre 15 kilogrammes de fer. Alors 1 quarteron de froment est à 15 kilogrammes de fer, comme 1 centime de franc est à 1 centime de franc, comme 10 centimes est à 10 centimes, comme 1 franc est à 1 francs, comme 100 francs est à 100 francs, comme 276.000 francs est à 276.000 francs, comme un million de francs est à un million de francs, comme un milliard de francs est à un milliard de francs, etc. ; mais aussi bien : comme 1 mètre de moquette est à 1 mètre de moquette, comme une sardine à l’huile est à une sardine à l’huile, comme 1 angström est à 1 angström, comme 1273 litres est à 1273 litres… généralisons : comme 127 est à 127, comme a est à a, comme b est à b, comme c est à c, etc.. C’est malin n’est-ce pas ? tout ça pour dire que 1 quarteron de froment et 15 kilogrammes de fer ont le même prix et le dire de manière impropre et donc incompréhensible : en effet, ce n’est pas “1 quarteron de froment est à 15 kilogrammes de fer” qui est comme “1 centime de franc est à 1 centime de franc”, mais c’est le prix de 1 quarteron de froment est au prix de 15 kilogrammes de fer” qui est comme “1 centime de franc est à 1 centime de franc”. Maintenant supposons que le cours des matières premières varie, ce qu’il fait tout le temps, et voilà cette prétendue proportion volatilisée. Il faut en écrire une autre aussi stupide.

Voilà donc un jeu de langage qui démontre l’absurdité qu’il y a à comprendre l’échange marchand comme une proportion ou une égalité. Marx, pour son malheur et pour le nôtre, lisait le grec . Il a donc lu Aristote et il est devenu une victime d’Aristote. Je propose donc que l’on constitue un tribunal international intertemporel (TII) présidé par Bernard Lévy, assisté de Jacques Attali, l’homme de marbre, pour juger cette ordure d’Aristote qui est à l’origine de trente millions d’assassinats. Vous pouvez lire le développement de ce point, avec l’aide du Pr Lebesgue, ici.

Paul Jorion

6 mars 2011 à 08:52

Marx a utilisé une traduction allemande de Bekker de 1831 de la Politique d’Aristote – c’est là qu’a été interpolé « valeur » là où le grec dit « usage » ( I, iii, 11-12) et non dans l’Ethique à Nicomaque où se trouve sa théorie de la formation du prix. La traduction allemande de Bekker faisait autorité de son temps, les Français et les Anglais s’y réfèrent aussi. Marx n’est manifestement pas allé lire le grec sans quoi il aurait noté la substitution. C’est parce que j’utilisais moi-même la traduction anglaise de Rackham où la confusion n’est pas faite que j’ai eu l’attention attirée sur l’absence d’un équivalent de « valeur » dans le texte d’Aristote (voir Le prix : 46-47).

Cf. Perseus Encyclopedia.

Il n’y a de rapport que l’échange, l’échange est le rapport ; et il n’y a d’égalité que celle des prix : seuls les prix sont égaux. Vous pourrez constater plus bas que Ricardo, lui, formule convenablement la question : « la règle qui détermine les quantités respectives de marchandises qui seront “données” en échange l’une de l’autre ». Il n’y est question ni d’égalité, ni de proportion mais de quantité respectives dans un échange. 20-07-2007.

Dans le rapport marchand, le seul rapport c’est l’échange et non pas une proportion ou une égalité. 27-04-2009

 

 *LES ŒUVRES D’EUCLIDE, Les Éléments. Traduites littéralement par F. Peyrard. Librairie scientifique et technique Albert Blanchard - Paris, 1993

     Henri Lebesgue. La Mesure des grandeurs. Blanchard

 

DÉfinitions

1. Une grandeur est une partie d’une grandeur, la plus petite de la plus grande, quand elle mesure la plus grande.

2. Une grandeur plus grande est multiple d’une grandeur plus petite, quand elle est mesurée par la plus petite.

3. On entend par raison une certaine manière d’être de deux grandeurs homogènes considérées comme se contenant l’une l’autre.

4. On dit que des grandeurs ont une raison entre elles lorsque ces grandeurs, étant multipliées, peuvent se surpasser mutuellement.

5. On dit que ces grandeurs sont en même raison, la première à la seconde, et la troisième à la quatrième, lorsque des équimultiples quelconques de la première et de la troisième étant comparés à d’autres équimultiples quelconques de la seconde à la quatrième, chacun à chacun, les premiers équimultiples de la première et de la troisième sont en même temps plus grands que les équimultiples de la seconde et de la quatrième, ou leur sont égaux ou plus petits.

6. On appellera proportionnelles les grandeurs qui ont la même raison.

(…)

* * *

Édition de Clavius  (1591) que lut Galilée (traduction de Vitrac)

1. Une grandeur est une partie d’une grandeur, la plus petite de la plus grande, quand elle mesure la plus grande.

2. Et multiple, la plus grande de la plus petite, quand elle est mesurée par la plus petite.

3. Un rapport est la relation, telle ou telle, selon la taille, [qu’il y a] entre deux grandeurs du même genre.

4. Des grandeurs sont dites avoir un rapport l’une relativement à l’autre, quand elles sont capables, étant multipliées, de se dépasser l’une l’autre.

5. Des grandeurs sont dites être dans le même rapport, une première relativement à une seconde, et une troisième relativement à une quatrième, quand des équimultiples de la première et de la troisième ou simultanément dépassent, ou sont simultanément égaux ou simultanément inférieurs à des équimultiples de la deuxième et de la quatrième, selon n’importe quelle multiplication, chacun à chacun, [et] pris de manière correspondante.

6. Et que les grandeurs qui ont le même rapport soient dites en proportion

(…)

* * *

DÉFINITIONS (J.F. Gilles. L’auteur a mis en gras les termes définis)

 1. Une grandeur est partie d’une grandeur, la plus petite de la plus grande, quand la plus petite mesure la plus grande.

 2. Une grandeur plus grande est multiple d’une grandeur plus petite, quand la plus grande est mesurée par la plus petite.

 3. Une raison, est certaine manière d’être de deux grandeurs homogènes entr’elles, suivant la quantité.

 4. Une proportion est une identité de raisons. [ même source que l’édition de Clavius ? ]

 5. Des grandeurs sont dites avoir une raison entr’elles, lorsque ces grandeurs, étant multipliées, peuvent se surpasser mutuellement.

 6. Des grandeurs sont dites être en même raison, la première à la seconde, et la troisième à la quatrième, lorsque des équimultiples quelconques de la première et de la troisième, et d’autres équimultiples quelconques de la seconde et de la quatrième sont tels, que les premiers équimultiples surpassent, chacun à chacun, les seconds équimultiples, ou leur sont égaux à la fois, ou plus petits à la fois.

 7. Les grandeurs qui ont la même raison sont dites proportionnelles.

(…)

* * *

DÉfinitions (D.E. Joyce, Clark University, Ma.)

Definition 1 : A magnitude is a part of a magnitude, the less of the greater, when it measures the greater.

Definition 2 : The greater is a multiple of the less when it is measured by the less.

Definition 3 : A ratio is a sort of relation in respect of size between two magnitudes of the same kind.

Definition 4 : Magnitudes are said to have a ratio to one another which can, when multiplied, exceed one another.

Definition 5 : Magnitudes are said to be in the same ratio, the first to the second and the third to the fourth, when, if any equimultiples whatever are taken of the first and third, and any equimultiples whatever of the second and fourth, the former equimultiples alike exceed, are alike equal to, or alike fall short of, the latter equimultiples respectively taken in corresponding order.

Definition 6 : Let magnitudes which have the same ratio be called proportional.

(…)

* * *

En catalan.

Definición 1. Una magnitud es parte de una magnitud, la menor de la mayor, cuando mide a la mayor.

Definición 2. Y la mayor es múltiplo de la menor cuando es medida por la menor.

Definición 3. Una razón es determinada relación respecto a su tamaño entre dos magnitudes homogéneas.

Definición 4. Se dice que las magnitudes guardan razón entre sí cuando, al multiplicarse, puedan exceder la una a la otra.

Definición 5. Se dice que una primera magnitud guarda la misma razón con una segunda magnitud, que una tercera magnitud con una cuarta magnitud, cuando cualquier equimúltiplo de la primera y la tercera exceden a la par, sean iguales a la par o sean inferiores a la par, que cualquier equimúltiplo de la segunda y la cuarta, respectivamente y cogidos en el orden correspondiente.

Definición 6. Se llaman proporcionales las magnitudes que guardan la misma razón.

(…)

* * *

« La propriété de Thalès figure comme proposition 2 du Livre VI des Eléments. Sa démonstration élémentaire par la méthode des aires semble très accessible. Pourquoi Euclide ne la présente-t-il pas plus tôt ?

« En réalité, les rapports de Thalès peuvent être ceux de grandeurs incommensurables. Ils nécessitent donc la théorie des proportions pour être définis. La définition 6 décrit les conditions dans lesquelles on pourra conclure à l’égalité de deux rapports de grandeurs, ou égalité de leurs “raisons”.

« Mais qu’est-ce qu’une raison ? Euclide, qui en donne le mode d’emploi, est bien incapable de le définir, et pour cause : une raison est un nombre réel, dans toute sa généralité. Legendre montrera au début du 19ème siècle toute la difficulté qui se cache derrière la formule de l’aire du rectangle, renvoyant au problème de la mesure des grandeurs.

« La construction des réels ne sera effective qu’en 1872, par Dedekind qui s’est largement inspiré de l’œuvre d’Euclide pour fonder sa théorie des coupures, le problème de la mesure des grandeurs attendra Lebesgue en 1905 pour trouver une réponse satisfaisante. » Henry Michel. Bulletin de l’APMEP

* * *

« L’approche géométrique de la théorie des nombres est clairement celle que nous proposent les Eléments d’Euclide. Ce serait un anachronisme que de vouloir chercher dans ce traité l’assertion que les entiers sont con­tenus dans les réels, puisque n’y apparaissent que les entiers positifs (zéro exclu), et qu’il faudra attendre le dix-neuvième siècle pour que les nombres réels soient définis de façon précise. Mais le livre V des Eléments, celui sur les proportions, joua un rôle décisif dans le genèse des nombres réels chez Dedekind. Et les livres VII à IX exposent les propriétés fondamentales des entiers positifs (nombres premiers, factorisation). Il est intéressant de com­parer les premières définitions du livre V et celles du livre VII

Cinquième livre, Définitions (traduction Peyrard) :

1. Une grandeur est partie d’une grandeur, la plus petite de la plus grande, quand la plus petite mesure la plus grande.

2. Une grandeur plus grande est multiple d’une grandeur plus petite, quand la plus grande est mesurée par la plus petite.

3. Une raison est certaine manière d’être de deux grandeurs homogènes entr’elles, suivant la quantité.

Septième livre, Définitions :

1. L’unité est ce selon quoi chacune des choses existantes est dite une.

2. Un nombre est un assemblage formé d’unités.

3. Un nombre est une partie d’un nombre, le plus petit du plus grand, lorsque le plus petit mesure le plus grand.

« On notera la similitude entre la définition 1 du livre V et la définition 3 du livre VII. Nous pourrions les traduire en disant qu’une grandeur (resp. un nombre) α “est partie” d’une grandeur (resp. d’un nombre β) si un multiple entier de α est égal à β. Les “raisons” (ou proportions) de la définition 3 du livre V seraient des nombres réels positifs… 

(…)

« On parle couramment aujourd’hui de “géométrie arithmétique”. Mais ce syncrétisme terminologique ne doit pas nous cacher la difficulté, sans cesse renouvelée, du rapprochement des différentes branches des mathématiques. L’arithmétique compte mais elle ne sait voir. La géométrie voit mais elle ne sait parler. L’algèbre parle mais elle ne sait compter. » La Géométrie des nombres, Christophe Soulé, IHES, juste en face du Monoprix des Particules élémentaires)

 

Quand « 1 quarteron de froment » et « a kilogramme de fer » s’échangent, c’est qu’ils ont le même prix, c’est que leurs prix sont égaux. Wittgenstein dirait que Marx ne regarde pas où il faut. Comme dans la nouvelle de Poe : la solution est là, bien en évidence, depuis des siècles. Il suffit de regarder au bon endroit. Il faut regarder sur l’étiquette, c’est écrit dessus. L’étiquette est un fait anthropologique. Avez-vous vu des étiquettes chez les sauvages ? Et la loi de l’échange marchand postulée par Ricardo et par Marx est que les temps de travail demandés par la production de ces marchandise sont égaux. Que cette loi soit vraie ou fausse, les produits ne s’en échangent pas moins. Que cette loi soit vraie ou fausse, l’échange marchand a lieu. Que cette loi soit vraie ou fausse, l’usage a lieu. C’est l’usage qu’il faut regarder. Le « rapport d’échange » est l’échange lui-même. L’échange marchand n’est pas une mesure, il n’y a rien qui soit mesure dans le rapport marchand. Il n’y a rien dans l’échange marchand, qui serait un fait anthropologique, qui serait un « rapport », au sens de mesure, au sens de rapporter une grandeur à une autre, au sens de quotient. C’est le familier qui n’est pas pour autant connu. Le prix est bien constitué d’un nombre réel et d’une unité monétaire, mais ce nombre réel n’est pas le résultat d’une mesure, il n’exprime donc aucune mesure et l’argent n’est pas une mesure qui sert à l’échange comme je l’ai lu ici ou là (notamment chez feu Watts, un baba californien, qui disait, depuis sa péniche mouillant dans un port californien, que l’argent était seulement un instrument de mesure et que s’arrêter de travailler parce qu’il n’y a plus d’argent, c’était comme si le contremaître d’un chantier disait soudain aux ouvriers : « Arrêtez les gars, nous n’avons plus de millimètres. » Imbécile). L’argent n’est pas une règle graduée, l’argent est un objet de foi, un objet de confiance, un objet anthropologique. Il est ce dans quoi toute la confiance a émigré. Et par objet, je n’entend pas le vil métal, mais l’institution. On s’arrête de travailler quand il n’y a plus d’argent parce que personne n’a de confiance en dehors de l’argent. Les ouvriers s’arrêtent d’eux-mêmes de travailler quand il n’y a plus d’argent parce qu’il n’ont aucune confiance dans le contremaître. Quand ils n’ont plus confiance dans leur chef, certains indiens se contentent de le déposer. L’argent est un fait anthropologique, un fait social total, qui caractérise la magnifique civilisation présente, fait déjà mentionné dans la Bible, quand Moïse redescend de la montagne. Ce fait anthropologique caractérise la forme qu’a prise la confiance dans ce monde et seulement dans ce monde qui d’ailleurs est affronté présentement aux vestiges d’un autre monde où la confiance manifestait une autre forme. « Réputée » dit Marx qui regarde ailleurs page 53, § 2, du premier volume du Capital : « une équation dans laquelle une quantité donnée de froment est réputée égale à une quantité quelconque de fer…». J’ai, lors de ma lecture du 16 juin 1973, entouré ce mot en rouge. Aujourd’hui, ce mot évoque pour moi la théorie des situations et des verbes d’attitudes basée sur la réputation : chacun sait que…, chacun connaît la situation. Qu’un fait soit « réputé », autrement dit de notoriété publique, célèbre, implique la théorie des situations. On ne peut pas rendre compte de ça avec des « millimètres ». Lors de ma lecture de l’Analyse caractérielle de Reich en 1971, m’est venue l’idée de notoriété publique, autrement dit, au sens strict du mot, de publicité. Ce fut mon premier contact avec une théorie des situations qui n’existait pas encore dans le monde.

Revenons page 52, § 2 : la valeur d’échange apparaît d’abord dans l’expression « telle marchandise vaut tant d’argent », voilà la simple vérité. Pourquoi aller chercher midi à quatorze heures ? Elle apparaît aussi dans l’expression « deux marchandises qui ont le même prix sont équivalentes ». Quoi de plus simple ?

Je laisse ici de côté le fait que l’expression « valeur d’échange » comme l’entend Marx est un non sens. La grammaire de l’expression « valeur d’échange » est que la valeur dont on parle dans cette expression est celle qui se manifeste dans les échanges, et même pas n’importe quels échanges, mais seulement dans les échanges marchands, par opposition, par exemple, avec la grammaire de l’expression : « Hector valait bien Achille » ; ce qui n’est pas du tout ce qu’entend Marx, parce qu’il entend l’expression « valeur d’échange » par opposition à l’absurde « valeur d’usage » qui est en fait l’utilité dans la métaphysique de Smith. Enfin, comme ce genre de valeur ne se manifeste que dans les échanges marchands, il est totalement inutile de préciser « d’échange ». Cela ne fait qu’embrouiller l’affaire et la rendre incompréhensible.

* * *

« Prenons encore deux marchandises… Quel que soit leur rapport d’échange… » Le Capital, Livre 1, Volume 1, page 53.

« La valeur consiste dans le rapport d’échange qui se trouve entre telle chose et telle autre… » (Le Trosne, 1848, cité par Karl)

L’expression « rapport d’échange » est un pur non sens dans ce contexte. Il n’a de sens que par opposition à l’expression « rapport de deux grandeurs » et hors de ce contexte où il peut, si l’on veut, désigner le genre de rapport dont on parle et par opposition au rapport de deux grandeurs. Le rapport dont on parle est un échange et relève de l’anthropologie (et ni de la sociologie, ni de l’économie politique) par opposition au rapport qui est une mesure ou un quotient, qui relève de la physique et des mathématiques. La seule grammaire possible pour « rapport d’échange » est : ce rapport qu’est l’échange, et ce n’est pas du tout ce que dit Marx, et ce n’est pas ce qu’ont compris les centaines de milliers de lecteurs des premières des 2.200 pages du Capital. Qu’ont-ils compris d’ailleurs ? Il n’en ont jamais soufflé mot.

On trouve la même incompréhension de la grammaire chez Smith et Ricardo avec leur « valeur échangeable » (ils écrivent tous deux “exchangeable value” et non “exchange value” ainsi que Turgot dans « Valeurs et mopnnaie ») qui implique que ce soient des valeurs qui s’échangent. Or, regardez l’usage, ce ne sont pas des valeurs qui s’échangent mais des chaussures, du boudin, le l’argent etc. Wittgenstein a raison : ces deux gus sont des malades.

Voilà ce qu’est un non-sens : ce n’est pas parce que l’expression n’a pas de sens qu’elle est un non-sens, mais parce que sa grammaire n’est pas comprise. Dans le cas présent chacun des termes « rapport » et « sens » a un sens bien connu de tous, mais « rapport d’échange » n’en a pas. Si la grammaire de l’expression pouvait parler, elle répondrait : « je ne suis pas celle que vous croyez. » D’ailleurs, on ne peut même pas dire que la grammaire n’est pas comprise — ce qui est le cas quand on entend parler ce qu’on suppose être un langue étrangère et qu’on ne comprend pas. Il n’y aurait alors aucune pathologie — c’est pire : elle est comprise de travers. Le non-sens est une hallucination grammaticale : il n’y a pas seulement interprétation c’est-à-dire substitution de l’expression de la règle (fin du § 201), ce qui est légitime selon Wittgenstein, mais substitution de la règle elle-même. C’est une hallucination. Ainsi, dans l’expression « l’économie existe » prend-on le terme « l’économie » pour le nom propre d’une chose alors que c’est le nom propre d’une classe. Oui, ce nom propre, comme tous les noms propres, désigne bien un objet dans les deux cas, mais une classe n’est pas une chose : elle ne tombe pas sous les sens, elle n’existe pas dans le temps et l’espace, elle ne consiste pas dans ses éléments mais dans le concept, dans le signe de classe, et enfin elle ne satisfait pas au critère de réalité de Lévi-Strauss. Toutes les choses sont des objets mais tous les objets ne sont pas des choses. Le locuteur, comme disent ces messieurs, a donc une hallucination grammaticale : il croit dire quelque chose, mais il ne dit rien ; cependant ses auditeurs croient comprendre quelque chose, ils ont aussi une hallucination grammaticale. Ils communient dans l’hallucination. Avec des jeux de langage du genre « passez-moi le sel » ou « haut les mains ! c’est un hold up » il n’y a aucun risque de ne pas comprendre la grammaire. Tout le monde, protagonistes et témoins peut dire à coup sûr (voire à coups de Colt 45 ou de 38 spécial) si la grammaire est comprise ou non.

Dès ma première lecture du Capital en 1963, je ne pus comprendre ce que ces expressions signifiaient, ce qui était la moindre des choses puisqu’elles n’ont aucun sens dans ce contexte. Mais il me fallut quinze ans pour comprendre qu’elles n’avaient aucun sens. Cependant  je compris immédiatement, en première lecture, que quelque chose n’allait pas, qu’il y avait vice de forme. Je ne suis pas un père Hoquet. Bon chien chasse de race. Je ne fais pas semblant de comprendre. Je ne me laisse pas intimider. Tous ceux qui ont lu Le Capital sans problèmes ne comprennent pas ce qu’ils lisent. Ce livre est lu depuis plus de cent ans sans que personne ne s’aperçoive que ce qui y est écrit est dénué de sens et tout ceux qui s’y sont opposés s’y sont opposés pour de mauvaises raisons. Cela promet. Il y a des gens pour se moquer de l’obscurantisme des musulmans. Critiquer, c’est comprendre. Comment critiquer si l’on ne comprend pas. De même, critiquer la religion, c’est la comprendre et non pas l’insulter — il faut fusiller les caricaturisques qui ont caricaturé le Prophète non pas parce qu’ils         ont insulté le Prophète, mais parce que, ce faisant, ils prétendent critiquer la religion. Cette prétention n’est d’ailleurs pas le fait de ces caricaturistes danois mais de certaines ordures bien françaises que je ne veux pas nommer ici car je ne veux pas salir cette page avec leurs noms —. De même, il est impossible de critiquer le livre de Debord, ce que j’espérai longtemps faire, parce qu’il ne contient que du non-sens ou bien parce que ce qui y possède un sens est trivial et se borne à affubler d’un nouveau nom ce qui était déjà connu sous un autre. L’Occident est terre de soumission et de conformisme. Il y a en Occident une passion pour l’obéissance et le conformisme. L’Occident est le pays de l’originalité de masse. Libres mais soumis. Cercles mais carrés.

* * *

« Quel que soit leur rapport d’échange, il peut toujours être représenté par une équation dans laquelle une quantité donnée de froment est réputée égale à une quantité quelconque de fer… C’est que dans les deux objets différents… il existe quelque chose de commun. Chacun des deux doit, en tant que valeur d’échange, être réductible à un troisième, indépendamment de l’autre. » Le Capital, Livre 1, Volume 1, page 53, § 2.

Le rapport d’échange est l’échange : l’échange est le rapport. Le prétendu rapport d’échange n’est aucun rapport au sens de mesure et le seul rapport, dans le cas qui nous occupe, est l’échange lui-même qui peut avoir lieu ou non et surtout qui peut être effectué en pensée. Cela dit, aucune quantité n’est réputée égale mais échangeable, dans un échange qui peut avoir lieu ou non mais surtout dans un échange qui, dans ce monde, peut être effectué en pensée. Où il y a échange effectué en pensée, il y a échange possible. C’est d’une très grande régularité. Où est donc cette réputation d’égalité dans l’usage ? C’est encore de la métaphysique. Une fois de plus la grammaire n’est pas comprise. Deux marchandises qui ont « même valeur » sont des marchandises qui s’échangent en pensée contre une même quantité d’argent, c’est la pensée qui est la même, dirait Frege et qui est saisie dans le monde, et non que je sais quelle chose qui est égale à une autre. Cela n’entraîne pas que ces marchandises sont égales mais qu’elles sont échangeables et de ce fait échangées, ce qui correspond à une pratique quotidienne chez les commerçants.

Aucune équation ne peut représenter l’échange marchand et l’échange marchand n’est pas lui-même une équation mais… un échange.

Évidemment, puisque Marx pense qu’il s’agit d’une équation, il doit se mettre à la recherche de quelque chose qui soit commun à chaque marchandises afin de pouvoir poser une égalité. Mais même dans le cas où cela serait, il ne s’agirait pas d’une équation. Il a tort, ce n’est pas une substance secrète qui se tiendrait tapie dans les marchandises, mais une institution qui produit cette égalité, si elle a lieu d’ailleurs, ce qui n’est toujours pas prouvé.

Marx a monté cette machine de guerre de 2.200 pages (il appelait ça un fameux missile) pour prouver qu’il y avait exploitation, que le salaire, c’est le vol. Or la question n’est pas là. La question est que le salaire, c’est  la prostitution. « Une cigarette raccourcit la vie de deux minutes. Une bouteille la raccourcit de quatre minutes. Une journée de travail la raccourcit de huit heures » (affichette dans un bistro qui fait face à une usine gigantesque. Il y a encore des usines gigantesques en France. Ce n’est pas les ouvriers qui ont disparu mais le milieu ouvrier. Les ouvriers sont devenus de parfaits employés, des originaux de masse). C’est toute la journée qui est volée, c’est toute la vie qui l’est. Pendant cinq jours : 8 heures d’obéissance + 4 heures de télévision (obéissance encore) + bouffe debout devant le frigo, comme en Amérique ; samedi : autoroute + tondeuse à gazon + groin dans les gondoles (il faut faire des économies) ; dimanche : repos et télévision. Un mois par an : tourisme, ski, plage, vile multitude, le bétail ne se déplace qu’en troupeaux, massacre à Bali ou ailleurs. Bien fait. Tous les quatre ans : vote. En plus ça se reproduit, ça prolifère. Enfants = jouets + allocs (les jouets sont les enfants). Et ça c’est les « inclus ». Les « exclus » n’ont pas droit à cette vie merveilleuse. Les seuls êtres humains qui demeurent sont les flics, les ivrognes et ceux qui votent Le Pen et peut-être ceux qui ne votent pas du tout. Vivement les Turcs, vivement le pal. Vivement la guerre. J’ai toujours entendu « les anciens » raconter « leur » guerre avec ravissement. Il y a bien une raison à ça : la guerre, c’est l’aventure, la seule qui demeure dans ce monde. L’occupation de la Palestine est un simple détail dans l’histoire de la troisième guerre mondiale (réponse du berger au discours du Général — version imprimable).

 

* * *

Page 53, § 4 :« il est évident que l’on fait abstraction de la valeur d’usage des marchandises quand on les échange et que tout rapport d’échange est même caractérisé par cette abstraction. » : c’est la meilleure ! On fait tellement abstraction de l’utilité que lorsque cette utilité disparaît, pour une raison ou une autre (saturation, obsolescence, avarie) l’échange ne peut avoir lieu. Encore une bourde qui vient de l’incompréhension de la grammaire : Marx confond l’acte de l’échange « quand on les échange », le seul rapport qui a lieu ici, le seul qui soit le cas, c’est à dire l’échange marchand, et son cher « rapport d’échange » qui devrait être un rapport au sens de mesure, au sens de rapporter deux grandeurs de même dimension (si elle n’ont pas même dimension, on ne peut pas rapporter du tout). Si vous ne comprenez pas la grammaire, vous vous exposez à dire des absurdités.

Enfin, page 54, § 1, Marx arrive à l’inévitable quand on ne comprend pas la grammaire : « La valeur d’usage des marchandises une fois mise de côté, il ne reste plus qu’une qualité, celle d’être des produits du travail. » Et, § 2, puisque « dans leur production une force de travail humaine a été dépensée » [ non ! pas dans la production mais pendant la production ]  c’est donc que « du travail humain y est accumulée ». Voilà, ça y est, c’est magique. On dirait un sauvage : c’est plein de manitou. Quand le signifiant manque, on met « manitou » à la place. Et là le signifiant manque parce que la phrase est absurde. « En tant que cristaux de cette substance sociale commune [ on est en pleine magie, mais sans le savoir, c’est un espectacle ! c’est un espectacle ! dans les mines de sel de Salzbourg ], ils sont réputés valeur ». Dommage ! Marx avait réellement mauvaise réputation, lui. C’est du Smith et du Ricardo en pire, c’est à dire abouti. Avec Marx les erreurs hésitantes de Smith et de Ricardo aboutissent. Marx y met le paquet. Cela devient de la pure métaphysique.

 

 

Une erreur de Ricardo

 

 

« il n’est point de source d’où aient découlé autant d’erreurs, autant d’opinions diverses, que du sens vague et peu précis qu’on attache au mot valeur » Ricardo. Principes.

 

 « Nous avons regardé le travail comme le fondement de la valeur des choses, et la quantité de travail nécessaire à leur production, comme la règle qui détermine les quantités respec­tives des marchandises qu’on doit donner en échange pour d’autres. » Principes. Chapitre IV.

 

♦ 20-07-207 : Vous pouvez constater que Ricardo, contrairement à Marx, formule convenablement la question : « la règle qui détermine les quantités respectives de marchandises qui seront “données” en échange l’une de l’autre ». Il n’y est question ni d’égalité, ni de proportion mais de quantité respectives dans un échange et de la détermination de ces quantités. Ricardo ne dit pas que le travail produit de la valeur et autres conneries, il dit seulement que les marchandises qui s’échangent ont demandé un égal temps de travail pour leur production. Point final. Pas de délire, pas de substance, chez Ricardo. Il dit seulement que les marchandises qui ont un prix égal ont demandé un égal temps de travail pour leur production.

Si erreur il y a, elle porte sur le mot règle, c’est l’emploi du mot règle qui est une erreur. Ricardo fait de la comparaison des durées de travail la règle qui…, or ces durées de travail sont inconnues (seule est connue la durée de travail impliquée dans la fabrication du produit considéré ; celle impliquée dans les machines, les bâtiments où a lieu la fabrication, les matières premières, les matières auxiliaires, leur transport, et ainsi de suite sont inconnues), cette prétendue règle est donc inapplicable, cette prétendue règle n’est pas une règle. Hegel dirait : une règle qui ne peut être suivie n’est aucune règle, ou bien : il faut appeler mauvaise une règle qui n’est aucune règle.

Le mot juste serait contrainte ou loi dans la mesure où celui qui ne respecterait pas cette contrainte se ruinerait. Dans la pratique, dans l’usage, la règle, simplissime et scrupuleusement suivie, est connue et beaucoup plus simple et elle se confond avec la contrainte : il ne faut pas vendre à perte. Celui qui le ferait se ruinerait.

 

Chapter 4

On Natural and Market Price

In making labour the foundation of the value of commodities,ô and [making] the comparative quantity of labour which is necessary to their production, the rule which determines the respective quantities of goods which shall be given in exchange for each other,ô we must not be supposed to deny the accidental and temporary deviations of the actual or market price of commodities from this, their primary and natural price.

La “comparative quantity” n’est pas la même chose que « la quantité ». Mais c’est encore plus obscur que la traduction française. Que peut bien être une « quantité comparative » ? [ la bonne traduction est « quantité relative » ] Une science comparative est une science qui compare, une science qui recourt à la comparaison. Est-ce à dire qu’une quantité comparative est un quantité qui recourt à la comparaison, c’est à dire une mesure ? Ou bien est-ce la quantité comparable, la quantité qu’il est possible de comparer ? De toute façon, la grammaire n’est pas comprise.

♦ 20-07-207 : En premier lieu : « la règle qui détermine les quantités respectives de marchandises qui seront “données” en échange l’une de l’autre », ce n’est pas la comparaison de la comparative quantity (la quantité comparable, la quantité qu’il est possible de comparer) susceptible de gésir secrètement dans chacune des marchandises {XIe siècle. Ch. de Roland, LXXV : Gesir [nous] porrons au bourc de St Denise. (Littré)}, mais, tout bêtement, la comparaison des prix et cela seulement si l’on veut à toute fin échanger les marchandises directement entre elles, ce qui est l’exception dans le monde marchand. Alors, dans ce cas, grâce à la proportionnalité temporaire des prix et des grandeurs attachées aux marchandises, volume et poids par exemple (pour une courte période et en un endroit, quand on double le volume ou le poids, on double le prix), on égalise les prix en faisant varier l’une de ces grandeurs. 

Notons que Ricardo commet une impropriété : une quantité, comparative ou non, ne saurait être une règle. C’est la comparaison de deux comparative quantities qui peut être une règle. Comparer, c’est toujours suivre une règle. C’est cette règle qui, selon Lebesgue, doit constituer la bonne (et seule) définition de la mesure. Regardez la règle, dit Lebesgue. A moins que Ricardo entende par comparative quantity une quantité qui recourt à la comparaison (de même qu’une science comparative est une science qui compare, une science qui recourt à la comparaison), c’est à dire une mesure. Dans ce cas la traduction française que j’utilise plus haut est fausse et Ricardo ne commet pas d’impropriété. Mais dans ce cas, il commet la même erreur que Marx.

Quant a la vente et à l’achat qui sont la règle dans le monde marchand (et non pas l’échange de marchandises), la seule règle connue et appliquée dans cet échange dissymétrique est de payer le prix demandé. Plus simple, tu meurs. Tout le reste n’est que métaphysique et charabia. Notamment, cette prétendue règle de Ricardo n’en est pas une (au mieux, elle serait une loi) parce qu’elle ne peut pas être appliquée, tandis qu’il est absolument facile de comparer les prix qui ne demandent que ça. Si la conjecture de Ricardo pouvait être prouvée, ce qui demeure à faire, elle serait une loi et non une règle. Et la connaissance de cette loi ne changerait rien dans l’état du monde. Les fabricants n’ont pas besoin de connaître cette loi pour tenter, sans relâche, depuis deux siècles, de diminuer le temps de travail nécessaire à la production d’un article donné — ça diminue sec ces derniers temps. Depuis l’écroulement des prétentions socialistes du concurrent russe, ça bizute sec, à nouveau, comme au bon vieux temps. Même les malheureux Chinois se retrouvent en 1865, livrés sans défense aux barons du rail ou du pipeline, mais dans leur propre pays cette fois —. Je suppose que c’est la constatation de cet acharnement qui aura donné à Ricardo l’idée de sa conjecture et à Marx ensuite. Eux aussi ont regardé l’usage, mais ils en ont tiré de mauvaises conclusions. L’ardeur employée par les fabricants pour diminuer le temps d’obéissance spécifique (c’est à dire le temps d’obéissance par rapport au kilogramme, au mètre, au litre, etc. de marchandise) a induit Marx et Ricardo en erreur. L’obéissance spécifique : que voilà une magnifique nouvelle grandeur. On pourrait parler aussi de densité d’obéissance. Vous aurez remarqué que dès que baisse l’obéissance spécifique, la Bourse monte. L’obéissance spécifique est la grandeur que les fabricants rêvent de réduire à zéro dans un combat de tous les instants. Carlos Ghosn est le prince des cost killers. C’est ce combat furieux, implacable, qui fait que les marchandises qui ont le même prix ont peut-être demandé un égal temps de travail pour leur fabrication et non pas une mystérieuse vertu du travail qui serait de “donner” de la valeur. La valeur n’est pas une substance, la valeur n’est pas une grandeur, la valeur n’est même pas un nombre mais seulement la mention d’un nombre. La recette est connue depuis longtemps, depuis le tout début du capitalisme, c’est à dire le début du commerce généralisé. Weber se pose des questions sur la nature du capitalisme. Le capitalisme, c’est le commerce généralisé. Il s’agit d’un mouvement contraire à ce qui se produit dans l’art : l’art aboutit à un art pour artistes tandis que le commerce qui part d’un commerce pour commerçants aboutit au commerce pour tous et pour tout. Ce qui caractérise le commerce généralisé est que les commerçants se chargent eux-même de l’exploitation des esclaves.

A la rigueur, une quantité arbitraire d’une certaine grandeur (temps, longueur, poids, etc.) choisie comme unité de mesure peut être appelée quantité comparative, car elle est choisie précisément pour être sans cesse comparée aux quantités quelconques de cette grandeur (temps, longueur, poids, etc.) Mais, manifestement, ce n’est pas cela que dit Ricardo. La « quantité comparative » de Ricardo est la quantité de temps d’obéissance demandée pour la production de chaque « bien » et non une unité de mesure.

29-12-2006 : « Quantité comparative » signifie donc chez Ricardo « la quantité que l’on compare ». C’est donc une absurdité parce que personne ne connaît cette quantité qui est strictement inconnue et qui le sera sans doute toujours. Comment pourrait-on comparer des quantités inconnues ? Que la quantité de travail (en fait la durée d’obéissance) demandée par les marchandises qui s’échangent soit égale devienne une loi, si cette conjecture de Ricardo et de Marx est prouvée, elle n’en deviendra pas pour autant une règle qui pourra être suivie. La seule règle suivie par tous les enculistes est : toujours le moins de salaire possible et toujours le plus de produit fini possible et par intensification du travail (ça intensifie sec ces derniers temps, bien fait !) et par recours à des machines de plus en plus puissantes. Autrement dit, tout le monde cherchant à enculer tout le monde fait que personne n’encule personne et que, finalement, les marchandises qui s’échangent ont demandé un égal temps d’obéissance. A ce jour, cette loi hypothétique n’est pas prouvée. Elle le sera peut-être, quoique les comparative quantities ne soient pas comparables parce qu’inconnues, grâce à un modèle construit sur des axiomes avec la contrainte unique : celui qui ne suivrait pas cette loi se ruine. Même si cette loi est prouvée de cette manière, la comparative quantity demeurera inconnue et donc incomparable. Enfin, absurdité supplémentaire, cette règle n’en n’est pas une : comment serait-il possible de suivre une règle qui porte sur une grandeur que personne ne peut mesurer ? Le mot qui convient est le mot « loi » au sens de Newton, évidemment. Ricardo est un individualiste méthodologique : il prétend partir de l’échange individuel pour expliquer ce qui n’est explicable que par un monde grouillant d’enculistes tout occupés à s’enculer les uns les autres.

La quantité de temps (durée), comme toute quantité mesurée, est le produit de l’unité par un nombre réel, ce nombre réel provenant de la mesure qui consiste à rapporter la quantité à mesurer à la quantité unité — après l’invention des horloges, qui sont des compteurs de périodes de pendules, c’est un angle qui sera mesuré, radian, grâce au mouvement d’une aiguille animée d’un vitesse angulaire constante et le temps sera obtenu par la division de x radian par k radian, k radian étant l’angle (en toute rigueur : la mesure de l’angle*) décrit par l’aiguille pendant la quantité de temps unité (le radian, unité d’angle internationale, « est l’angle qui ayant son sommet au centre d’un cercle, intercepte sur la circonférence de ce cercle, un arc d’une longueur égale à celle du rayon du cercle. » Petit Larousse.). C’est cette vitesse angulaire constante qui sera choisie universellement comme « substance » et, pour unité, la seconde (la véritable unité universelle devrait être la vitesse de la lumière qui vaudrait alors 1, ce qui simplifierait les équations de la relativité. La seconde est un archéo-unité comparable à la toise), c’est à dire le « temps » qu’il faut à l’aiguille pour décrire un angle de 2p radian/3600/12 pour la petite aiguille des horloges, 2p radian/3600 pour la grande aiguille et 2p radian/60 pour l’aiguille des secondes dite trotteuse, la rotation de la terre sur son axe servant de régulateur, le soleil de repère avec de multiples corrections, (temps vrai, temps moyen, angle horaire, ascension droite [ Observatoire de Paris], glossaire [ Bureau des Longitudes ]). Les nombres 60, 3600 sont arbitraires et proviennent, je suppose, des coutumes des astronomes sumériens qui, il y a 5.000 ans, utilisaient une base 60 pour leur numération. Plus généralement, la grandeur mesurée dépendra d’une grandeur dépendant elle-même du temps : vitesse angulaire (radians par seconde, on mesurera un angle), débit d’eau ou de sable (volume par seconde, on mesurera un volume), périodes par seconde, on comptera les périodes. Le cadran des horloges est en fait un compteur de périodes d’un pendule) —. « Respectivement » comme dit Ricardo, ces quantités sont… égales. Et ce n’est pas cette égalité qui « détermine » quoi que ce soit. Cette égalité est un résultat et non une cause. D’ailleurs, Ricardo connaît très bien cette cause.

*. Évidemment, la métonymie foisonne dans ce genre de jeux de langage : « Donnez moi une mesure de blé ». « Mesure » désigne l’instrument de mesure, la contenance de l’instrument qui est la véritable quantité-unité, et le contenu de l’instrument et l’acte de mesurer, l’acte de rapporter, l’acte d’effectuer un rapport. Le contexte donne le sens, démerdez-vous. Avec le temps, cela devient inextricable : l’unité de quantité de temps est donc comme l’arlésienne : on en parle toujours mais on ne la voit jamais. Manifestement, les grandeurs longueur et temps sont indissociables.

Ce matin, en feuilletant au hasard Rostow, Comment tout a commencé, Hachette, 1976, pour me mettre en appétit, je tombe sur un précurseur de Smith et Ricardo qui connaît très bien cette raison et qui n’a rien à envier aux féroces rentiers d’affaires d’aujourd’hui :

 « Le commerce avec les Indes orientales n’est pas un mauvais moyen d’introduire plus d’artistes, plus d’ordre et de régularité dans nos manufactures anglaises. Il doit mettre fin à celles qui sont les plus inutiles et les moins rentables ; les gens qui y sont employés doivent se tourner vers les autres, celles qui travaillent le plus simplement et le plus facilement, ou vers des manufactures dans d’autres domaines — parmi les plus variées... Le commerce des Indes orientales procure les choses avec une main-d’œuvre moins nombreuse et meilleur marché que celle qui serait nécessaire en Angleterre ; ce sera donc très probablement la cause de l’invention d’arts, de métiers et de moteurs qui économiseront le travail manuel* dans d’autres manu­factures... et par conséquent abaisseront peut-être le prix des manufactures. »

Considérations sur le Commerce avec les Indes orientales, pamphlet anonyme, 1701, Henry Martyn, Inspecteur général des Importations et Exportations.

*. La recette pour faire du profit ou conserver son taux était déjà parfaitement connue en théorie à cette époque : payer moins l’obéissance (en Inde elle est non seulement moins payée mais seuls les tisserands indiens avaient l’habileté requise pour tisser avec une chaîne — par opposition à trame — en fragiles fils de coton) ou diminuer le nombre des prostitués pour une production donnée (en Angleterre, grâce aux nouvelles techniques et machines qui elles, « sauront » tisser avec une chaîne en fil de coton) et, évidemment, une combinaison des deux. A cette époque, il était impossible d’augmenter la durée journalière d’obéissance car elle était déjà à son maximum : plus grande, tu meurs puisque telle qu’elle est, tu meurs déjà.

La grammaire n’est pas comprise : non, la quantité (ni la quantité comparative) de travail nécessaire à leur production n’est pas la règle qui détermine les quantités respectives des marchandises qu’on doit donner en échange pour d’autres. La règle* est que les quantités de travail sont égales (en fait les durées de travail, c’est-à-dire les quantité de temps d’obéissance. J’aime bien la grammaire. Foi d’ajusteur mécanicien, j’aime tout ce qui est précis). Ni une quantité, ni une grandeur, ne peuvent être une règle ou une loi. Quant à une quantité comparative, je ne comprends pas ce que ça peut être.

*. Le mot règle est impropre d’ailleurs. Il serait très difficile d’appliquer cette règle puisque le calcul de la durée de travail nécessaire est impossible. (C’est le calcul des coûts de production qui est possible et d’ailleurs pratiqué. Il est possible parce que, dans le monde marchand chaque chose n’a pas seulement un nom mais aussi un prix.) Là encore, la grammaire n’est pas comprise. Il s’agit d’une loi (parfaitement invisible et parfaitement inconnue — les règles peuvent l’être aussi : « suivre la règle est une pratique » par opposition à est une interprétation, § 202, Recherches philosophiques, Wittgenstein  — avant que d’être découverte, comme sont toutes les lois des phénomènes) qui ne peut être prouvée que par l’établissement d’un modèle, ce qui, à ma connaissance, n’est toujours pas fait.

C’est bien Smith qui infecte Marx avec cette sottise du travail-substance, du travail matérialisé ou  incorporé dans les marchandises. Ricardo se contente d’affirmer que le travail est le fondement de la valeur ce qui est discutable, mais que je ne discuterai pas ici.

En fait Ricardo y contribue puisqu’il écrit « la quantité de travail fixée dans la production d’une chose ». Ce n’est plus dans la chose que la quantité de travail se « fixe » mais dans sa production. Or là aussi, la grammaire n’est pas comprise. Le quantité de travail n’est pas fixée, elle  est employée ou utilisée. Exactement : c’est le prostitué qui est employé ou utilisé pendant la durée de sa soumission. Le prétendu contrat de travail est en fait une convention d’obéissance, convention s’entendant aussi bien au sens de contrat signé qu’au sens de David Lewis (pas celui qui prend, chaque matin, son bain dans la liberté, celui-là c’est Bernard)

 « La valeur d’une marchandise, ou la quantité de toute autre marchandise contre laquelle elle s’échange, dépend de la quantité relative de travail nécessaire pour la produire et non de la rémunération plus ou moins forte accordée à l’ouvrier.

« La rémunération accordée à l’ouvrier varie suivant la nature du travail ; mais ce n’est pas là une des causes qui font varier la valeur relative des différentes marchandises.

« La valeur des marchandises se trouve modifiée, non-seulement par le travail immédiatement appliqué à leur production, mais encore par le travail consacré aux outils, aux machines, aux bâtiments qui servent à les créer.

« L’emploi des machines et des capitaux fixes modifie considérablement le principe qui veut que la quantité de travail consacrée à la production des marchandises détermine leur valeur relative.

« Le principe qui veut que la valeur ne varie pas avec la hausse ou la baisse des salaires, se trouve encore modifié par la durée du capital et par la rapidité plus ou moins grande avec laquelle il retourne à celui qui l’a engagé dans la production. »

Ricardo. Principes

 

 

Encore un peu de dictionnaire
Dictionnaire de l’Académie
Je sais que ça énerve les petits cons

 

économie : n. f. XIVe siècle, yconomie. Emprunté du latin œconomia, « disposition, arrangement (d’une œuvre littéraire) », du grec oikonomia, « administration d’une maison ».

I. Dans le domaine privé.

1. Vieilli. Art de gérer les ressources d’un ménage, de conduire une maison, d’administrer un capital ou un revenu. On voit régner chez lui une économie admirable. Par extension. Art d’administrer un patrimoine, une entreprise, afin d’en tirer le meilleur parti. Économie domestique. Économie privée.

2. Réduction de la dépense dans la gestion des biens, en évitant les frais inutiles. Avoir le sens de l’économie. Faire des économies de combustible, de carburant, en diminuer la consommation. Expressions. C’est une économie de bouts de chandelle, voir Bout. Par mÉtonymie. Au pluriel. Somme d’argent qui est ainsi épargnée. Faire des économies. Placer ses économies à la Caisse d’épargne. Il a dilapidé toutes ses économies. Expression. Il n’y a pas de petites économies.

3. FigurÉ. Une économie de temps, une économie d’énergie, une moindre dépense de temps, d’énergie. Locutions. Faire l’économie de, éviter. Il a fait l’économie de bien des fatigues en refusant de s’engager dans cette affaire. Travailler à l’économie, tenter d’obtenir un résultat acceptable avec le moins d’efforts possible. SpÉcialement. Limitation voulue par l’écrivain, par l’artiste, de ses moyens d’expression. Écrire sobrement avec une habile économie de mots. Peindre avec une grande économie de couleurs.

II. Dans le domaine public.

1. À l’origine, art d’administrer les richesses de la Cité, de l’État.

2. Ensemble des activités humaines et des ressources concourant       

[ Ce sont les activités et les ressources qui concourent. Une ensemble ne peut concourir. La grammaire n’est pas comprise. ]       

à la production et à la répartition des richesses. L’industrialisation d’un pays est le plus souvent à l’origine du développement de son économie.      

[ Ce sont les activités et les ressources qui sont développées et non l’ensemble. Un ensemble ne peut être développé. La grammaire n’est pas comprise. Les honorables académiciens n’y sont pour rien. Il ne font que se conformer à l’usage, ce qui est de leur strict devoir. Ce dernier n’est pas de lutter avec les poëtes. Le commerce, qui n’est pas un ensemble, peut être développé. Selon ce même dictionnaire, un ensemble est un tout. Or un ensemble est seulement un tout pensé, un ensemble est un tout qui consiste dans le concept et non dans ses éléments (Frege). Seul un tout concret peut être développé. Un tout concret consiste dans ses éléments. Un tout concret n’est pas un ensemble. En fait, il se développe lui-même ].

Économie agricole, commerciale, industrielle, organisation générale de ces activités. Économie capitaliste, socialiste, libérale, planifiée, dirigée. Économie mixte. Économie de marché. Économie fermée d’un État vivant en autarcie.

3. Économie politique, étude des faits relatifs à la production et à la répartition des richesses d’une nation. Un traité d’économie politique. Certains affirment que le père de l’économie politique n’est pas Adam Smith, mais Quesnay.

III. Harmonie existant entre les différentes parties d’un corps organisé, tendant à en assurer le bon fonctionnement. Tout excès trouble l’économie du corps humain, du corps social. L’économie animale, végétale. SpÉcialement. Disposition équilibrée des parties qui composent un ouvrage littéraire ou scientifique, une œuvre d’art. L’économie d’un roman, d’une pièce de théâtre. Révéler l’économie d’un projet, sa substance, ses grandes lignes.

 

 

Un peu d’Adam Smith maintenant

« Du prix réel et du prix nominal des marchandises,
ou de leur prix en travail et de leur prix en argent »

(Une Enquête… Traduction Garnier, Livre I, chapitre V)

 

 

« Un homme est riche ou pauvre, suivant les moyens qu’il a de se procurer les choses nécessaires, commodes ou agréables de la vie*. Mais la division une fois établie dans toutes les branches du travail, il n’y a qu’une partie extrêmement petite de toutes ces choses qu’un homme puisse obtenir directement par son travail ; c’est du travail d’autrui qu’il lui faut attendre la plus grande partie de toutes ces jouissances ; ainsi, il sera riche ou pauvre, selon la quantité de travail qu’il pourra commander ou qu’il sera en état d’acheter.

*. Voilà donc, esquissé en trois mots, tel qu’il le serait par un lever de soleil sur une porcherie, un monde plein d’esprit. Comfort ! Comfort ! Tout l’idéal bourgeois est là. Rétrospectivement, on entend déjà Orginet, Porginet et Ford, Ford (un supporter de Hitler) mais aussi l’immortel Pompidou des sous. De même que, pour complaire à l’infini, Hegel disait que l’être du fini devait être son non-être, l’idéal du bourgeois est un non-idéal. Hitler n’eut aucun mal à s’imposer face à un tel idéal puisqu’il sut promettre aux Allemands qu’ils seraient tous comme de dieux. De même, l’émir Ben Laden and his followers n’ont aucun mal à recruter. Il ne faut pas confondre les richesses et la Richesse. Les richesses se consomment, le groin dans l’auge. La Richesse, non, elle s’exerce. Quand, aux pieds de tilleuls séculaires, je bois un dry martini, je ne le fais jamais sans porter un toast aux siècles : to you my noble linden trees, to you. Du bon Usage de la fortune.

« Ainsi, la valeur d’une denrée quelconque pour celui qui la possède et qui n’entend pas en user ou la consommer lui-même, mais qui a intention de l’échanger pour autre chose, est égale à la quantité de travail (a) que cette denrée le met en état d’acheter ou de commander.

a.                               Non, la valeur n’est pas égale à une quantité de travail, la valeur, à proprement parler, n’est pas non plus égale à une durée de travail, la valeur n’est pas non plus égale à une quantité d’argent, la valeur est l’idée d’une quantité d’argent, c’est à dire le sens d’une expression, expression souvent matérialisée, sous une forme condensée, par une étiquette. Sous la forme développée, la valeur d’une marchandise x est le sens de l’expression (une pensée donc, selon Frege) « il est possible — et seulement possible — que la marchandise x s’échange contre la quantité d’argent y » et la loi de cet échange, dit échange marchand, est que la production de la marchandise x et la production de la quantité d’argent y (quand il s’agit de métaux) ont demandé des durées de travail égales. C’est la seule manière propre de dire les choses. Comme je le disais en 1976 dans mon Enquête, la valeur est donc l’idée d’un échange, un échange effectué en pensée. Les marchandises s’échangent en pensée avec une quantité d’argent et du fait que cet échange s’effectue en pensée, il est seulement possible. Comme le notera plus bas Smith en citant Hobbes, c’est seulement le propriétaire d’argent qui décidera si l’échange aura lieu, si la marchandise s’échange effectivement et non plus seulement en pensée. Comme le dit très bien Smith, le pouvoir que confère la possession d’argent est le pouvoir d’acheter. Ce pouvoir n’a rien d’économique (si ça vous amuse d’appeler ce pouvoir économique, je n’y vois pas d’inconvénient, c’est comme le pouvoir dormitif de Molière, cela n’explique rien) mais est un fait anthropologique aussi mystérieux que le don, c’est le familier qui n’est pas connu parce que familier, c’est comme l’air que l’on respire dira Marx. La formule barwisienne en est : chacun croit (verbe d’attitude) que l’argent a le pouvoir d’acheter ; chacun connaît (verbe d’attitude) la situation (ce qui signifie que chacun sait que chacun croit que l’argent a le pouvoir d’acheter). Voilà donc nos fameux individus égoïstes croyants, exactement comme des musulmans. Ils ont confiance dans l’argent au lieu d’avoir confiance dans Allah. C’est la seule différence.

« Le travail est donc la mesure réelle de la valeur échangeable (b) de toute mar­chandise.

b.                               Cette expression est dénuée de sens puisque ce ne sont pas des valeurs qui s’échangent (il ne s’agit pas d’un échange d’idées ! Quand « valeurs » signifie titres, obligations, actions, effets de commerce, billets à ordre et lettres de change, alors l’expression a un sens mais il ne s’agit pas de cela ici) mais des marchandises, l’argent, sous sa forme métallique étant une marchandise comme une autre, fruit du travail des mineurs et des graveurs et des estampeurs. Et le travail n’est la mesure de rien du tout. Ces expressions sont dénuées de sens. Chacun croit comprendre quel est leur sens, mais il s’agit d’une illusion, d’une maladie dirait le docteur Wittgenstein. Simplement la grammaire de ces mots n’est pas comprise. Le crétin Walras, un copain du crétin J-B Say, va jusqu’à confondre marchandise et valeur et attribue même à Smith la même confusion (Mémoire sur l’origine de la valeur d’échange). Smith ne dit pas, comme le dit froidement Walras, que les marchandises sont des valeurs, il dit seulement que les marchandises ont une valeur échangeable, ce qui évidemment peut prêter à confusion. Au passage, je découvre que cette fameuse « valeur d’échange » est une invention française. Smith n’a pas écrit exchange value mais exchangeable value (je suppose que Marx a lu Smith et Ricardo en anglais. Il  a donc lu « valeur échangeable » — comme dans exchange control, exchange law, exchange rate, exchange restrictions — et non « valeur d’échange ». Il a pourtant révisé la traduction française du Livre I. Dans ce cas il est possible que cette « valeur échangeable » l’ait induit à concevoir une substance mesurable et mesurée reposant dans les marchandises). Ricardo reprend les termes de Smith, puis très vite ne parle que de valeur tout court. Aux textes citoyens. Je dirais plutôt d’ailleurs, comme l’anglais m’y autorise, « la véritable mesure de la valeur », car une mesure n’est pas réelle, une mesure n’est pas une chose mais un fait, une pensée vraie, selon Frege. On peut traduire real world par monde réel mais non real measure par mesure réelle, car il n’existe pas de mesures irréelles (contrairement aux mondes). Une mesure n’est pas réelle ou non, elle est effectuée ou non, elle a lieu ou non. Les mesures sont vraies ou fausses, plutôt exactes à une certaine erreur près, l’évaluation de cette erreur sur les produits, quotients, somme des mesures faisant d’ailleurs l’objet d’un calcul.  Dans l’opération de mesure, on rapporte une grandeur à une grandeur unité, le résultat est un nombre dit réel. Le but de l’opération de mesure est de déterminer un nombre réel. Ce nombre est le résultat de l’opération de mesure. Mais il n’y a rien de plus irréel que les nombres réels. Cela dit, la durée de travail est une grandeur de dimension temps et non de dimension travail, c’est à dire le produit d’un nombre réel et d’une unité de temps (sans oublier que la dimension temps pose problème. Il n’a pas une science du temps comme il y a une science de l’espace, espace, soit dit en passant, qui demeure non définissable : c’est pourquoi il a fallu axiomatiser, il y a plus de deux mille ans). Mais elle ne saurait être la mesure de la valeur puisque la valeur n’est pas une grandeur mais un fait. Un fait étant une pensée vraie, comment est-il possible que la pensée d’un échange seulement possible soit toujours vraie ? Ce n’est pas la pensée de l’échange qui constitue la valeur, mais le fait, dans le monde marchand, de son association à toute choses. Dans le monde marchand, les choses n’ont pas seulement une classe (un nom commun), elles ont aussi une valeur. Quand elles sont totalement dépréciées, elles ont encore une valeur : une valeur nulle. La valeur nulle signifie qu’aucun échange possible n’est associé à la marchandise. On peut la mettre au rebut. La valeur nulle est à la valeur ce que l’ensemble vide est aux ensembles.

Pendant que j’y suis : Ne pas confondre la possibilité de l’échange et sa probabilité. Sa possibilité résulte de l’association de la pensée d’un échange à toute chose. La probabilité de l’échange résulte de l’offre et de la demande. Quand à la loi de l’échange marchand, elle est que les produits qui s’échangent ont demandé pour leur production des durées de travail égales. Le vendeur qui ne respecte pas cette loi se ruine. Si la probabilité de l’échange, comprise en 0 et 1 tend vers zéro, il sera ruiné aussi. Le commerce repose sur la séparation : il l’engendre, il en vit. Blague du Sentier : il vend à perte. Ça ne fait rien, il se rattrape sur la quantité. C’est ce qui assure la loi de l’échange marchand. On ne peut vendre à perte indéfiniment. Les féroces financiers qui veulent rétablir un merveilleux profit de 15% sont ricardiens. Ils savent bien que le profit est une rente, une soustraction et non une addition. Que faut-il faire pour créer un puits de profit ? Il faut faire un « plan social » (vocable LQR), il faut supprimer du travail, il faut faire un puits de coûts de production et le juteux profit s’écoulera vers ce puits par simple gravité, tant que les concurrents et néanmoins confrères n’auront pas, eux aussi, creusé un puits , car alors les puits de profits se combleront, de même qu’un fleuve finit par atteindre son profil d’équilibre. Sur une terre plus fertile, il faut moins de travail et moins de fumier pour obtenir une quantité égale ou même supérieure de blé. La rente provient de l’économie, la seule que je connaisse, de travail et de fumier, choses fort semblables pour un financier. Le profit est du même type que le péage de la Roche à Foulques. C’est quand même une rente. Le surprofit est du même type que la rente foncière agricole. Pour le propriétaire de la terre la plus pauvre, il n’y a pas de rente.

 « Chacun étant libre d’employer son capital comme il lui plaît, il est naturel qu’il cherche à le placer de la manière la plus avantageuse ; il ne se contentera pas d’un profit de 10 pour cent, si, par un autre emploi, il peut en tirer 15 pour cent. Ce désir inquiet, qu’a tout capita­liste, d’abandonner un placement moins lucratif pour un autre qui le soit davantage, tend singulièrement à établir l’égalité dans le taux de tous les profits, ou à en fixer les proportions de telle sorte que les individus intéressés puissent estimer et compenser entre elles tout avantage que l’un aurait ou paraîtrait avoir sur l’autre. » Ricardo. Principes, Chapitre IV.

Le féroces rentiers d’affaire d’aujourd’hui ont lu Ricardo et ce « 15 pour cent » les a visiblement marqués.

 « Le prix réel de chaque chose, ce que chaque chose coûte réellement à celui qui veut se la procurer, c’est le travail et la peine qu’il doit s’imposer pour l’obtenir. Ce que chaque chose vaut réellement pour celui qui l’a acquise et qui cherche à en disposer ou à l’échanger pour quelque autre objet, c’est la peine et l’embarras que la possession de cette chose peut lui épargner et qu’elle lui permet d’imposer à d’autres personnes. Ce qu’on achète avec de l’argent ou des marchandises est acheté par du travail, aussi bien que ce que nous acquérons à la sueur de notre front. Cet argent et ces marchandises nous épargnent, dans le fait, cette fatigue. Elles contiennent la valeur d’une certaine quantité de travail (1), que nous échangeons pour ce qui est supposé alors contenir la valeur d’une quantité égale de travail (2). Le travail a été le premier prix, la monnaie payée pour l’achat primitif de toutes choses (3). Ce n’est point avec de l’or ou de l’argent, c’est avec du travail que toutes les richesses du monde ont été achetées originairement (4) ; et leur valeur pour ceux qui les possèdent et qui cherchent à les échanger contre de nouvelles productions (5), est précisément égale à la quantité de travail qu’elles les mettent en état d’acheter ou de commander (6). »

1. Certainement pas. Tout ce qu’on peut dire à proprement parler est que leur production a demandé une égale durée de travail. Une durée de travail étant une mesure, deux durées de travail peuvent être égales. Que celui qui comprend ce que signifie « une quantité de travail » me l’explique (dans ce contexte, évidemment, non pas dans celui de la physique classique ou la grandeur travail a pour dimensions ML2T-2. La production d’objets met en œuvre de l’énergie, du travail au sens de la physique classique, énergie qui, dans le monde marchand est aussi une marchandise mais la loi de l’échange marchand n’est pas que deux marchandises qui s’échangent ont demandé une même quantité d’énergie. Il faudrait vérifier ce point)

2. Certainement pas. Ces marchandises ne contiennent rien du tout de ce genre d’être qui serait « une quantité de travail ». Simplement, elles ont demandé (figure de rhétorique, les marchandises ne demandent jamais rien), plutôt leur production a demandé (autre figure de rhétorique) une égale durée de travail (en négligeant ici les diverses qualification des travailleurs. “The different degrees of hardship endured, and of ingenuity exercised, must likewise be taken into account.”). Nuance, de taille.

3. Non, jamais, pure calembredaine. D’abord un prix n’est pas une monnaie, mais une quantité de monnaie, plus exactement encore l’idée d’une quantité de monnaie. Il faut être précis en toutes choses. D’autre part, on ne « paye pas la monnaie » mais ses domestiques ou ses ouvriers par exemple. On paye avec de la monnaie (en fait, la traduction me paraît fautive. “Labour was the first price, the original purchase money that was paid for all things.” C’est la « monnaie d’achat » qui est primitive, originaire, originelle ; « monnaie d’achat » semble un pléonasme mais peut se comprendre par opposition à monnaie de compte, par exemple. Je lis donc : « la monnaie d’achat originelle qui fut payée pour toute choses ». Et dans ce cas « monnaie payée » se comprend comme « monnaie payée au vendeur », ce qui corrobore le sens de « monnaie d’achat », monnaie payée par l’acheteur au vendeur. D’ailleurs, en citant Hobbes, Smith se rattrape sur ce point). Ni le travail, ni sa durée ne sont de la monnaie et encore moins des prix, c’est à dire l’idée d’une quantité d’argent, souvent matérialisée par une étiquette (« matérialiser » dans ce sens là, le sens Mandrake, esprit qui se matérialise, d’accord)

4. Non jamais, nulle part, mais avec de l’argent ou par échange de marchandises. La loi de cet échange est que les marchandises ont demandé, pour leur production (contrairement au canon pour se refroidir après avoir tiré un coup) non pas un certain temps, mais… des temps égaux, plus exactement, des durées de travail égales. — Je ne peux dire sans impropriété « des quantités de temps égales » car veuillez remarquer que « A la science de l’espace, la géométrie, ne correspond aucune science analogue du temps. » (Hegel, encore lui)*. Je n’ai donc pas le droit de parler de temps égaux comme c’est le cas pour des grandeurs spatiales. Mais des durées de travail peuvent être égales. Attention aux dimensions —. C’est la loi de l’échange marchand que Marx victime de Smith et même de Ricardo ont confondu avec une substance, avec du temps matérialisé ou cristallisé dans les marchandises et autres sornettes. Ils ont confondu loi et chose, ou loi et fait. 1) Le fait est l’échange marchand qui repose sur la foi. Il faut avoir confiance dans l’argent pour échanger des choses utiles contre quelque chose qui n’a aucune utilité sinon celle de « pouvoir d’acheter », ce qui explique d’ailleurs que « la mauvaise monnaie chasse la bonne » 2) la loi est la loi de cet échange, formulée la première fois correctement par Ricardo, 3) la valeur n’est que cet échange effectué en pensée 4) la valeur est elle-même un fait, caractéristique du monde marchand, même si elle avait déjà lieu du temps d’Aristote. Simple, n’est-ce pas ? Pendant des années, j’ai lu l’indigeste littérature qui traite de la question, je me répétais la valeur est un rapport…, la valeur est un rapport… Or la valeur n’est pas un rapport, le rapport c’est l’échange (ce qui est une tautologie : le rapport, c’est le rapport). La valeur est l’idée d’un rapport. Voilà la grammaire correcte.

*. « La mécanique relativiste étant quasiment identique à la mécanique de l’équilibre, elle est plus simple que la mécanique classique. [ ah ! heureusement ]

» Les formules de l’électromagnétisme se simplifient quand on les traduit dans les termes de l’espace à quatre dimensions : les quatre équations de Maxwell en deviennent automatiquement deux. Chacune de ces deux équations est une équation quadrivectorielle, dont l’égalité des composantes temporelles dans un repère choisi équivaut à une équation de Maxwell scalaire et l’égalité des composantes spatiales équivaut à une équation de Maxwell vectorielle. On voit ainsi que la distinction entre ces deux équations est purement artificielle.

» Et une telle formulation simplifiée unifiant champ électrique et champ magnétique nécessite d’adopter des notations dont la définition repose de manière cruciale sur la notion d’espace-temps à quatre dimensions. Elle ne peut donc pas se concevoir autrement que dans le cadre relativiste.

» Le problème est qu’on vous fait apprendre habituellement les opérateurs vectoriels en dimension 3 qui interviennent dans les équations de Maxwell de telle sorte que vous n’ayez pas la moindre chance d’imaginer comment cela se généralise en dimension 4 (il faudrait pour faire les choses proprement introduire le calcul tensoriel), mais vous pouvez tout de même admirer la symétrie des rôles entre temps et espace, champs électrique et magnétique, par la manœuvre inverse : Prenez les quatre équations de Maxwell, décomposez-les suivant toutes les composantes dans un repère orthonormé fixé, comme des équations scalaires séparées utilisant les dérivées partielles. Réordonnez le tout, admirez le résultat et faites-en un tableau. [ ah ! oui, magnifique ! ]

» Ensuite, ces deux équations peuvent se condenser de deux manières au choix en une seule équation également très simple, dont l’une par les potentiels [ revoilà les popotentiels ] (comme les équations de Maxwell dans un référentiel se traduisent par deux équations sur les potentiels), et l’autre en termes spinoriels [ et les termes spinoriels ].

 » Plus généralement, toute la physique moderne de haut niveau (physique des particules...) repose étroitement de cette manière sur la Relativité (au moins la restreinte), de telle sorte sans elle il n’y a plus de physique moderne du tout. »

Présentation géométrique de la relativité restreinte par le Dr Poirier. La géométrie serait donc aussi une science du temps ! J’espère que nous pourrons négliger cela pour la question qui nous occupe qui est la grammaire du mot « valeur ». J’ai vu chez M. Poirier quelque chose qui ressemble à une logique des situations où il est dit que la connaissance de la situation est généralement petite et qu’il faut donc la rendre grande.

5. Non. Je n’ignore pas la pratique courante de l’échange de marchandises mais la règle générale est d’échanger les marchandises contre de l’argent et l’argent contre des marchandises (ce qui a lieu aussi, instantanément, par résolution d’un système de deux équations à deux inconnues, dans l’échange de marchandises). Voici la formule barwisienne : il est possible que la marchandise x (x de type chose :  objet qui existe dans le temps et l’espace) s’échange contre la quantité y d’argent (y de type quantité d’argent qui, dans le cas de la monnaie fiduciaire ou scripturale, repose aussi sur la foi, sur la confiance, ce qui constitue une confiance de second ordre : confiance dans la confiance). Il est certain que la quantité y d’argent peut s’échanger contre la marchandise x selon le bon plaisir du propriétaire (pouvoir d’acheter) de la quantité y, ceci tant que la quantité y sera associée à la marchandise x. Le vendeur et l’acheteur connaissent (verbe d’attitude) la situation (tous savent que tous croient que…). Il est bien connu que le pouvoir de l’argent est bien connu et, le pouvoir de l’argent consiste dans le fait qu’il et bien connu que le pouvoir de l’argent est bien connu. Le pouvoir de l’argent est célèbre. Quant à la loi de cet échange, elle est que la production des marchandises qui s’échangent, x de type chose et y de type quantité d’argent (parfois une chose, parfois une chose virtuelle qui repose aussi sur la foi — monnaie fiduciaire), a demandé des durées de travail égales (dans le cas de la monnaie fiduciaire, basée sur la confiance garantie par l’État, ce dernier garanti que contre sa monnaie de singe vous pourrez échanger contre etc… Voir Marx pour les détails. Parfois, l’État trompe votre confiance, tant pis pour vous, mais conservez vos emprunt russes, on ne sait jamais. Les lettres de change furent la première monnaie fiduciaire, mais une monnaie fiduciaire privée, professionnelle, qui ne circulait qu’entre honorables commerçants)

6. Là, Smith se fera gronder par Ricardo et par Marx pour avoir confondu le travail prétendument matérialisé ou cristallisé (pur non sens, voilà ce que c’est que de dire des non sens. C’est le cas pour les trois compères) avec le travail qu’il permet d’acheter, pur non sens également car nous savons depuis que Pierre Dockès l’a dit que ce n’est pas du travail, de la force de travail, et autres calembredaines etc. que l’on achète alors mais l’obéissance du travailleur pendant une certaine durée. (En fait Smith n’énonce qu’une tautologie : il dit en fait : une certaine quantité d’argent peut acheter ce que peut acheter une certaine quantité d’argent.) Et ce que coûte l’achat de cette obéissance pendant une certaine durée est ce que coûte ce qui est nécessaire au prostitué (ce qu’est celui qui vend son obéissance pendant un certain temps pour de l’argent) pour subsister (télévision, voiture plus ou moins neuve, patins à roulettes, charters bondés et ferraillant, le tout au prorata etc..) pendant cette certaine durée. Et dans le monde marchand (et dans lui seul) ce qui est nécessaire au prostitué pour subsister est nécessairement constitué de marchandises (quelle surprise) sauf l’air que le prostitué respire ce qui ne saurait durer encore longtemps. Il lui faudra bientôt acheter son air. Crétin de Walras, la rareté est un résultat au même titre que la valeur. Et il n’y a pas de miracle : la production de ces marchandises a demandé une durée de travail très inférieure à la durée de la soumission des prostitués, durée de soumission qui n’est autre que la durée de travail de ces prostitués, étant donné que le richard qui achète des durées de soumission (plus précisément des soumissions pendant une certaine durée) ne l’achète pas pour que les prostitués se tournent les pouces et n’en fassent qu’à leur tête. Ils travailleront tout le temps de leur soumission, une fois déduit le temps nécessaire pour pisser. C’est simple comme bonjour. Il ne faut pas tout mélanger. Je pense que sans même s’en douter, Smith était sur ce point en avance sur Ricardo et Marx.

Enfin, avant même que Walras n’écrive une ligne, Ricardo avait déjà réfuté ses chapelets de stupidités en donnant sa théorie de la rente. Le prix du blé est aligné sur le coût de production du blé sur la terre du plus faible rendement dont l’emblavement est nécessité par la population solvable. La non solvable n’a pas sa place au banquet de la nature et peut aller se faire cuire un oeuf comme disait l’autre, un pasteur. Les pasteurs ne bombardaient pas encore l’Irak à cette époque. Le prix du blé se résout donc de la même manière que les autres marchandises et la rente sur les meilleurs terres ne se distingue pas du péage que prélevaient les anciens brigands, sur la roche à Foulques ou sur la roche à Guyon, ou de la rente technique procurée par l’exploitation d’un brevet. L’application du brevet permet d’économiser (là, il y a de l’économie, et même des économies, et mêmes de grosses économies, pas des économies de bouts de chandelles comme doivent en faire les prostitués, ces grands consommateurs ; c’est comme dans les « plans sociaux », vocable LQR) une grande quantité d’achat de durée de soumission tout en permettant d’augmenter la production. Le propriétaire du brevet peut donc prélever une rente tandis que l’exploitant peut aussi augmenter son profit, il y en a largement pour deux (contrairement à ce prétend Marx, notamment par ses expressions malheureuses de « capital variable » et « plus value », je prétends que le profit n’est autre qu’une rente parfaitement explicable par la théorie de Ricardo, mais je ne discuterai pas cela ici).

Ensuite, Smith enchaîne :

« Richesse, c’est pouvoir, a dit Hobbes; mais celui qui acquiert une grande fortune ou qui l’a reçue par héritage, n’acquiert par là nécessairement aucun pouvoir politique, soit civil, soit militaire. Peut-être sa fortune pourra-t-elle lui fournir les moyens d’acquérir l’un ou l’autre de ces pouvoirs, mais la simple possession de cette fortune ne les lui transmet pas nécessairement. Le genre de pouvoir que cette possession lui transmet immédiatement et directement, c’est le pouvoir d’acheter ; c’est un droit de commandement sur tout le travail d’autrui, ou sur tout le produit de ce travail existant alors au marché [ bien dit, excellent ]. Sa fortune est plus ou moins grande exactement en proportion de l’étendue de ce pouvoir, en proportion de la quantité du travail d’autrui qu’elle le met en état de commander, ou, ce qui est la même chose (8), du produit du travail d’autrui qu’elle le met en état d’acheter (7). La valeur échangeable d’une chose quelconque doit nécessairement toujours être précisément égale à la quantité de cette sorte de pouvoir qu’elle transmet à celui qui la possède. »

7. Là encore, Ricardo et Marx vont gronder Smith, mais il n’y a pas de contradiction si l’on comprend que ce qu’achète le richard, dans le second cas, c’est une durée d’obéissance qui donnera lieu à une égale durée (une fois déduit le temps consacré à aller pisser si cela est permis par le maître) de travail passionnant et que le prix de la durée d’obéissance n’est que le coût de la subsistance du prostitué, subsistance constituée, dans le monde marchand, de marchandises (quelle surprise) et que la production de ces dernières a demandé une durée de travail bien moindre que celle qu’ont demandé les marchandises nécessaires à la subsistance du prostitué pendant la durée de soumission + durée de repos et de télévision. Il en résulte que si le richard peut se payer, par exemple, une journée légale d’obéissance de 100 prostitués, il ne pourra se procurer pour la même somme que le produit de la journée de travail de, disons (vous ferez le calcul vous-mêmes. Non, l’énorme différence ne va pas dans la poche du patron. Pour plus de détail, consultez Marx, Le Capital. Là n’est pas le sujet. Le sujet est la grammaire du mot valeur) 17 prostitués, c’est à dire le produit de la journée de travail d’un nombre moindre de prostitués que le nombre de prostitués dont il peut  acheter l’obéissance pour une journée.

8. Il est possible que ce passage ne signifie pas « égale » mais que ou bien M. Ripley se paye des jours d’obéissance de prostitués, ou bien il se paye avec la même aisance des achats de marchandises, une Bugatti par exemple. Dans le premier cas il s’offre cent journées d’obéissance de mille prostitués (soit cent mille journées d’obéissance), dans le second il se paye une Bugatti dont la production n’a demandé que dix sept mille journées d’obéissance (Ettore Bugatti fut tellement vexé que ses ouvriers aient occupé son usine en 1936, qu’il n’y remit jamais les pieds). Cette phrase peut vouloir dire qu’il peut se payer indifféremment ou bien de la durée d’obéissance de prostitué ou bien des marchandise plus amusantes. Les exégètes trancheront car j’arrête là ma lecture. Je n’ai pas que ça à faire.

Conclusion. Pompidou des sous. C’était notre rubrique Aux textes citoyens. C’est beau le monde marchand, un monde basé sur la foi, lui aussi, mais les prostitués et leurs maîtres (leurs clients en fait, le prostitué est un libre prostitué qui peut choisir son client, une petite entreprise comme chantait Bashung) l’ignorent. Non seulement les prostitués sont des prostitués, mais ils sont les domestiques les uns des autres puisque les marchandises nécessaires à leur subsistance sont produites dans les mêmes conditions avec le concours  d’autres prostitués éventuellement chinois ! Prostitués et domestiques, ça fait beaucoup. Enfin, ça a l’air de leur plaire. Comme dit Michel « prends l’oseille et tire toi » : « Les pédés ont l’air d’avoir une vie passionnante. »  Na zdarovié ! je vais me taper un petit pastis. Je l’ai bien mérité.

CHAPTER V

OF THE REAL AND NOMINAL PRICE OF COMMODITIES,

OR OF THEIR PRICE IN LABOUR, AND THEIR PRICE IN MONEY.

Every man is rich or poor according to the degree in which he can afford to enjoy the necessaries, conveniencies, and amusements of human life. But after the division of labour has once thoroughly taken place, it is but a very small part of these with which a man’s own labour can supply him. The far greater part of them he must derive from the labour of other people, and he must be rich or poor according to the quantity of that labour which he can command, or which he can afford to purchase. The value of any commodity, therefore, to the person who possesses it, and who means not to use or consume it himself, but to exchange it for other commodities, is equal to the quantity of labour which it enables him to purchase or command. Labour therefore, is the real measure of the exchangeable value of all commodities.

The real price of every thing, what every thing really costs to the man who wants to acquire it, is the toil and trouble of acquiring it. What every thing is really worth to the man who has acquired it and who wants to dispose of it, or exchange it for something else, is the toil and trouble which it can save to himself, and which it can impose upon other people. What is bought with money, or with goods, is purchased by labour, as much as what we acquire by the toil of our own body. That money, or those goods, indeed, save us this toil. They contain the value of a certain quantity of labour, which we exchange for what is supposed at the time to contain the value of an equal quantity. Labour was the first price, the original purchase money that was paid for all things. It was not by gold or by silver, but by labour, that all the wealth of the world was originally purchased; and its value, to those who possess it, and who want to exchange it for some new productions, is precisely equal to the quantity of’ labour which it can enable them to purchase or command.

Wealth, as Mr Hobbes says, is power. But the person who either acquires, or succeeds to a great fortune, does not necessarily acquire or succeed to any political power, either civil or military. His fortune may, perhaps, afford him the means of acquiring both; but the mere possession of that fortune does not necessarily convey to him either. The power which that possession immediately and directly conveys to him, is the power of purchasing a certain command over all the labour, or over all the produce of labour which is then in the market. His fortune is greater or less, precisely in proportion to the extent of this power, or to the quantity either of other men’s labour, or, what is the same thing, of the produce of other men’s labour, which it enables him to purchase or command. The exchangeable value of every thing must always be precisely equal to the extent of this power which it conveys to its owner.

But though labour be the real measure of the exchangeable value of all commodities, it is not that by which their value is commonly estimated. It is often difficult to ascertain the proportion between two different quantities of labour. The time spent in two different sorts of work will not always alone determine this proportion. The different degrees of hardship endured, and of ingenuity exercised, must likewise be taken into account. There may be more labour in an hour’s hard work, than in two hours easy business; or in an hour’s application to a trade which it cost ten years labour to learn, than in a month’s industry, at an ordinary and obvious employment. But it is not easy to find any accurate measure either of hardship or ingenuity. In exchanging, indeed, the different productions of different sorts of labour for one another, some allowance is commonly made for both. It is adjusted, however, not by any accurate measure, but by the higgling and bargaining of the market, according to that sort of rough equality which, though not exact, is sufficient for carrying on the business of common life.

 

 

L’économie n’existe pas
Ça commence à se savoir

(Armand, Arcand, Fourquet, Freitag, Wallerstein)

 

 

Voici ce qu’en dit, dans son dictionnaire, M. André Armand, professeur d’économie au Lycée Marcel Pagnol à Marseille :

[Début de citation]

« A.— QU’EST-CE QUE L’ÉCONOMIE ?

« Pour commencer notre tentative de définition de l’économie [ au sens de science économique ], nous empruntons à Jacques Généreux, (professeur à l’IEP de Paris, professeur affilié à l’ESCP-EAP) le texte suivant :

Quand le profane ou le débutant dans une discipline quelconque cherche à définir l’objet de cette dernière, son réflexe naturel consiste à dresser la liste des sujets dont elle s’occupe. Ainsi, l’économie étudierait, par exemple, la production, les échanges, la monnaie, le chômage, la richesse, l’inflation, etc. Les économistes eux-mêmes ont d’ailleurs commencé par définir leur travail par un domaine concret. D’Aristote (IVsiècle avant Jésus Christ à Adam Smith (1766), la plupart des économistes font de l’économie ‘une science de l’acquisition des richesses’ pour les individus ou pour la nation. Le XIXe opposera la vision marxiste de l’économie comme ‘science de l’évolution historique des rapports de production entre les classes’ à la vision libérale comme ‘théorie des choix individuels et de leur coordination par les marchés’ ”.

« Aujourd’hui cependant, tout le monde [ ! ] s’accorde, économistes et philosophes [ sauf le Dr Latouche ] pour définir l’objet de l’analyse économique par un sujet ou une liste de sujets concrets. En effet, les phénomènes strictement économiques n’existent pas. On ne peut extraire du réel une partie “économique” qui serait indépendante des parties “psychologique”, “politique” ou “sociale”. L’inflation, par exemple, met en jeu des mécanismes économiques, psychologiques et politiques, et intéresse donc tout autant l’économiste que le psychologue, le politologue ou le sociologue. »

[Fin de citation]

Que dire de plus, notamment contre le Dr Latouche qui prétend que c’est le capitalisme lui-même (M. Le Capital en personne sans doute) qui sépare un domaine économique qui serait indépendant etc. Marx ironisait : « M. Le Capital et Mme La Terre. » Aujourd’hui il faudrait ajouter Mlles L’Économie, La Production, La Consommation. C’est la Sainte Famille nombreuse, prix Cognac-Jay.

Ainsi l’objet de l’économie politique est défini par une liste (c’est à dire par une extension de concept). Et les faits (sujets concrets) dont le nom figure sur cette liste sont dits économiques parce qu’ils figurent sur cette liste. Ce n’est pas M. Le Capital qui sépare, ce sont messieurs les économistes, pour les besoins de leur cause qui est celle de leurs employeurs. Et ils peuvent séparer tant qu’ils veulent en mettant le noms de ces faits sur une liste, ces faits, dans leur ensemble, ne constitueront pas pour autant une partie « économique » indépendante. Autrement dit : dans le monde, il n’existe aucune institution qui serait « l’économie » et que pourraient étudier les économistes et les faits et institutions étudiés par les économistes ne sont dits « économiques » que parce qu’ils sont étudiés par les économistes. L’inflation, par exemple, est un fait social total dont l’essence échappe totalement aux économistes, aussi bien à vous qu’à moi-même d’ailleurs. Ainsi, la sociologie compréhensive n’a jamais rien compris.

Le lecteur attentif remarquera que ma position est cependant différente. J’admets, contre M. Armand et Durkheim, que non seulement il existe des phénomènes purement économiques, mais que la seule manière d’exister pour eux est d’être purs, car ils résultent d’un choix arbitraire de l’économiste et non de la chose même. Idem en ce qui concerne les phénomènes psychologiques, politiques, sociaux etc. Ils ne sont pas des mélanges, un peu de ceci, un peu de cela, mais résultent de vues étroites résultant d’un choix. Leur juxtaposition avec toute la multidisciplinarité que l’on voudra n’en fera jamais une connaissance des institutions. La science de l’Homme, la science des institutions n’est pas encore née. Elle ne peut être que le fait d’un Peuple. La nature de l’Homme et de ses institutions échappe entièrement au regard des spécialistes. Les phénomènes étudiés par les physiciens résultent aussi de vues volontairement étroites, parfaitement justifiées, car, ainsi que le dit d’Espagnat, les physiciens ne prétendent pas étudier la réalité quoique, dès qu’ils sont sortis de leur laboratoire ou de leurs équations, at home, ces positivistes de métier (Sire, la réalité est une hypothèse inutile) redeviennent dans leur grande majorité, comme tout le monde, réalistes et commettent le péché d’hypostasie qui, heureusement, n’est pas puni de mort. L’objet véritable et inatteignable des économistes, contrairement à celui des physiciens, sont des institutions qui sont, elles, réelles car elles se sont posées elles-mêmes et se maintiennent elle-mêmes à l’existence, dans leur grande majorité ce que traduit la métaphore de la main invisible dans la culotte d’un zouave. Les totalités concrètes existent indépendamment des « vues » que l’ont peut prendre sur elles quoique ces « vues » soient prises dans le but d’agir sur ces totalités et y parviennent parfois, pour le meilleur et pour le pire, mais leur essence demeure inconnue. Ainsi donc, les « vues » prises par les économistes ne se distinguent guère des « vues » prises par les magiciens des société archaïques puisque ces « vues » n’ont pas pour but de faire tomber la pluie (il y a les physiciens pour ça) mais d’agir sur la société sans toutefois la connaître. Weber note plaisamment que les magiciens des sociétés archaïques en savent beaucoup plus sur le sujet et se font surtout moins d’illusions que les magiciens modernes. Eh oui ! c’est la peau d’un manitou, c’est économique. Voilà ce que répond l’homme blanc quand il ne sait que répondre. C’est le signifiant flottant, le joker avec lequel on bouche le trou de signifiant, bien que, selon Lévi-Strauss, les signifiants soient cependant surabondants et plus réels que le signifié. Lévi-Strauss remarque que lorsqu’on fait remarquer au sauvage sa méprise, celui-ci est le premier à en rire, ce qui n’est pas le cas des économistes. La politique et l’objet de la politique sont une exception notoire puisque l’objet de la politique consiste dans des institutions qui sont posées explicitement par leurs éléments eux-mêmes et chacun sait où, quand, comment et pourquoi. Chacun l’apprenait (il faut employer l’imparfait) d’ailleurs à l’école. Hegel avait vu juste, comme d’habitude, dans son apologie de l’État prussien.

 

C’est une épidémie. Bernard Arcand “Production, culture et idéologie : approche structuraliste.” (1979) [version imprimable →]. « Le matérialisme historique privilégie les rapports de production, ce qui nous amène à nous interroger sur la nature de ces derniers. Or, ils englobent l’ensemble des relations sociales au sein du processus de production (pris dans le sens large d’activité économique et incluant production, transformation et consommation [ alors pourquoi les appeler rapports de production s’ils engobent « l’ensemble des relations sociales » ? ])…. Les matières premières, les outils de travail et la main-d’œuvre sont des définitions culturelles. La chasse se base sur un système complexe d’idées comprenant les concepts de nourriture, de canot, de viande, de légumes, de rivière, de savane, de chasse, de cueillette, etc., tous dotés de significations qui dépassent largement ce qu’on entend traditionnellement par «économie”. Si cela exprimait le seul fait qu’on peut constamment conférer aux objets économiques plusieurs autres sens, le problème serait vite résolu. Mais on en vient plutôt à constater que la définition même des choses ne peut se réduire à leur fonction économique [ ce qui signifie que cette fonction n’est aucune fonction réelle mais seulement une vue de l’esprit, une idée dans la pensée bourgeoise ]. En outre, on ne sait même plus ce qu’est l’économie ou la production. On se rend compte que l’“économie” comporte une bonne part d’“organisation sociale”, que cette dernière fait partie de la “religion” qui, elle, est indissociable de la “culture matérielle” et ainsi de suite. On ne peut véritablement procéder au découpage du phénomène global de la chasse en aspects “économi­que”, “social”, et “idéologique”. On se retrouve donc au point de départ, toujours confronté au fouillis de la réalité sociale… Évidemment, certains anthropologues continueront de manier leurs divisions commodes du réel et de parler des relations entre l’“écono­mie”, l’“organisation sociale” et l’“idéologie”… Tous réussiront sans doute dans une certaine mesure à démontrer l’existence de liens entre l’“économie”, l’“organisation sociale” et l’“idéologie”. Ce succès est prévisible puisque les mêmes personnes produisent des biens et vivent en société, et que, au moment où elles accomplissent ces diverses activités, elles ne tiennent pas compte de ces distinctions anthropologiques [ aucun compte de ces « vues » en effet. C’est le critère de réalité de Lévi-Strauss (1950) ]. En fait, le succès apparaît évident dès le début, lors de la division arbitraire du réel qui postule comme étant différent ce qui ne l’est pas vraiment [ bravo ! ] ; il est ensuite facile de démontrer des similitudes entre tout cela. Tant que l’on ne pourra établir clairement de quelle manière l’“ économie”, l’“organisation sociale” et l’“idéologie” diffèrent, il est inutile de les comparer et d’y chercher un déterminisme. On a vu que cette différence entre ces éléments ne semblait pas du tout évidente dès qu’on s’éloignait un peu de notre propre société. Continuer à voir le réel à partir de ces divisions simplistes aurait donc pour effet de dénaturer nos observations ; de plus, ce serait redire ce qui était déjà connu, puisque les conclusions sont contenues dans les prémisses de l’analyse. »

On ne saurait mieux dire. L’auteur propose ensuite un modèle structuraliste, en fait un modèle calculable. Pour l’auteur, le monde repose sur un algorithme qui peut produire tous les objets d’une certaine classe dans leurs innombrables variations. Ce n’est plus, comme avec M. Marchal la physique qui est une branche de l’informatique théorique, c’est l’anthropologie.

Très simplement, contrairement à ce que dit l’auteur (p. 14, format Word « Alors, et dans ce seul contexte, serons-nous en position d’affirmer, d’abord, que ces deux domaines existent vraiment [ là est la question, effectivement ] et qu’ils sont autonomes », « Si on s’intéresse à un “domaine” de la réalité sociale tel la “production” ») : « La Production » n’est pas un domaine de la réalité sociale mais une idée dans l’économie politique. L’économie politique n’est pas un domaine mais une institution. C’est à ce titre qu’elle est un moment de la réalité. Il y a beaucoup de  choses qui sont produites, mais elles ne sont pas produites par La Production. Cela dit, l’idée de production ne se tient pas sagement au sein de l’économie politique mais déborde dans le monde, se répand massivement grâce à une propagande massive, elle pénètre les masses (elle est faite pour ça) comme une bite pénètre un cul. Elle est perforante et performative : une idée qui pénètre les masses, même par derrière, devient une force pratique, comme disait l’autre. A quelle date, précise, se répand cette idée ? 1960, c’est à dire du temps du général ! Cinquième république. C’est l’acte de naissance de la LQR. En voiture Simone. Jusque-là elle n’avait pénétré que les culs marxistes (Debord l’avait enfoncée profond. Comment voulez-vous penser librement avec une bite dans le cul ?) Aujourd’hui, tout le monde il est marxiste. Cela dit, cette idée qui a pénétré les masses, devenant ainsi une force pratique, n’est toujours pas devenue pour autant La Production, domaine de la réalité sociale. La seule chose qu’elle produit, c’est du silence, de l’abrutissement, de l’incapacité, toutes choses favorables à la domination. Elle prépare à entendre docilement les ceuze qui causent dans le poste et à ne rien trouver à redire. C’est un empalement, ça rentre par le cul et ça sort par la bouche. L’ai dans la bouche. Laid dans la bouche. Les dents la bouchent. Lait dans la bouche. L’aide en la bouche. Lai dans la bouche. Les mots, la bouche. Les mots la bouchent. C’est comme ça que ça marche. Vous avez des mots plein la bouche, mais ce ne sont pas les vôtres. Vous ne pouvez que répéter, raie pétée, comme des perroquets, des pères hoquet, des pairs O.K, des paires au quai, des paies roquets, des pets roquets, d’épais roquets, d’épais imbéciles.

 

Encore un (il en pleut) ! Selon le Dr Latouche, François Fourquet note : « Depuis ce jour [ celui où J-B Say définit la science économique comme science de l’économie (note du Dr Latouche) ], le mot économie comporte, du moins en français, une insupportable ambiguïté : nous ne savons pas si nous parlons de la science ou de son objet. » « Et pour cause : cet objet n’existe pas ! Ce qui existe, c’est un discours économique qui fabrique ses propres objets et qui finit par croire à l’existence extérieure de ces êtres fantastiques qu’il a lui même engendré. »

Pages 15 et 16 du livre de Fourquet : « L’économie est considérée ici comme un phénomène social total : on ne peut la comprendre que comme un aspect de la société, qui y est tout entière. Sociologues et ethnologues ont reçu l’influence de Durkheim « les faits sociaux sont fonction du système social dont ils font partie ; on ne peut donc les comprendre quand on les en détache ») et de Mauss… Les économistes, eux, s’imaginent pour la plupart que l’économie forme un tout séparé et intelligible en soi… D’un événement complexe, on abstrait certains traits qu’on nomme « économiques », et on en fait une substance autonome qui reçoit un pouvoir élevé d’explication… Mais c’est la pensée seule qui sépare ces aspects grâce à des langages scientifiques différents et qui se laisse prendre par le mirage d’une autonomie qu’elle projette dans les choses. Postulons ici que la réalité est une, au moins à titre d’idée régulatrice de la raison. » (Richesse et puissance. La Découverte, 1989).

 

Encore un : « J’appelle écomonde l’économie-monde de Fernand Braudel. Mon choix, esthétique dans un premier temps (brièveté phonétique), a pris, à mesure que je l’utilisais, une nuance de fond. L’écomonde (de genre masculin) n’est pas une substance historique ayant son ordre propre, économique, autonome ; c’est un monde considéré du point de vue de l’économie, avec le langage économique, et non une économie formant un monde en soi. Je ne pense pas que Braudel se fût opposé à cette nuance — même s’il avait récusé le terme « écomonde » — tant est constant dans son oeuvre son refus de réduire l’économie... à l’économie. » (Wallerstein cité par Fourquet, page 26).

Et voilà, c’est une vue et seulement une vue. Vous pouvez considérer aussi longtemps que vous voudrez le monde ou n’importe quelle partie du monde du point de vue de l’économie, avec le langage économique, cela ne fera pas naître pour autant « une économie formant un monde en soi » ou une économie en soi, « une substance historique ». Y’en n’a pas d’économie en soi, il faudra vous y faire. Il n’y a que des discours économiques (ça, y en a des discours économiques) ou des points de vue économiques. Mais ni des discours, ni des points de vue ne sont des mondes ou n’ont fait de mondes, même si la connaissance de la situation, de toute situation, est un moment de la situation. Le drame de la prétendue science économique est que, précisément, elle n’est pas une connaissance de la situation mais seulement un ensemble de recettes. Fourquet conclut le chapitre par : « Le capitalisme est un mythe. » Où va-t-on ?

  

 

L’Achat d’obéissance

 

 

« A la suite de R. H Coase (1937) et de H. Simon (1951), tout un courant observe que s’il y a pouvoir d’achat [de l’employeur face au salarié], ce qu’achète l’employeur et que vend le salarié n’est pas un service, mais son obéissance dans un “domaine d’acceptation” variable. » Il y a un mot pour qualifier cela, c’est le mot prostitution. Ce monde libre est donc  plein de prostitués, de si vils innocents, de suffrage universel et de liberté d’expression (liberté d’expression limitée à ceux qui causent dans le poste et les journaux, c’est à dire bombardement permanent de bobards : la Grosse Binet tonne sans répit. Les bourgeois ont vite compris que le suffrage universel et cette liberté d’expression là étaient pour eux sans danger et présentaient de multiples avantages. Pendant la liberté d’expression, les affaires continuent et la liberté d’expression est un business comme un autre). Il y a des choses que la pute accepte de faire et d’autres qu’elle n’accepte pas. C’est bien ça. Elle est libre en somme. Elle peut même choisir son client. C’est beau la liberté. Je me demande bien pourquoi les musulmans n’en veulent pas et même la détestent. Excellent Pierre Dockès, comme d’habitude.

Pouvoir, autorité et convention d’obéissance. (Format PDF). Pierre Dockès.

Coase R. (1937). ”The nature of the Firm”, Economica, 4, November

Simon, Herbert A. (1957 — sic). Models of Man. New-York. Willey.

Simon, Herbert A. (1947). Administrative Behavior. New-York. Macmillan

Simon, Herbert A. (1982). Models of Bounded Rationality. Cambridge (Mass), MIT Press, 2.

Voir aussi :

Arrow, Kenneth J. (1974). The Limits of Organizations. New-York. Norton.

 

 

La prétendue invention de l’économie
est le fait du Dr Latouche :
Pour que la vie économique existe, il faut et il suffit qu’elle soit pensée !
MIRACLE !

 

 

Voici les commentaires que m’inspire la lecture de L’Invention de l’économie du Dr Latouche :

L’invention de l’économie ne fut que l’invention d’un discours économique et seulement d’un discours.

La seule institution qui soit économique — dont on puisse dire : « C’est l’économie » — est l’économie politique et la seule vie qui soit économique — dont on puisse dire : « C’est la vie économique » — est la vie de cette institution et de ceux qui y vivent et en vivent.

Quand dans le poste, les journalistes disent « l’économie », ils ne disent rien (nulle chose). Les journalistes sont des trous du cul, c’est bien connu.

La consultation des dictionnaires populaires et la consultation de la presse concordent : la prétendue institution « économie » (au sens, donc, de réalité économique, de vie économique et non plus seulement d’économie politique) ne fit son entrée au grand jour qu’en 1960, ainsi que j’ai pu l’apprendre dans un des livres de Ian Hacking. Voilà donc une institution qui existerait depuis des millénaires et sous tous les cieux, dans toutes les civilisations connues, et qui ne ferait son apparition au grand jour qu’en 1960. Elle aurait donc existé en secret pendant des millénaires et jusque dans les îles Fidji. Or le propre d’une institution est de toujours exister au grand jour (y compris les Mystères et les sociétés secrètes. Leur existence est bien connue de tous et de la police), pour chaque individu d’une civilisation donnée, comme le note Lévi-Strauss dans son Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss (1950) et cela parce que dans toute institution la connaissance de l’institution est un élément constitutif de l’institution et que sans cette connaissance, il n’y a pas d’institution du tout (merci Barwise). C’est ce dernier point que Marx s’est plu à ignorer se fermant ainsi la porte à toute compréhension de la moindre institution. Une telle institution aurait donc dérogé pendant des millénaires au critère de Lévi-Strauss, ce qui est une preuve supplémentaire que sa prétendue description (le discours de l’économie politique) n’est en fait qu’un ramassis de détails, œuvre d’une entreprise apologétique et manipulatrice (ce dernier terme sans connotation péjorative. Le but de l’économie politique étant de chevaucher un tigre. L’économie politique est en fait un manuel d’équitation) qui est, elle, une institution bien connue depuis deux siècles. C’est bien la preuve que 1) oui l’économie a bien été inventée ; mais que 2) cette invention n’est pas celle d’une institution, telle que le christianisme ou l’islam par exemple, mais l’invention d’un ramassis de détails pour reprendre les termes de Lévi-Strauss qui me plaisent  beaucoup vous vous en doutez. Ce Lévi-Strauss m’étonne à chacune de mes relecture de son bref et inépuisable texte. C’est la preuve que je n’ai pas vieilli en vain : à chacune de mes relectures, les livres que j’ai lus dans ma jeunesse rajeunissent, ce qui est exactement le contraire de ce que prétend le matamore Debord, incapable de se corriger et qui s’en vantait, le crétin. L’histoire économique n’est que l’histoire de l’économie politique ou l’histoire de faits arbitrairement isolés par l’économie politique, et non l’histoire économique de peuples ou de civilisations, et non l’histoire d’une institution. Il peut y avoir une histoire du commerce et de l’argent qui sont des institutions plurimillénaires parfaitement connue de tous, commerçants et non commerçants ; tandis que l’histoire de l’économie ne peut être autre que l’histoire de l’économie politique et l’économie politique est la seule institution économique qui fut jamais dans l’histoire du monde. Il y a deux siècles, des hommes se sont enthousiasmés pour l’enculisme qui se donnait enfin libre cours sous leurs yeux. Chacun ses goûts.

« L’économique », comme le nomme Latouche dans son dernier livre, n’est donc qu’une vue de l’esprit, dans le plus mauvais sens du terme. Non pas « représentation consistante de la vie économique comme système autonome » mais système autonome de représentation économique consistante de la vie ; non pas « domaine des affaires humaines, isolable des autres » mais domaine des représentations (isolable des autres) des affaires humaine. Nous voilà reportés à la sainte famille combattue par Marx. Le clou, quelque pages avant : « Soutenir que l’économie a été inventée, c’est montrer qu’elle est une construction de l’imaginaire ». L’économie existe, comme domaine du monde, c’est une construction de l’imaginaire. Les farouches commerçants avaient attendu les décrets, fort avisés, de Quesnay, Smith, Ricardo pour se livrer férocement au commerce industriel ! Cela dit, le libre échange  appliqué aux blés fut une application de la clairvoyance de Ricardo. En tant qu’institution l’économie n’est que l’économie politique dont l’apparition peut être facilement datée et qui n’a jamais existé auparavant, même si Xénophon put écrire une Economique qui ne concerne que l’administration d’un domaine. Ce n’est pas l’économie qui se fait une place dans le monde, c’est le commerce et l’argent, deux institutions bien connues de tous, qui s’emparent du monde et de la vie. Nuance.

Il n’existe aucun domaine séparé, il n’est aucune « domaine des affaires humaines » comme dit un Dupuy cité par Latouche, dans lequel les hommes, en poursuivant leurs intérêts égoïstes travailleraient sans le vouloir au bien commun, comme disait Adam Smith, car le commerce et l’argent, institutions bien connues de tous, se sont emparés du monde entier et de la vie entière. C’est partout, dans le monde et dans la vie, et non dans un domaine réservé, que l’on fait appel à l’égoïsme de son boucher, c’est partout dans le monde et dans la vie que l’on encule ou du moins que l’on essaye d’enculer (jusque dans les familles qui sont pourtant, selon Hegel, la sphère de l’amour), c’est partout dans le monde et dans la vie que règne l’enculisme.  Toute morale et tout mode de socialisation traditionnels ont été détruits. Bien fait salauds de si vils innocents. Crevez maintenant, que l’Arabe vous emporte. Pompidou des sous.

Et la vision économique du monde n’est que la vision du monde par l’économie politique, vision arbitraire et étroite à souhait afin de bien persuader chacun qu’il existe « un domaine des affaires humaines, isolable des autres », nécessaire et inévitable, et qu’il en sera donc toujours ainsi. Mais heureusement, il y en a encore qui savent et qui espèrent, parmi les traditionnels. New York a été bombardée comme Sodome et Gomorrhe et j’espère bien que ce n’est qu’un commencement. La réalité sociale n’est pas économique, ne l’a jamais été. Il n’y a pas dans la réalité sociale « un domaine des affaires humaines séparé des autres » qui serait économique.

La prétendue invention de l’économie n’est rien d’autre que l’invention de l’économie politique. On a beau affubler la chose de cuistreries telle que « champ sémantique de l’économie », cela ne change rien à la chose. Le champ sémantique de l’économie est seulement le discours de l’économie politique massivement diffusé depuis 1960 à la Une des journaux et dans les postes de TSF.

« Toutefois, tant que la survie matérielle de l’espèce ou la reproduction des groupes sociaux n’est pas autonomisée, pensée comme une sphère à part, il n’y a pas de vie économique, il n’y a que la vie tout court. » Miracle. Pour que la survie matérielle* de l’espèce soit autonomisée, pour que cesse la vie tout court et que commence la vie économique**, il faut que cette survie soient pensée comme sphère à part. Il ne s’agit pas cependant de la pensée d’un seul homme. Le Dr Latouche ajoute « il faut des institutions pour le faire ». Précisément l’économie politique, la TSF et la télévision sont ces institutions. Mais le fait est là : pour qu’existe une vie économique, il faut et il suffit que ces institutions pensent la vie économique et, miracle, la vie tout court cesse. Effectivement la vie tout court a cessé d’exister depuis longtemps, mais les causes de cette cessation ne sont pas le fait de la pensée, fut-elle pensée d’institutions. Et elle n’a pas été remplacée par la vie économique mais par la servitude. Le jour où les institutions adéquates penseront le miracle du Christ marchant sur les eaux, alors quiconque marchera sur les eaux de même qu’aujourd’hui tout prostitué marche dans une vie économique et non plus dans la vie tout court.

*. Pourquoi pas la survie tout court, qu’ajoute le terme « matérielle ».

**. Donc : économie = survie matérielle

« L’économie* suppose une autonomie relative d’un domaine (…) ce qui implique certaines représentations, des mots pour le dire, des institutions pour le faire. » Un domaine, autre qu’un domaine agricole par exemple qui est une institution, est du même genre d’être qu’une extension de concept, qu’un ensemble, qu’une collection. Tout domaine de ce type consiste dans le concept. Ce n’est pas la peine que le Dr Latouche se fatigue. Il ne sert à rien de remplacer « ensemble » par « domaine ». Ce domaine autonome ne peut être qu’un domaine autonome dans la pensée et non un domaine autonome dans le monde, une « vue du monde » et non le monde. Le Dr Latouche peut remplacer le mot ensemble par le mot domaine tant qu’il voudra, cela ne changera rien aux choses. Notez bien que je ne dénie pas toute inefficacité aux « vues du monde » et pour vous en convaincre, une fois de plus, je vous citerai la « vue du monde » saugrenue de Hitler qui a bien failli réussir.

*. L’existence de l’économie, je suppose.

« La monnaie, le commerce et le marché sont les trois grandes “trouvailles” qui impulsent prodigieusement l’économie et la réflexion économique » Ces trouvailles sont des trouvailles du monde et non de « vues sur le monde » et non des trouvailles de penseurs. Elles n’impulsent pas prodigieusement « l’économie » mais l’ « économie politique », après quelque millénaires (ou siècles pour ce qui est des « places ») d’existence. Smith et Ricardo ont trouvé les choses déjà là et c’est pourquoi ils peuvent être pleins de perspicacité contrairement à Say qui préfère inventer l’existence de l’économie à lui tout seul. Lisez Durkheim à ce sujet.

« L’économique désigne tout à la fois un domaine concret et une sphère théorique. Le premier est familier à tous » StupÉfiant ! De ma vie je n’ai jamais eu la moindre connaissance de ce domaine familier à tous. Je n’ai jamais vu cette bête-là. Certes, comme M. Leboullanger, « je vous tromperais si je vous disais que je n’en ai jamais entendu parler, mais je ne l’ai jamais vue. »  Ça en cause tous les jours dans le poste et dans les première pages des journaux. Aussi, ce dont tous ont l’expérience n’est pas l’expérience de l’économie mais celle de la propagande, respectable institution s’il en est. La propagande est bien connue de tous, dans le monde et … à Colone.

Ainsi : « les physiocrates (1750-1775), voient la sphère matérielle de la société où se crée et se consomme la richesse comme un organisme et un corps vivant avec la double circulation veineuse et artérielle du sang. » Mais en quoi la vision des physiocrates implique-t-elle qu’une telle chose existe dans le monde de même pour toutes les visions qui lui ont succédé. Ricardo n’a aucune vision, contrairement à Marx, hélas.

« Notons que le développement de la vie économique et de la réflexion économique se produit presque exclusivement en Occident » Nous sommes page 15 d’un livre de 264 pages. Donc le Dr Latouche tient pour acquis que la vie économie existe. Pourquoi donc écrire encore deux cents pages. Durkheim nous dit que l’objet doit être découvert. Ici, il est postulé. Le Dr Latouche est le Bastiat de ces lieux.

Ma position est totalement différente de celle du Dr Latouche et de ceux qui lui ressemblent : comme M. Leboullanger, j’ai abondamment entendu parler de la vie économique et de la réalité économique, mais je ne les ai jamais vues (par contre, j’ai vu abondamment la prostitution et la servitude répandues partout dans le monde et j’ai fait tout mon possible pour y échapper). Le Dr Latouche en parle d’abondance et prétend les avoir vues. Qu’il nous les montre. Il nous parle de faits « économiques », d’opérations « économiques » et mêmes d’institutions « économiques » et j’admets que c’est son droit le plus strict de nommer comme il veut la classe d’un certain nombres de faits ou même de certaines institutions (la Banque, le Change, etc.). Ainsi, les noms des nombres naturels qui sont des classes de classes équinumériques, sont totalement arbitraires et varient d’une langue à l’autre, et même dans une seule langue si elle connaît beaucoup de dialectes. Mais un ensemble de faits n’a jamais constitué une réalité sociale, un ensemble de faits n’a jamais constitué une vie, un ensemble d’institutions n’a jamais constitué une institution car les institutions ne sont ni des ensembles, ni des domaines, ni des classes.

Enfin quelque chose de sensé : « La vie économique n’apparaît historiquement qu’avec une réflexion sur l’économique. » Oui, c’est bien vrai, la « vie économique » n’apparaît qu’avec la propagande (totalement absente chez Ricardo) omniprésente chez Say (l’auteur de l’impérissable loi sur des débouchés, c’est donc lui qui a inventé l’objet “économie”), Walras, Bastiat. Que fut d’autre la réflexion économique si l’on excepte Quesnay, Smith et Ricardo ? La vie économique apparaît exactement comme Jésus et sa mère avec cette différence qu’on en entend seulement parler et qu’on ne la voit jamais. C’est ce qui est arrivé à Jeanne d’Arc.

 

 

Critère de réalité d’un fait social total
selon Lévi-Strauss

(« Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss »,
in Sociologie et anthropologie, PUF, 1950)

 

« …la seule garantie que nous puissions avoir qu’un fait total corresponde à la réalité, au lieu d’être l’accumulation arbitraire de détails plus ou moins véridiques, est qu’il soit saisissable dans une expérience concrète : d’abord d’une société localisée dans l’espace et le temps, “Rome, Athènes” ; mais aussi d’un individu quelconque de ces sociétés, “le Mélanésien de telle ou telle île”. » et « …la preuve du social, elle, ne peut être que mentale ; autrement dit, nous ne pouvons jamais être sûr d’avoir atteint le sens et la fonction d’une institution, si nous ne sommes pas en mesure de revivre son incidence sur une conscience individuelle. Comme cette incidence est une partie intégrante de l’institution [ oui, la connaissance de la situation est un élément de la situation. Jon Barwise, Situations and attitudes, 1983. Voilà ce que j’aurais aimé répondre à Marx en 1963 quand je lisais Le Capital. Depuis, j’ai trouvé la réponse dans une pochette surprise, très bonne surprise, merci. Ce n’est rien d’autre que la formule des totalités concrètes, c’est à dire réelles ], toute interprétation doit faire coïncider l’objectivité de l’analyse historique ou comparative avec la subjectivité de l’expérience vécue » (p. XXVI) et aussi «  Il faut que [le social intégré en système, le fait total] s’incarne dans une expérience individuelle » (p. XXV) Le prétendu objet « économique » de la théorie économique en est incapable.

Selon ce critère de Lévi-Strauss, il résulte que la prétendue réalité économique n’est qu’une accumulation arbitraire de détails, accumulation effectuée par la théorie économique elle-même, accumulation qui se situe donc seulement dans la théorie économique et non directement dans le monde ; ce qui n’empêche pas cette accumulation 1) d’être elle-même un fait social total en tant que théorie dotée de pseudo prix Nobel bancaires [prix de la banque de Suède, c’est à dire prix du renard au poulailler]. Cette institution qu’est la théorie économique est la seule chose — au sens de Durkheim — qui soit économique dans le monde car cette prétendue science n’en est pas une, elle n’a pas pour but la connaissance, elle n’a pas pour but de savoir ce qui a lieu, elle a pour seul but l’enrichissement. (Cette institution satisfait parfaitement le critère de réalité de Lévi-Strauss car les économistes sont intarissables sur leur propre expérience vécue de cette institution.) Elle va donc considérer, le plus arbitrairement du monde, les seuls faits qui concernent l’enrichissement, conformément à son but sous influence et « rien donc ne nous assure par avance qu’il y ait une sphère de l’activité sociale où le désir de la richesse joue réellement ce rôle prépondérant » pour reprendre les termes mêmes de Durkheim. Or il existe une institution que tout le monde connaît et qui répond donc au critère de Lévi-Strauss parce qu’elle est avant tout l’activité des commerçants de même que l’économie politique est l’activité des économistes : c’est le commerce et le commerce a pour seul but l’enrichissement des commerçants quel que soit le prix a payer historiquement parlant et la seule richesse qui intéresse les commerçant est la richesse de l’argent et non « les richesses » prétendues, pommes de terre ou chaussures Gucci. Ce qui caractérise une société est le genre de richesse qui y est prisée. Dans la société commerciale, c’est l’argent et lui seul. Le but de la prétendue science économique n’est pas du tout la connaissance de cette manifeste et intéressante institution mais seulement l’enrichissement des commerçants quel que soit le prix à payer. Les prétendues lois de la prétendue science économique « ne sont que des maximes d’action, des préceptes pratiques déguisés » pour employer les termes même de Durkheim, ce que je nommais ailleurs « des recettes » ; 2) d’être parfaitement pertinente et efficace pour atteindre les buts que se propose la théorie économique : comment enculer plus, plus longtemps, sans que toutefois la tinette ne déborde (ce non débordement étant qualifié soit de « plus grand bonheur pour le plus grand nombre », soit de « seule solution » qui ne prétend rien d’autre qu’être une solution finale (vous comprenez ce que je veux dire. A solution finale, solution finale ennemie). Comme le dit pertinemment Durkheim, cette accumulation arbitraire ne décrit pas, ni ne désigne, pour autant un fait social total, mais constitue seulement un recueil de recettes qui ne désigne rien du tout et d’ailleurs ne prétend généralement rien désigner du tout : les économistes dans leur grande majorité ne prétendent rien désigner du tout mais se contentent de poursuivre le but que je qualifie plus haut et c’est pour cela qu’ils sont payés et qu’ils reçoivent de pseudo prix Nobel bancaires. Ils sont les tinettiers du monde marchand. La théorie économique n’est qu’un ensemble de recettes dans la pensée bourgeoise comme je le disais déjà en 1976 et son objet réel, son seul objet n’est pas une hypothétique réalité économique mais l’enrichissement des commerçants. Une accumulation arbitraire de détails ne caractérise aucune chose sociale mais seulement des détails. La totalité de ces détails est seulement une totalité pensée et non pas une totalité concrète.

Je vais me permettre, ne vous en déplaise, de corriger la prose de Lévi-Strauss. Il aurait dû écrire (l’art est facile, la critique est difficile) : « …la seule garantie que nous puissions avoir que la description d’un fait total corresponde à la réalité, au lieu d’être une accumulation arbitraire de détails plus ou moins véridique, est que le fait décrit soit saisissable dans une expérience concrète : d’abord d’une société localisée dans l’espace et le temps, “Rome, Athènes” ; mais aussi d’un individu quelconque de ces sociétés, “le Mélanésien de telle ou telle île”. » La question est que la description corresponde ou non. Le fait total en lui-même, s’il existe, est totalement indifférent à sa description puisqu’il est la réalité, de toute façon. Il vous emmerde, vous, Lévi-Strauss et moi-même.

 

 

 Notes 2 bis     

Mr Ripley s’amuse

Notes 1→