NOTES DE LECTURE

Écarte-toi… poëte

 

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Cette couleur de fond fut prise avec la pipette sur un reflet de l’aile avant gauche de la Bugatti

Une erreur fondamentale de Marx

Théorie des ensembles non fondés

 Durkheim n’est pas naturaliste

 Avis aux laïcars et aux services de renseignement

De la division anomique du travail

Étonnant article de Vincent Descombes

Des faits économiques   MAJ 7-05-2005

Verrouillage   MAJ 14-01-2005

Nominalisme

Totalités pensées et totalités concrètes

Weber n’a rien inventé

Comment on écrit l’histoire de la langue française

Nouvelles aventures du concept

Seul le concept a le pouvoir de constituer une collection

De l’esprit et des nombres

Le système des besoins

L’œuvre de Marx est une idéologie au sens de Marx

_________________________

Notes de lecture – mai 2006 Þ

 

 

 

Une erreur fondamentale de Marx
dénoncée par Papaioannou

 

 

« Marx sera reconnaissant à Feuerbach d’avoir mis la critique de la religion au centre de l’intérêt philosophique : “La critique de la religion, dit-il est la condition de toute critique.” Mais bien qu’elle soit le modèle de toute critique de la culture, la critique de l’économie politique y compris, la critique de l’aliénation religieuse a chez Marx une signification secondaire. “L’aliénation religieuse, dira Marx contre Feuerbach, ne s’opère que dans le domaine de la conscience, dans le for intérieur de l’homme, mais l’aliénation économique est celle de la vie réelle : sa suppression s’étend par conséquent à l’une et à l’autre. ”

 

» Cette distinction entre ces deux types d’aliénation est fondamentale. Tout d’abord, l’aliénation religieuse, et plus généralement l’aliénation spirituelle, est pour Marx un pur résultat de l’aliénation économique : la suppression de celle-ci entraînera immanquablement la disparition de celle-là. Ensuite, ce qui est plus important, seule l’aliénation économique représente aux yeux de Marx une étape nécessaire de la réalisation humaine, un enrichissement réel de l’être humain. Ici la négation de l’aliénation a le double aspect dialectique de suppression et de conservation. En revanche l’aliénation “idéologique” n’a aucun rapport avec la véritable essence de l’homme ; l’ensemble de la “vie idéelle” doit être dénoncé et rejeté comme une forme purement illusoire de l’existence humaine : ici la négation de l’aliénation perd son sens dialectique et devient synonyme d’anéantissement pur et simple. »

 

(Kostas Papaioannou, De Marx et du marxisme. I. Fondation du marxisme. 1. Ontologie des forces productives, Gallimard, 1983, pp. 125-126. Ce texte fut publié pour la première fois en 1956 dans la Revista mexicana de literatura sous le titre : Marx et la souveraineté de l’industrie. Essai sur les fondements du marxisme. Quand  je publiai en avril 1978 mon désormais fameux : Marx n’a jamais été critiqué, j’ignorais évidemment l’existence de ces textes confidentiels repris par la suite, en 1961, dans la revue de Souvarine. Les deux crapules Debord et Lebovici ont emporté dans la tombe et le dura four crématoire leur secret, eux qui savaient qui avait déjà critiqué Marx. Debord a rencontré personnellement Papaioannou lors d’un déjeuner au restaurant et connaissait la revue de Souvarine, il aurait au moins pu le lire. En fait il n’avait pas de quoi régler l’addition et fut étonné que Papaioannou ne payât pas pour tout le monde. Heureusement, Viénet avait un billet de cent francs sur lui et il put régler la part des situationnistes. Debord me dit : « C’était un type bizarre ce Papaioannou »)

 

Peut-être la critique de la religion est-elle le modèle de toute critique. L’ennui, c’est que cette critique n’a jamais eu lieu (l’essai de Durkheim, malgré ses mérites, n’est pas abouti, sinon New York n’aurait pas été bombardée) ; tant Feuerbach que Marx en furent incapables car critiquer la religion, c’est d’abord la comprendre. N’ayant jamais effectué cette compréhension, Marx a critiqué tout le reste de la même manière, c’est à dire aussi mal, avec les mêmes préjugés bien de son temps, sans comprendre.

L’erreur fondamentale de Marx est de soutenir que l’aliénation religieuse n’a lieu que dans le domaine de la conscience alors que les religions sont de puissantes institutions qui ont lieu dans le monde. A partir d’une telle bourde, comment voulez-vous comprendre quoi que ce soit à ce qui est le cas. Marx sera incapable de comprendre la moindre institution puisque si l’aliénation religieuse n’a pas lieu dans la conscience mais dans le monde, la conscience joue dans toute institution le même rôle qu’elle joue dans l’institution de la religion. Là réside le réductionnisme de Marx, réductionnisme bien de son temps. Ensuite, seconde erreur, selon Marx tout est mauvais dans la religion qui ne serait qu’obscurantisme et bêtise (même Voltaire n’a pas osé soutenir cela) et Krupp expliquerait Vulcain. Baudelaire, son contemporain mieux inspiré dit que même si Dieu n’existe pas, la religion est divine et sainte. Effectivement, si la religion est seulement du caca et de l’enfantillage, comment voulez-vous la dépasser, c’est à dire l’abolir en conservant ce qui est vrai en elle, c’est à dire la divinité et la sainteté. Détruisez la religion comme l’a fait le commerce des bourgeois triomphants dans le monde entier et vous obtenez des porcs, mais rien de divin ni de saint. Baudelaire ajoute : ce monde doit disparaître. Qu’a-t-il à proposer sous le ciel, sinon d’exister, ce qui est fort peu (en effet, étant donné les armes nucléaires). Dans la religion, les hommes s’exercent à la divinité et à la sainteté, la religion est bien un exercice de pratique spirituelle, de divinité et de sainteté. Détruisez ces exercices sans les remplacer par quelque chose de supérieur, et vous obtenez des porcs autrement dit des bourgeois et des Pompidous des sous

L’anéantissement pur et simple de la religion souhaité par Marx, ne produit que des porcs comme on peut le constater dans le monde des patineurs à roulettes et des pédés mariés, et donc, seul le dépassement de la religion est souhaitable. Alors que Marx se serait contenté, selon Papaioannou, de la destruction de la religion (destruction que l’on attend toujours ; en fait c’est la religion, puissante institution, qui détruit les tours de New York), j’en appelle à son dépassement, c’est à dire en premier lieu à sa compréhension, compréhension dont Feuerbach et Marx furent totalement incapables. Il ne faut pas pour autant jeter le pierre à Marx, la conception de ce dépassement était impossible de son temps et n’est possible aujourd’hui que grâce à l’émir Ben Laden, que Dieu le garde. Durkheim a répondu à Marx que la religion n’avait pas pour but le bonheur, illusoire ou non, des peuples mais de susciter des actes ce qui est prouvé aujourd’hui de manière éclatante. La porcinité bourgeoise a certes réussi à anéantir la religion là où règne cette porcinité (sauf la religion d’arrière boutique des épiciers), on voit le résultat qui, de toute façon n’est pas le bonheur des peuples mais un surcroît de malheur. C’est pourquoi les Arabes ne veulent pas devenir des porcs. Naipaul devrait dire qu’ils veulent bien des avions et des téléphones, mais pas de la porcinité. Il le dit d’ailleurs lors de son voyage en Indonésie où il n’y a pas d’Arabes mais beaucoup de musulmans. Si le prix à payer pour les avions et les téléphones est la porcinité, ils n’en veulent pas ou bien en font l’usage que l’on sait.

Dieu est à la prétendue réalité économique ce que la religion est à l’économie politique. Ni Dieu, ni la prétendue réalité économique ne sont des institutions tandis que les religions et l’économie politique sont de puissantes institutions. C’est Dieu qu’il faut nier mais c’est la religion qu’il faut comprendre. Quand bien même Dieu n’existerait pas, la religion demeure divine et sainte. Qui comprendrait la religion comprendrait tout. Quant à l’économie politique, elle est seulement merdeuse. Elle est facilement compréhensible et sa compréhension n’a aucun intérêt. Ô bourgeois et pédérastes compréhensibles.

 

 

Théorie des ensembles non fondés
Fin du réductionnisme de Marx

 

 

Jon Barwise and Lawrence Moss, professors of Computer Science and Mathematics at Indiana University, Vicious Circles: On the Mathematics of Non-Wellfounded Phenomena, CSLI, 1996, Standford University. Written as a book to learn from, in very basic English… The text is suitable for use in a classroom, seminar, or for individual study. Tout ce qu’il vous faut pour prouver que 1) Brigitte Bardot est une institution dont la formule barwisienne est : il est bien connu que Brigitte est bien connue*, 2) l’argent est une institution : il est bien connu que le pouvoir de l’argent est bien connu, 3) Brigitte Bardot et l’argent sont des institutions de même type : ce qu’il y a d’admirable dans l’institution argent et dans l’institution Brigitte, c’est l’universel effectif, l’universel qui agit et contraint, l’universel doué d’effet.

*. Cette formule est due à Boorstin, en 1961. Un plaisantin dont j’ai oublié le nom a même dit : « Il était surtout connu pour sa notoriété »

Il semblerait qu’il existe une mathématique des totalités concrètes nommée théorie des ensembles non fondés. De tels ensembles, qui de ce fait n’en sont plus (hyper ensembles), admettent des formes de circularité telle que : le fait qu’une situation soit de notoriété publique fait partie de la situation elle-même (Jacques Dubucs, Pour la Science, dossier n° 49, oct.-déc. 2005). C’est, ni plus ni moins, la négation du réductionnisme de Marx. La notoriété publique d’une situation est la réflexion de la situation en elle-même. La situation est dotée d’un intérieur. Cet intérieur est infini. Heil Hegel ! Une telle situation est infinie, au sens de Hegel, car elle s’est posée elle-même. Les totalités concrètes sont concrètes parce qu’elles contiennent le négatif comme apparence. La totalité se supprime comme apparence en direction de l’immédiateté de ses éléments, immédiateté qui, de ce fait, est supprimée (l’immédiateté, pas l’individu, ne pas confondre Hegel et Goebbels). X est célèbre parce que chacun sait que chacun sait que chacun connaît X de nom (par opposition à connaître personnellement), comme dirait Marcel (Proust, Descombes, 1987). X ne serait pas célèbre si chacun connaissait X sans savoir que chacun, c’est à dire tous, le connaissent de nom, c’est à dire sans savoir que chacun connaît la situation : l’universalité de la connaissance doit être elle-même universellement connue pour être effectivement universelle (c’est à dire agir et contraindre, c’est à dire être sujet). Heil Hegel ! C’est, ni plus ni moins, la négation du réductionnisme de Marx. C’est la réflexion de l’universalité en elle-même : l’universalité d’une connaissance doit être elle-même universellement connue pour devenir effectivement — dirait Hegel — universelle, c’est à dire substance. C’est pas beau ça ? L’universel ne devient effectivement l’universel que lorsqu’il sait qu’il l’est. Heil Hegel ! Les gens célèbres sont célèbres parce qu’ils sont célèbres. (En 1951, Boorstin note déjà dans l’Image qu’un homme célèbre l’est parce que : il est bien connu qu’il est bien connu. Il pressent déjà ce que développera Barwise plus tard.) La puissance de l’argent repose sur une telle circularité. Chacun sait que chacun sait que chacun a confiance dans l’argent et seulement dans l’argent. Qui a institué cette puissante institution ? Personne. Elle s’est instituée elle-même. Une telle situation est donc infinie, au sens de Hegel, car elle s’est posée elle-même. Ensuite, l’institué est devenu l’instituant, c’est le « il en a toujours été ainsi » des sauvages. La situation de notoriété publique est devenue sujet. Heil Hegel ! C’est ce que je nommais, faute de mieux, « publicité » dans mon Reich, mode d’emploi de 1971. La publicité n’est autre que la notoriété universelle de la situation, c’est à dire la réflexion de la situation en elle-même. C’est la situation elle-même qui est publique, qui est savoir universel. J’extrapole : le monde est savoir, le monde est de notoriété publique. Tout finit par arriver. C’est cela, je suppose, que Durkheim nommait examiner, un jour futur, les choses de l’intérieur. Ces totalités concrètes ont une puissance considérable. « pure négativité de la réflexion de l’essence en elle-même ou la puissance de la substance ». C’est la raison qui fait que les hommes obéissent passivement. C’est la connaissance de cette raison qui peut leur permettre, non de cesser d’obéir, mais de cesser d’obéir passivement afin d’obéir librement et de construire enfin leurs villes à la campagne, comme le faisaient déjà les Grecs. La puissance de la substance consiste dans la totalité de cette négativité (Encyclopédie, § 109, éd. de 1917). J’ai pensé un moment que Debord traitait de cette question dans son célèbre livre. Ce dont traitait Debord sous le nom de spectacle était peut-être ce paraître dans soi de la situation. Il n’en était rien, Debord était seulement un prétentieux imbécile qui crut un instant qu’il était possible de m’intimider. Quand je lui parlais de ces choses (réflexion de la situation dans elle-même) en 1976, après la parution de mon Enquête, au bout de dix minutes il me demanda : « Me prends-tu pour un imbécile ? » J’aurais dû. Ainsi ce fut l’informatique qui m’apporta d’abord la fortune — ach ! le langage binaire des ordinateurs ! l’a-t-on suffisamment entendue celle-là, sombre crétin ! — puis, des professeurs américains d’informatique théorique qui m’apportent le savoir dont j’ai besoin. Voilà donc quelle était l’état de la discussion dans l’Internationale situationniste, ces gens qui prétendaient discuter de tout ce qui était discutable, prétention qui, précisément, m’avait séduit chez eux mais n’était en fait que pure vantardise, comme l’avenir l’avéra.

Déjà, en 1969, « the philosopher David Lewis uncovered a deep source or circularity in human affairs [ humean affairs ], described in his famous study of convention » : Convention. A Philosophical Study. Que temps perdu. En 1969 je lisais les conneries à Debord. Pourtant, en 1971, dans mon Reich, mode d’emploi, c’était bien le public knowledge que j’avais en vue. De même, Hegel traite de public knowledge, contrairement à Marx. Avec Marx le knowledge a complètement disparu, public or not. Le knowledge n’est plus qu’insignifiante superstructure. Halte ! tu serres.

Cahiers du Centre de Logique n° 7

La théorie des ensembles usuelle pose comme axiome qu’un ensemble ne peut appartenir à lui-même (axiome de fondation) afin d’échapper aux paradoxes et, en général, que les ensembles sont bien fondés. Cet axiome a été depuis longtemps mis en question par des axiomes d’anti-fondation. D’autre part, il existait des théories des ensembles plus marginales, comme celle de Quine, qui sont naturellement anti-fondées. Mais c’est surtout ces dernières années, suite à la découverte par Aczel de l’axiome AFA, dû à Forti et Honsell, et exploité par Barwise dans la théorie logico-linguistique des situations, que l’étude des ensembles anti-fondés a connu un essor sans précédent.


Marcel Crabbé : de la Complétude de la théorie naïve des ensemble
Marcel Crabbé. Divers textes dont un cours de logique et un cours de loglangue. (Il y a également un Bruno Crabbé qui sévit.)

Hinnion : A propos de l’anti-fondation (Post script)

Jacques Dubucs et François Lepage, Méthodes logiques pour les sciences cognitives, Hermès, 1995

Bruno Marchal

« Voici en outre un paradoxe dû à Cantor lui-même. Il l’aurait laissé dormir pendant 12 ans dans un tiroir.

Soit U l’ensemble universel, c’est-à-dire l’ensemble de tous les ensembles.

D’une part :

|U| < |2U|

en vertu du théorème de Cantor, d’autre part :

|2U| < |U|

car tous les éléments de 2U sont des éléments de U.

On peut distinguer deux grands schémas de solutions, les solutions typées ou prédicatives, où l’on interdit en gros les auto-applications (solutions russelliennes), et les solutions non-typées (imprédicativité, intuitionisme, non-fondation, fermeture pour la diagonalisation, etc.) où l’on permet et favorise les auto-applications (solutions austiniennes). L’approche présente sera plus austinienne que russellienne. »

 

« Lorsqu’on introduit dans une question des mots ayant une connotation temporelle, il n’est plus toujours possible de répondre correctement par oui ou par non, comme dans l’exemple suivant : Avez-vous cessé de mépriser la machine ? La réponse oui signifie que vous la méprisiez, la réponse non signifie que vous la méprisez encore, si bien qu’au cas où vous ne l’auriez jamais méprisée [ ce qui est mon cas puisque je suis ajusteur mécanicien ] ni oui ni non n’est disponible pour une réponse satisfaisante. »

 

Tiens, revoilà Bruno Marchal, ce mécaniste enragé (la physique est une branche de la psychologie). L’auteur conclut l’introduction à sa première thèse de 1995, à Bruxelles, déclarée non recevable par le jury (voilà au moins quelqu’un que cela ne rebute pas, contrairement aux Bogdanov. Il a remis ça, avec succès (est-ce exact ?), à Lille en 1998 avec l’approbation, notamment, du Dr Grouta-Miaou-Conejo de Paris VII — on voit que le zoo du jardin des plantes n’est pas loin de Paris VII. Qui libèrera le loup ?) : « Dans ce travail, je démontre que l’hypothèse mécaniste indexicale et digitale entraîne la nécessité de la réduction inverse de la matière à celle de la conscience faisant ultimement [ finalement ] de la physique une branche de l’arithmétique. » Autrement dit, la réduction de la conscience à la matière entraîne réciproquement la réduction de la matière à l’arithmétique : trop de mécanisme tue le mécanisme. « A contre-courant d’idées couramment admises, la thèse de M. Marchal est que précisément, l’hypothèse du computationnalisme conduit à rejeter celle du matérialisme. » souligne le Dr Enjalbert, de Caen, dans son rapport favorable à la soutenance de la seconde thèse en 1998.

En fait, l’auteur soutient que le mécanisme lui-même est victime du réductionnisme.

 

Une machine, jamais, n’abolira l’apparence.

 

 

Durkheim n’est pas naturaliste

 

 

« Le plus souvent, les penseurs qui ont entrepris de traduire la religion en termes rationnels n’y ont vu ou n’y ont guère vu qu’un système d’idées, un système de représentations destinées à exprimer telle ou telle portion du réel telle que le sommeil, le rêve, la maladie, la mort ou les grands spectacles de la nature. Or, quand on ne voit dans la religion que des idées ou quand on y voit principalement des idées, il semble vraiment que l’individu ait pu l’édifier par ses seules forces. Sans doute, ces représentations ont quelque chose de décon­certant, elles ont comme un caractère mystérieux qui nous trouble. Mais, d’un autre côté, nous savons par expérience que les combinaisons mentales sont si variées, si diverses, si riches, si créatrices qu’a priori nous faisons crédit à l’esprit et nous acceptons volontiers, par avance, que la pensée ait pu, de toutes pièces, inventer ces merveilles. Seulement et quoique les idéaux reli­gieux aient, par eux-mêmes, des caractères spéciaux, ce n’est pas de ce côté qu’il faut aller chercher ce qu’il y a vraiment de spécifique dans la religion.

« La religion, en effet, n’est pas seulement un système d’idées, c’est avant tout un système de forces. L’homme qui vit religieusement n’est pas seulement un homme qui se représente le monde de telle ou telle manière, qui sait ce que d’autres ignorent ; c’est avant tout un homme qui sent en lui un pouvoir qu’il ne se connaît pas d’ordinaire, qu’il ne sent pas en lui quand il n’est pas à l’état religieux. La vie religieuse implique l’existence de forces très particulières. Je ne puis songer à les décrire ici ; rappelant un mot connu, je me contenterai d’en dire que ce sont ces forces qui soulèvent les montagnes. J’entends par là que, quand l’homme vit de la vie religieuse, il croit participer à une force qui le domine, mais qui, en même temps, le soutient et l’élève au-dessus de lui-même. Appuyé sur elle, il lui semble qu’il peut mieux faire face aux épreuves et aux difficultés de l’existence, qu’il peut même plier la nature à ses desseins.

« Ce sentiment-là a été trop général dans l’humanité, il a été trop constant pour qu’il puisse être illusoire. Une illusion ne dure pas ainsi des siècles. Il faut donc que cette force que l’homme sent venir à lui soit réellement exis­tante. Par conséquent, le libre penseur, c’est-à-dire l’homme qui se donne mé­tho­di­quement comme tâche d’exprimer la religion par des causes naturelles, sans faire intervenir aucune espèce de notion qui ne soit pas empruntée à nos facultés discursives ordinaires, un tel homme doit se poser la question reli­gieuse dans les termes suivants : de quelle partie du monde de l’expérience peuvent lui venir ces forces qui le dominent et qui, en même temps, le sustentent ?

« On comprend très bien que ce n’est pas en essayant d’interpréter tel ou tel phénomène naturel qu’il nous a été possible de faire venir à nous un pareil afflux de vie. Ce n’est pas d’une représentation erronée du sommeil ou de la mort qu’ont jamais pu surgir des forces de cette nature. Le spectacle des grandes puissances cosmiques ne peut davantage avoir produit cet effet.

« C’est là, comme vous le savez peut-être, l’explication rationnelle la plus haute qui ait été proposée de la religion. Mais les forces physiques ne sont que des forces physiques : par conséquent, elles restent en dehors de moi. Je puis les voir du dehors ; elles ne me pénètrent pas, elles ne viennent pas se mêler à ma vie intérieure. Je ne me sens pas plus fort, mieux armé contre les destinées, moins asservi à la nature parce que je vois les fleuves couler, les moissons germer, les astres accomplir leurs révolutions : il n’y a que des forces morales que je puisse sentir en moi, qui puissent me commander et me réconforter. Et encore une fois, il faut que ces forces soient réelles, qu’elles soient réellement en moi. Car ce sentiment de réconfort et de dépendance n’est pas illusoire. »

Durkheim, L’Avenir de la religion, 1914. Chicoutimi →

Chez Durkheim, causes naturelles ne signifie pas phénomène de classe naturelle ni interprétation de phénomène naturel, mais cause qui ne fait appel à rien qui soit surnaturel. C’est tout. Pour Durkheim les sociétés ont leur vie propre.

 

 

Avis aux laïcars et aux services de renseignement

 

 

« En résumé, ce que je demande au libre penseur, c’est de se placer en face de la religion dans l’état d’esprit du croyant. C’est à cette condition seulement qu’il peut espérer la comprendre. Qu’il la sente telle que le croyant la sent, car elle n’est véritablement que ce qu’elle est pour ce dernier. Aussi qui­conque n’apporte pas à l’étude de la religion une sorte de sentiment reli­gieux ne peut en parler ! [ Oui, il faut de la ferveur pour parler de la religion ] II ressemblerait à un aveugle qui parlerait de cou­leurs.

(…)

« Il ne peut pas y avoir une interprétation rationnelle de la religion qui soit foncièrement irréligieuse ; une interprétation irréligieuse de la religion serait une interprétation qui nierait le fait dont il s’agit de rendre compte [ Voilà la faute de Bauer, Feuerbach et Marx. Non, Krupp n’explique pas Héphaïstos, mais oui Krupp est bien la cause de la disparition d’Héphaïstos, non pas comme le croit benoîtement Marx (ou Anders, ou Heildegger) parce que la technique (le savoir faire) de Krupp surpasse celle d’Héphaïstos et contrairement à celle d’Héphaïstos, parce qu’elle a lieu — grossier naturalisme — ; mais parce que le bourgeois Krupp et ses pairs — le Big Business, today — contribuent à installer un monde dénué de tout idéal, uniquement basé sur l’argent, un système des besoins ]. Rien n’est plus contraire à la méthode scientifique. [ Étonnant savant que ce Durkheim ] Ce fait, nous pouvons le comprendre différemment, nous pouvons même arriver à ne pas le comprendre, mais nous ne saurions le nier.

« Et en effet, quand on se refuse à confondre la religion avec tel ou tel dogme particulier, ce qu’on voit surtout en elle, c’est un ensemble d’idéaux qui ont pour effet d’élever l’homme au-dessus de lui-même, de l’amener à se déprendre de ses intérêts temporels et vulgaires et de lui faire vivre une exis­tence qui dépasse en valeur et en dignité celle qu’il mène quand il ne s’occupe que d’assurer sa subsistance. [ Pompidou des sous ! A la décharge de Popu, il faut dire que c’est Krupp et ses pairs qui l’ont contraint à n’être capable que de se soucier de sa subsistance, chose impensable à Kirivina ]

(…)

« Naguère, un orateur, nous montrant les cieux d’un geste prophétique, nous disait qu’ils se vident et nous engageait à tourner nos regards vers la terre, c’est-à-dire à nous occuper avant tout d’aménager le mieux possible nos inté­rêts économiques. On a dit de la formule qu’elle est impie. Du point de vue auquel je me place, on peut dire qu’elle est fausse. Non, il n’est pas à craindre que jamais les cieux se dépeuplent d’une manière définitive [ comme voudraient nous le faire croire ces professeurs petitement planqués — quel idéal — qui proclament le désenchantement du monde ] ; car c’est nous-mêmes qui les peuplons. Ce que nous y projetons, ce sont des images agran­dies de nous-mêmes. Et tant qu’il y aura des sociétés humaines, elles tireront de leur sein de grands idéaux dont les hommes se feront les serviteurs. [ La question est donc : y a-t-il encore des société humaines ou seulement une porcherie, définitivement ? ]

« Dans ces conditions, n’est-il pas permis de dire qu’une conception sociale de la religion est nécessairement animée d’un souffle religieux qu’on ne peut méconnaître sans injustice ? [ Il faut être soi-même inspiré pour comprendre la religion, ce que ne furent ni Bauer, ni Feuerbach, ni Marx, ni tant d’autres. C’est pourquoi Ben Laden m’est d’un si grand secours. Il me permet de constater que je ne suis pas le seul être inspiré de ce monde. Avec le bédouin Ben Laden, ma traversée du désert prend fin et Durkheim est comme une source fraîche. Frege est un alcool fort ]

(…)

« Si aujourd’hui, notre vie religieuse se languit, si les renaissances passa­gères qu’on signale ne font jamais l’effet que de mouvements superficiels et passagers, ce n’est pas parce qu’on s’est détourné de telle ou telle formule confessionnelle, mais c’est que notre puissance créatrice d’idéaux a faibli. Mais c’est que nos sociétés traversent une phase d’ébranlement profond. De cet ébranlement qu’elles subissent, elles peuvent être fières, en un sens, car il vient de ce que, ayant passé la période d’équilibre où elles pouvaient vivre tranquillement du passé, elles sont obligées de se renouveler et se cherchent laborieusement, douloureusement. Les vieux idéaux et les divinités qui les incarnaient sont en train de mourir, parce qu’ils ne répondent plus suffisam­ment aux aspirations nouvelles qui se sont fait jour, et les nouveaux idéaux qui nous seraient nécessaires pour orienter notre vie ne sont pas nés. Nous nous trouvons ainsi dans une période intermédiaire, période de froid moral qui explique les manifestations diverses [ ! ] dont nous sommes, à chaque instant, les témoins inquiets ou attristés. 

« Mais qui ne sent — et c’est ce qui doit nous rassurer — qui ne sent que, dans les profondeurs de la société, une vie intense s’élabore qui cherche ses voies d’issue et qui finira bien par les trouver [ la preuve : les RG viennent de découvrir des salles de prières clandestines. Ce n’est plus les bordels, ni les tripots qui sont clandestins aujourd’hui, mais les salles de prière ]. Nous aspirons à une justice plus haute qu’aucune des formules existantes n’exprime de manière à nous satis­faire. Mais ces aspirations obscures qui nous travaillent arriveront, un jour ou l’autre, à prendre plus clairement conscience d’elles-mêmes [ publicité de la misère morale ], à se traduire en des formules définies autour desquelles les hommes se rallieront et qui deviendront un centre de cristallisation pour des croyances nouvelles. Quant à la lettre de ces croyances, c’est ce qu’il est inutile de chercher à percevoir. Resteront-elles générales et abstraites, se rattacheront-elles à des êtres person­nels qui les incarneront et les représenteront ? Ce sont là contingences historiques que l’on ne saurait prévoir.

« Tout ce qu’il importe, c’est de sentir, par-dessous le froid moral qui règne à la surface de notre vie collective, les sources de chaleur que nos sociétés por­tent en elles-mêmes [ en Arabie, il fait chaud, c’est vrai ]. On peut même aller plus loin et dire avec quelque préci­sion dans quelle région de la société ces forces neuves sont particuliè­re­ment en voie de formation : c’est dans les classes populaires. [ un siècle plus tard, il est permis d’en douter ] »

 

Durkheim, L’Avenir de la religion, 1914. Chicoutimi

 

 

De la division anomique du travail
Un lecteur de Marx et de Frege lit Durkheim

 

 

« Si l’on a souvent fait consister dans le seul échange les relations sociales aux­quelles donne naissance la division du travail, c’est pour avoir méconnu ce que l’échan­ge implique et ce qui en résulte. Il suppose que deux êtres dépendent mutuelle­ment l’un de l’autre, parce qu’ils sont l’un et l’autre incomplets, et il ne fait que traduire au-dehors cette mutuelle dépendance. (…) L’image de celui qui nous complète devient en nous-même inséparable de la nôtre, non seulement parce qu’elle y est fréquemment associée, mais surtout parce qu’elle en est le complément naturel : elle devient donc partie intégrante et permanente de notre conscience, à tel point que nous ne pouvons plus nous en passer et que nous recher­chons tout ce qui en peut accroître l’énergie. »  (Durkheim, de la Division, L 1, C1, 2)

 

« Dans tous ces exemples, le plus remarquable effet de la division du travail n’est pas qu’elle augmente le rendement des fonctions divisées, mais qu’elle les rend solidaires. » (L1, C1, 2)

 

Donc, pour Durkheim  la division du travail a pour effet essentiel la production de solidarité. Pourtant, aujourd’hui on observe exactement l’inverse. Mais Durkheim remarque aussi que pour sa simple survie, chacun est totalement dépendant du reste du monde, à chaque seconde de sa vie. Il s’agit donc aussi d’une solidarité, mais négative.

 

Durkheim se trompe donc : au lieu que la prétendue solidarité organique basée sur la division du travail augmente les rapport positifs, c’est à dire coopératifs, elle augmente les rapports négatifs. Et au lieu de libérer la personne des chaînes qui la lient à la chose au bénéfice des liens des personnes entres elles, la division du travail a lié, comme jamais dans l’histoire de l’humanité, la chose à la personne au détriment du lien des personnes entre elles. Mieux, ces derniers liens sont non seulement devenus impossibles, mais ils sont pourchassés là où ils demeurent, par exemple en Arabie.

 

De même que le protestant est seul, personnellement, face à son dieu, la personne est sommée de se tenir seule face au monde et tout est fait pour ça.

 

Le droit coopératif est de la poudre aux yeux étant donné qu’il est devenu inutile puisque « celui qui n’a plus sa place au banquet de la nature n’a qu’à aller se faire cuire un œuf » pour employer les fortes paroles de Malthus. Remarquons que la nature dont il est question est fort peu naturelle. Cette place au banquet de la nature signifie en fait que celui qui n’a pas d’argent n’a plus qu’à crever. Quel besoin y a-t-il d’un droit coopératif, là où l’argent suffit ?

 

Les anomistes libre-échangistes (les dérèglementeurs, littéralement) n’ont de cesse que disparaissent toutes relations entre les personnes et toute réglementation afin que les personnes soient liées directement à la Chose (le monde ? l’argent ?).

 

« Il est très légitime de supposer que les faits que nous venons d’observer se reproduisent ici, mais avec plus d’ampleur ; que ces grandes sociétés politiques ne peuvent, elles aussi, se maintenir en équilibre que grâce à la spécialisation des tâches ; que la division du travail est la source, sinon unique, du moins principale de la solidarité sociale. C’est déjà à ce point de vue que s’était placé Comte. De tous les sociologues, à notre connaissance, il est le premier qui ait signalé dans la division du travail autre chose qu’un phénomène purement économique. Il y a vu "la condition la plus essentielle de la vie sociale", pourvu qu’on la conçoive "dans toute son étendue rationnelle, c’est-à-dire qu’on l’applique à l’ensemble de toutes nos diverses opérations quelconques, au lieu de la borner, comme il est trop ordinaire, à de simples usages matériels". Considérée sous cet aspect, dit-il, "elle conduit immédiatement à regarder non seulement les individus et les classes, mais aussi, à beaucoup d’égards, les différents peuples comme participant à la fois, suivant un mode propre et un degré spécial, exactement déterminé, à une oeuvre immense et commune dont l’inévitable développement graduel lie d’ailleurs aussi les coopérateurs actuels à la série de leurs prédécesseurs quelconques et même à la série de leurs divers successeurs. C’est donc la répartition continue des différents travaux humains qui constitue principalement la solidarité sociale et qui devient la cause élémentaire de l’étendue et de la complication croissante de l’organisme social" » 

 

L’œuvre est immense, l’œuvre est commune dans la mesure où elle est unique et la même pour tous, mais le hic, c’est qu’elle ne leur appartient pas et, non contente de cela, les écrase directement. C’est à dire, si les mots veulent dire quelque chose, sans intermédiaire. Cela dit, l’œuvre est réelle si le monde est un savoir, dût-il en crever. Le monde n’est pas un ensemble de chose mais un savoir, mais une institution.

 

Durkheim se trompe et se contredit : l’antagonisme entre le capital et le travail n’est pas un cas anormal mais normal dans la division du travail anomique que nous connaissons aujourd’hui. (L3, C1, 1)

 

Les rapports humains n’ont jamais été autant négatifs, chaque personne étant liée directement à la chose, si peu coopératifs, si peu positifs. Plus que jamais dans l’histoire du monde, plus que dans aucune autre société, il n’ont tant lié la chose à la personne et interdit les liens des personnes entre elles. Comte a donc été plus clairvoyant que Durkheim  sur ce point. Ce que redoutait Comte, un des auteurs préférés de Michel « prends l’oseille », s’est produit et Durkheim remarque à juste titre que la sociologie est impuissante à remédier à ce fléau, de même que la philosophie de la science est impuissante à réunifier la science. A mon humble avis, seul le monde lui-même est capable d’unifier ce qui est divisé. C’est pourquoi je pense que le démonteur de mac Donald est un crétin.

 

Ce qui devait apporter la diversité apporte l’uniformité. Le seul cas où la diversité se vérifie est la science où l’unité de la science est perdue mais où la spécialisation semble ne connaître plus de bornes. — De même, c’est seulement dans la science qu’a lieu la variabilité individuelle souhaitée par Durkheim étant donné que seuls quelques spécialistes peuvent comprendre leur spécialité avant que celle-ci ne passe dans le domaine applicatif. Mais cette variabilité n’a lieu que dans l’activité professionnelle. Dès qu’il sort de  cette activité, le spécialiste scientifique chausse ses patins à roulettes, comme tout le monde. Cependant, certains, mathématiciens généralement, ne sortent jamais de leur activité professionnelle. Poincaré en est un exemple célèbre, James Joyce un autre. — Sinon, partout des employés, à l’activité stupide et identique, des ouvriers devenus de simples opérateurs, en fait des employés avec des mœurs d’employés (disparition non des ouvriers mais du milieu ouvrier, rien n’est pire que les ouvriers à la campagne), des patineurs à roulettes, des touristes. Notons en passant qu’il n’y a nulle part de consommateurs ou de producteurs, comme le prétend le réductionnisme. Le plus con-sommateur n’est pas un consommateur. C’est seulement une lubie du réductionnisme. Nous verrons cela plus tard.

 

Durkheim a raison sur un point : l’égoïsme n’est pas le point de départ de l’humanité (L1, C6, 4) comme le prétendaient les idéologues anglais, on devine pourquoi aisément. L’égoïsme –  c’est à dire la séparation dans la dépendance – est un résultat. C’est l’état présent. Espérons que ce état ne soit pas le dernier et sinon, tant pis et bien fait. Crève dans tes pets, race maudite.

 

Dans sa table des matières, Durkheim résume ainsi L3, C1, 3 :

 

Livre III, Chapitre I : La division du travail anomique.

 

III. Si, dans tous les cas, les fonctions ne concourent pas, c’est que leurs rapports ne sont pas réglés ; la division du travail est anomique. Nécessité d’une réglementation. Comment, normalement, elle dérive de la division du travail. Qu’elle fait défaut dans les exemples cités.

 

Cette anomie vient de ce que les organes solidaires ne sont pas en contact suffisant ou suffisamment prolongé. Ce contact est l’état normal.

 

La division du travail, quand elle est normale, n’enferme donc pas l’individu dans une tâche, en l’empêchant de rien voir au-delà.

 

Or, la division normale, aujourd’hui, c’est la division anomique. L’état normal n’est pas le contact suffisant et prolongé entre les organes solidaires. Cet état, normal en Arabie où la division du travail est très peu développée, est pourchassé comme on sait. Il faut dire que cet état sévèrement attaqué se défend furieusement. Il est parfaitement légitimé à ne respecter aucune règle avec des gens qui sont décidés à abolir toutes règles. En fait, Durkheim a raison au moins sur un autre point : avec une grande division du travail, il faut une grande réglementation, c’est à dire une grande bureaucratie. Les commerçants mondiaux actuels veulent seulement soumettre les bureaucraties locales à une bureaucratie mondiale.

 

« C’est donc à tort que, pour expliquer la décadence des proverbes, on a invoqué notre goût réaliste et notre humeur scientifique. Nous n’apportons pas dans le langage de la conversation un tel souci de la précision ni un tel dédain des images [ ce n’est pas Wittgenstein ni Bolzano qui diraient le contraire ] ; tout au contraire, nous trouvons beaucoup de saveur aux vieux proverbes qui nous sont conservés. D’ailleurs, l’image n’est pas un élément inhérent du proverbe ; c’est un des moyens, mais non pas le seul, par lequel se condense la pensée collective [ disons commune ]. Seulement, ces formules brèves finissent par devenir trop étroites pour contenir la diversité des sentiments individuels [ les sentiments individuels, l’exquise délicatesse du for intérieur bourgeois tant raillée par Sartre ]. »

 

Le secret révélé de l’auteur de Don Quichotte, de Sancho Pança et du licencié Verrière. Don Quichotte prétendait ne connaître que l’honneur parmi une noblesse déjà corrompue par l’argent, une Espagne où toutes les valeurs morales s’écroulaient (déjà la movida !) à cause de l’or américain.

 

« C’est donc à tort qu’on oppose la société qui dérive de la communauté des croyances à celle qui a pour base la coopération [ en fait cette coopération a pris la forme négative de la compétition. Tous enchaînés ], en n’accordant qu’à la première un caractère moral, et en ne voyant dans la seconde qu’un groupement économique. En réalité, la coopération a, elle aussi, sa moralité intrinsèque. Il y a seulement lieu de croire, comme nous le verrons mieux dans la suite, que, dans nos sociétés actuelles, cette moralité n’a pas encore tout le développement qui leur serait dès maintenant nécessaire » (L1, C7, 4)

 

Malheureux Don Durkheim. Que dirait-il aujourd’hui alors que cette société a produit la moralité qui lui convient, l’enculisme, l’absence totale de moralité qui encourage une forme exaspérée de cagoterie, le politically correct, autre production anglaise dont furent victimes Byron et Turing. Moins il y a de moralité, plus il y a de culs pincés, de féministes, de gender studies, d’antiracistes, d’antifascistes etc. La moralité à trois sous, la moralité without toil.

 

Causes de la division du travail. « D’après la théorie la plus répandue, elle n’aurait d’autre origine que le désir qu’a l’homme d’accroître sans cesse son bonheur. (…) Cette explication est classique en économie politique. Elle paraît d’ailleurs si simple et si évidente qu’elle est admise inconsciemment par une foule de penseurs dont elle altère les conceptions. C’est pourquoi il est nécessaire de l’examiner, tout d’abord. » (L2, C1)

 

Cette théorie est celle des idéologues anglais, le plus grand bonheur pour le plus grand nombre. La vérité est que la cause de la division du travail est, dans des conditions qui le permettent, la cupidité des capitalistes. Le bonheur pour un commerçant, c’est le comfort, la pinault-culture. Mais ce bonheur n’est rien en regard de la passion des capitalistes, la cupidité, l’ivresse de l’enrichissement sans autre but que l’enrichissement. C’est une ivresse sans limite autre que l’anéantissement total du monde, une ivresse totalisante, donc. Le président Bush est toujours un alcoolique et son gouvernement est ivre.

 

« Cette cause ne saurait consister dans une représentation anticipée des effets que produit la division du travail en contribuant à maintenir l’équilibre des sociétés [!]. C’est un contrecoup trop lointain pour qu’il puisse être compris de tout le monde ; la plupart des esprits n’en ont aucune conscience [ tout le monde, certainement, mais certains en ont parfaitement conscience. Il faut lire Marx, le Capital, à ce sujet ]. En tout cas, il ne pouvait commencer à devenir sensible que quand la division du travail était déjà très avancée. » (L2, C1)

 

Les capitalistes sont des esprits (esprit/esprits, Frege : l’esprit appartient au monde où les pensées sont saisies, les esprits – esprit au sens de mind, mental, l’acte de saisie des pensées, appartiennent aux individus) qui ont parfaitement conscience d’effets, non pas lointains – c’est là leur principal défaut – mais très proches, relatif à leur enrichissement personnel. Ils anticipent parfaitement certains des effets de la division du travail, à savoir leur enrichissement. Ils divisent le travail afin d’abaisser les coûts de production, avec force protestations de bien commun et de bonheur pour tous : demain on vous rasera à tout petit prix. Au moins, en 1840 les anomistes libre-échangistes avaient le cynisme de déclarer que la suppression de la loi sur les blés avait pour but l’abaissement des salaires, ce qui n’est pas le cas des tartuffes Leclerc, grands défenseurs du pouvoir d’achat, aujourd’hui. C’est simple à comprendre. Les théoriciens qui travaillent pour eux se soucient beaucoup d’équilibre puisqu’ils ne se soucient que du fameux état d’équilibre de l’offre et de la demande qui devrait résulter d’une concurrence parfaite (d’un enculisme parfait), perpétuellement poursuivi avec pour conséquence la destruction de tout équilibre de toute société. Les capitalistes sont dynamiques et révolutionnaires permanents.

 

« Cela posé, on explique aisément la régularité avec laquelle progresse la division du travail ; il suffit, dit-on, qu’un concours de circonstances, qu’il est facile d’ima­giner, ait averti les hommes de quelques-uns de ces avantages, pour qu’ils aient cherché à l’étendre toujours plus loin, afin d’en tirer tout le profit possible. Elle progresserait donc sous l’influence de causes exclusivement individuelles et psycho­logiques. Pour en faire la théorie, il ne serait pas nécessaire d’observer les sociétés et leur structure : l’instinct le plus simple et le plus fondamental du cœur humain suffirait à en rendre compte. C’est le besoin du bonheur qui pousserait l’individu à se spécialiser de plus en plus. » (L2, C1)

 

« Les hommes » ! pas tous les hommes, certains hommes seulement, dans une certaine situation, dans une certaine époque. Tout est là. Durkheim prend le problème à l’envers. Il cite l’opposition capital-travail une fois et puis jamais plus. Marx décrit parfaitement les conditions sociales et historiques qui permettent à certains hommes de devenir des passionnés de la division du travail. Étant donnée leur situation dans une certaine époque, ils saisissent tout bêtement l’idée de la division du travail dans la société, exactement comme Napoléon y saisissait ses pensées grandioses. Ils sont de petits Napoléons, de petits conquérants, une terrible armée de Bouvard et de Pécuchet, aujourd’hui au pouvoir aux USA. Ça fait froid dans le dos.

 

« Mais si la division du travail produit la solidarité, ce n’est pas seulement parce qu’elle fait de chaque individu un échangiste comme disent les économistes ; c’est qu’elle crée entre les hommes tout un système de droits et de devoirs qui les lient les uns aux autres d’une manière durable. De même que les similitudes sociales donnent naissance à un droit et à une morale qui les protègent, la division du travail donne naissance à des règles qui assurent le concours pacifique et régulier des fonctions divisées. Si les économistes ont cru qu’elle engendrait une solidarité suffisante, de quelque manière qu’elle se fît, et si, par suite, ils ont soutenu que les sociétés humaines pouvaient et devaient se résoudre en des associations purement écono­miques, c’est qu’ils ont cru qu’elle n’affectait que des intérêts individuels et temporaires. Par conséquent, pour estimer les intérêts en conflit et la manière dont ils doivent s’équilibrer, c’est-à-dire pour déterminer les conditions dans lesquelles l’échange doit se faire, les individus seuls sont compétents ; et comme ces intérêts sont dans un perpétuel devenir, il n’y a place pour aucune réglementation permanente. Mais une telle conception est, de tous points, inadéquate aux faits. La division du travail ne met pas en présence des individus, mais des fonctions sociales [ les individus ne sont mis en présence, dans le système des besoins, qu’avec une seule institution : l’argent ]. Or, la société est intéressée au jeu de ces dernières : suivant qu’elles concourent réguliè­rement ou non, elle sera saine ou malade [ pas de doute, celle qui a lieu est malade ]. Son existence en dépend donc, et d’autant plus étroitement qu’elles sont plus divisées. C’est pourquoi elle ne peut les laisser dans un état d’indétermination, et d’ailleurs elles se déterminent d’elles-mêmes. Ainsi se forment ces règles dont le nombre s’accroît à mesure que le travail se divise et dont l’absence rend la solidarité organique ou impossible ou imparfaite. » (Conclusion, 3)

 

Pas de doute possible. Durkheim est fonctionnaliste, d’où Mauss et Malinowski. Quant aux organes ils rappellent les états (stand) de Hegel ou les branches de l’industrie. Durkheim ignore totalement que pour la première fois dans l’histoire du monde, comme Hegel puis Marx l’ont relevé, la société se trouve divisée en un État politique pur — système cérébro-spinal de la société selon Durkheim, fâcheuse analogie — à qui échoit la moralité si chère à Durkheim et en un système des besoins où règne l’enculisme pur. Si l’on néglige cela, on ne peut rien comprendre au monde. Il n’y a pas de fonctions sociales mais seulement des institutions. Les institutions sont des « forms of life ». La plus importante de ces institutions est aujourd’hui l’argent. Contrairement à l’économie, la production, la consommation qui ne sont que des classes de faits – parfaitement légitimes quand on les tient pour ce qu’elles sont, des classes de faits – l’argent est une institution, a form of life. L’argent n’est pas un rapport social, comme le prétendait Marx, l’argent est une institution, l’institution mondiale de la confiance, autrement dit l’institution mondiale de la foi. Les banques centrales sont les corps constitués de cette institution que personne, jamais, n’a instituée. En ce sens aussi, les sociétés sont des formes de vies, les société ont une vie propre qui possède un développement propre, sui generis. Je crois comprendre que c’est ce dont parle en fait Durkheim. Il est évident que les bénéficiaires de l’enculisme ne le trouvent jamais assez pur et ils pourchassent donc toute trace de moralité dans le système des besoins. Ainsi, le milieu ouvrier est détruit… sauf en Chine et en Russie. A qui le tour. D’après un ami américain, les grands commerçants des USA s’apprêtent à prendre congé de leurs classes moyennes. Leur but n’est plus de produire, mais seulement de contrôler mondialement. Ils sont devenus enfin de purs commerçants. Quant à l’État, du moins en France (aux USA c’est autre chose), il est devenu une pantalonnade. Voyez ces hommes d’État, voyez ces gros gras gris cochons roses  socialistes (ils profitent bien, ils sont bien nourris) ou bien ceux qui sont au gouvernement aujourd’hui.

 

« Mais est-ce que la division du travail, en faisant de chacun de nous un être incomplet, n’entraîne pas une diminution de la personnalité individuelle ? C’est un reproche qu’on lui a souvent adressé. » (Conclusion, 2)

 

Dans la suite de ce sous-chapitre, Durkheim attribue à l’activité personnelle la richesse de la personnalité. Or les faits montrent que la division anomique du travail a produit des zombis. La cause en est que la richesse de la personne réside dans ce qui divise l’activité et que ce qui divise l’activité lui demeure obstinément extérieur. C’est le cas même des grands commerçants, il n’est que de voir la pinault-culture, qui fait rage depuis très longtemps aux USA. Tout arrive avec retard en France. La richesse de la personnalité de ces gens-là se réduit à quelque monomanie. La division du travail fait de chacun de nous un être incomplet et cet être demeure obstinément incomplet. Évidemment, selon Durkheim cette incomplétude devrait nous donner soif d’autrui comme d’autre ont, en se réveillant le matin, soif de corton charlemagne. Or il n’en est rien. La soif d’autrui prend la forme de la soif d’argent et de la soif de fétiches qui recèlent apparemment une parcelle de mana. Cette parcelle est d’ailleurs facilement mesurable, c’est le prix, c’est à dire un échange effectué en pensée avec une parcelle parfaitement quantifiée : tant de grammes d’or ou tant d’unités de compte. Or la soif d’autrui est soif de savoir. La soif de fétiches est d’ailleurs une soif de savoir dévoyée s’il est vrai que le monde est un savoir. Les choses qui ont non seulement un nom, une classe, mais un prix sont des fétiches parce que ce prix est un échange avec l’argent effectué en pensée. A chacun d’eux est associé ainsi une parcelle du savoir mondial. Les prix sont des pensées que les individus saisissent dans le monde et, tandis que la saisie de certaine pensées sont réservées à certains individus (conquérir l’Égypte, envahir l’Irak, par exemple) saisir la pensée d’un échange effectué en pensée est non seulement le fait de tous les individus, mais la seule pensée que sont encore capables de saisir dans le monde ces zombies. Notez enfin que pour ces zombis, la phrase dont la pensée est le sens est déjà écrite sur une étiquette, afin que nul n’en ignore. De même que l’image selon Anders serait un préjugé, le prix est un pré-pensé. Cela infirme l’opinion de Frege : il y a bien déjà des pensées dans le monde, les prix sur les étiquettes [ non, il y seulement des expression, sur des étiquettes, dont la pensée à saisir est le sens ]. Cette phrase dénote le vrai quand l’échange à lieu, c’est à dire lors de l’achat. D’où la courte allégresse que connaît bien Michel « prends l’oseille et tire-toi » Houellebecq. La marche vers l’achat est une marche vers Le Vrai. C’est réellement émouvant d’être en contact avec Le Vrai (selon Frege, le Vrai est un objet) pour un bref instant. Pendant un court instant la pensée est vraie parce que la phrase dénote le vrai, telle chose s’échange effectivement avec une certaine quantité d’argent. Un court instant plus tard ce n’est plus vrai. La chose est déjà dévaluée. Après l’achat, l’homme est triste.

 

 

Étonnant article de Vincent Descombes

 

 

Philosophie des représentations collectives. (2000, History of the Human Sciences). Internet est merveilleux. Durkheim, dans les Formes élémentaires, fait une note renvoyant à un de ses articles publié dans une revue en 1898. Quelque minutes après la lecture de cette note, je dispose sur mon bureau de cet article dans une bonne typographie et mise en page grâce à la merveilleuse université de Chicoutimi (que l’émir Ben Laden la protège). En prime j’ai un article de Vincent Descombes traitant de ce sujet. Oui Durkheim semble bien être victime du « représentationnisme » en vogue à son époque. Cette vogue du lockisme a-t-elle disparu ? Je n’en suis pas certain. A mon humble avis Frege résout la question. Des représentations persistent en l’absence de tout acte de représentation (je persiste, ici, à employer le fâcheux mot de représentation au lieu d’employer celui de notion ou de pensée comme Frege, puisque c’est lui qui est fâcheusement employé par Durkheim et repris par Descombes. Selon moi, il n’y a de représentation que : les tableaux des peintres, les images des illustrateurs, les photographies des photographes, les plans des ingénieurs, les cartes des topographes et… si j’en crois Wittgenstein les propositions qui seraient des images des états de choses. Merde à Locke) car les représentations sont saisies dans le monde (et encore moins dans les têtes, merde à Locke, vive Leibniz et son moulin, § 17), ce qui ne veut pas dire qu’il y a des représentations dans le monde mais que l’état du monde, s’il ne change pas, permet de saisir les mêmes pensées de façon durable. C’est un état du monde qui permet de saisir telles pensées et pas d’autres. C’est tout. J’ajouterai que l’état du monde n’est pas une chose inerte mais que the given is forms of knowledge. La preuve en est que le monde est classé, déjà classé : nulle terre sans seigneur, nulle chose sans nom et, aujourd’hui, nulle chose sans prix). L’Esprit a lieu sous vos yeux. De quoi vous plaignez-vous ? Ainsi, pour Durkheim, les routes, les voies de communication sont des formes de savoir (qu’il nomme fâcheusement conscience collective). La route nationale 10 sait comment aller de Chartres à Tours ; mais elle sait aussi comment aller de Tours à Chartres. Frege résout aussi la question du grand homme et de son époque. Les pensées géniales saisies par Napoléon sont saisies dans le monde, dans la société de son époque. Sans cette époque, les pensées qu’il a génialement saisies n’auraient pu être saisies, mais ce fut Napoléon qui sut les saisir. Et les pensées que saisit napoléon à Austerlitz ne sont pas du tout les mêmes que les pensées que saisit le prince de Schwarzen… egger. Il est clair que la situation, au sens de Sartre et non pas au sens des situationnistes, de Napoléon est déterminante ainsi que la baraka. Ce n’est pas des chevaux qui furent tués sous lui, mais, tout près de lui, des généraux et des maréchaux. Crac boum (hue) ! il entend le ricochet d’un boulet sur un arbre, il se retourne, Duroc, son ami Duroc est mort. Tout cela dans d’extraordinaires habits brodés et galonnés d’or. La guerre en galons, la guerre d’anéantissement faisait suite à la guerre en dentelles.

Þ 07-03-2006

 

 

Des faits économiques

 

 

Pour que l’économie soit une classe de faits et seulement une classe de faits, il est évidemment nécessaire qu’il existe des faits économiques, autrement dit, il est nécessaire que la classe de faits économiques soit non vide. Durkheim dénie même tout objet à la « science » économique. Il dénie jusqu’à l’existence de faits économiques. Selon lui, l’économie politique n’est aucune science parce qu’elle est incapable de seulement déterminer une classe de faits dont elle serait la science. Elle n’est, pour lui, qu’un ensemble de recettes qui permettent la poursuite d’un certain but avec un certain succès.

Qu’il existe une classe non vide de faits économiques, classe dont le signe qui la dénote est « … est un fait économique », ne signifie pas que l’essence de ces faits serait une mystérieuse propriété économique mais signifie simplement que ces faits sont l’objet d’étude qu’a choisi la science économique. Einstein ne dit-il pas : la théorie prescrit l’objet (ou l’expérience*) ? De même que la classe n’est pas une chose car elle consiste dans son signe, de même les éléments de cette classe consistent dans le choix effectué par la science économique. Hors de ce choix, ils ne sont rien d’économique. Ces faits n’ont rien à voir avec ce qui a lieu effectivement car ils sont arbitrairement isolés par la science économique et ses postulats. Selon un précepte de Weber, j’affirme que, non pas malgré sa religiosité, mais à cause  de sa religiosité, Ben Laden (de même que Tolstoï-Lévine des dernières pages d’Anna Karénine) en savent beaucoup plus sur ce qui a lieu effectivement que le cagot Bush. La raison commerciale interdit d’aimer son prochain comme soi-même, raison qui est un résultat et non un commencement. Seul le cœur a ses raisons que la raison commerciale ignore. Le postulat choisi par la science de la raison commerciale est que : le seul souci des hommes est de se remplir la panse, de maximiser ce remplissage, ce à quoi le paysan Fiodor rétorque : certain préfèrent se soucier de leur âme et de Dieu. Autrement dit, la science économique choisit pour postulat un résultat, ce qu’il faut justement expliquer. Selon elle, les hommes ne songent qu’à se remplir la panse parce qu’ils ne songent qu’à se remplir la panse, de toute éternité. C’est une pétition de principe. Le choix du postulat de cette théorie prescrit son objet. C’est l’axiome du choix ! Point final.

Exemple : comment nommer une délocalisation ? C’est la vieille question de la couleur du cheval blanc de Henri IV. Il faut nommer une délocalisation une délocalisation. Qualifier ce fait de fait économique n’ajoute rien à la compréhension de la chose. Cela indique seulement que la prétendue science économique prétend traiter de ce fait. Capito ? Il est bien évident que si l’économie est une classe de faits, et seulement cela, il est nécessaire qu’il existe des faits qualifiés d’économiques puisque le signe de classe est « … est un fait économique » (c’est à dire, en clair : « … est un fait qui permet de se remplir les poches quand on est un bourgeois », une délocalisation par exemple). Mais cela n’implique nullement que l’économie soit autre qu’une classe. Est économique un fait qui est traité par la science économique et donc traité à la manière de la science économique qui est d’isoler arbitrairement ce fait.

Le paradoxe est que dans le monde du président Bush, l’humanité a déserté le monde et qu’elle a dû se réfugier dans le cœur des hommes (pas tous, mais la majorité). J’en ai des preuves et des témoignages chaque jour. Cette faible flamme vacille dans ces tabernacles. Les gens ordinaires (de la classe des  non-Youpis AND non-merdiatiques AND non-commercialistes radicaux, cela dit en algèbre booléen) sont bons, mais ils doivent le cacher. Ils sont les gardiens du feu sacré. On sait ce qu’il en est de ceux qui se proclament gens bons. Il n’ont de cesse de pourchasser cette lueur et de l’éteindre définitivement, chez tous. Dieu est mort signifie que la religion s’en est allée parce que l’humanité s’en est allée. Là où subsiste une religion non cagotique, existe encore l’humanité, ce qui ne signifie pas pour autant qu’il faille rétablir la religion pour rétablir l’humanité, c’est à dire, selon Durkheim, le culte de l’individu. Chez les Youpis règne seulement le culte du moi. Le moi est haïssable. Ward Churchill a raison, les Youpis ne veulent rien savoir puisqu’ils ne se préoccupent que de leur cher moi. Et un jour, les poulets rentrent au poulailler pour se percher, ce qui me donne une occasion de déboucher le champagne.

Je cite encore une fois la définition de l’économie que donne Latouche : « La raison économique, en effet, implique un découpage arbitraire dans la totalité de l’être social  d’un secteur présupposé obéir à sa propre loi (auto-nome) [ce découpage a lieu non pas dans le monde mais dans la pensée bourgeoise et ce n’est pas « le capitalisme » qui effectue ce découpage. Il s’ensuit que le monde demeure tel qu’il est et inconnu après ce découpage. Le prétendu secteur autonome n’existe que dans la pensée bourgeoise (« pensée » entendu en tant qu’institution et non pas au sens de Frege) et non pas dans le monde. C’est ce qui explique que les zéconomistes n’y comprennent rien. Ils vivent dans un nuage de stupidité. (2013)]. Le capitalisme construit effectivement une certaine interdépendance  entre quelques éléments valorisés du social [ leur valorisation est effectuée par leur isolement, précisément, c’est un acte de la prétendue science économique, de même que le bombardement de New York fut un acte de la foi salafiste : réponse du berger à la bergère. Le bombardement de New York est la preuve que la générosité existe encore et permet de penser qu’elle règnera à nouveau. C’est une lueur d’espoir ] : “le domaine matériel” [ce domaine n’a lieu que dans la pensée bourgeoise et ce n’est pas le capitalisme qui le construit mais les zéconomistes]. De leur côté [il n’y a qu’un seul côté dans cette arnaque, celui des zéconomistes], les économistes présentent une représentation du fonctionnement de ce domaine qui pousse les interrelations jusqu’au phantasme d’un champ clos auto reproducteur, auto régulé et auto dynamique. Ainsi est inventée l’économie. Il n’y a pas, pensons nous, d’économie isolable avant, à côté et en dehors de ce champ historique et idéologique. La raison économique ne prend son sens que dans un tel champ. » (Bulletin du MAUSS n° 17, mars 1986. Latouche a fait du chemin entre le n° 7 et le n° 17.)

Commentaire de cette citation

Évidemment, ce n’est pas le capitalisme qui construit une certaine indépendance entre quelques éléments valorisés. C’est en choisissant les faits qu’elle prétend étudier, selon un certain critère et de façon légitime, que la prétendue science économique peut mettre à jour l’interdépendance entre ces faits valorisés par son choix. Mais ce n’est pas elle qui produit l’interdépendance, ni le capitalisme. Ce qui caractérise les faits sociaux, de toute éternité, c’est leur interdépendance, capitalisme ou pas capitalisme. En isolant des faits interdépendants, elle isole des faits interdépendants. L’interdépendance est conservée. La seule chose que produit la science économique, c’est l’isolement des faits, ce qui interdit leur compréhension et ne vise qu’à faciliter la poursuite d’un certain but qui est, non de se remplir la panse (but officiel), mais de se remplir les poches (but réel) et surtout “pourvou qué ça douré” (accent corse).

Et ce sont des faits, et seulement des faits, qui sont isolés et non une prétendue économie. Effectivement, l’économie isolée n’est ni avant, ni en dehors de ce champ historique et idéologique qu’est la science économique. L’économie n’existe que dans la science économique. Beaucoup plus simplement : c’est une idée dans la pensée bourgeoise (Enquête, 1976). Rien d’autre.

Pour Latouche, ce qui est créé ainsi, c’est une chose, c’est une réalité, alors que ce n’est qu’un phantasme. Il n’y a invention que d’un phantasme d’une réalité économique et non d’une réalité économique, il n’y a invention que d’une croyance.

« Un découpage arbitraire », je ne saurais mieux dire. « Le domaine matériel », évidemment, n’a pas lieu, c’est seulement une classe de faits, la classe des faits matériels dont le signe de classe est aussi fourni par la prétendue science économique. Voilà pourquoi la prétendue science économique est une idéologie au sens de Marx. C’est cela, le réductionnisme. Seul le tout est le vrai parce que seul le tout a lieu. C’est la totalité de l’être social qui a lieu effectivement. Les habitants de la ville sont habités par la ville. Rien ne vous empêche de tenter de l’analyser sans le perdre de vue. Au boulot. Dans le célèbre passage des Grundrisse, La Méthode de l’économie politique, Marx commence par affirmer : le sujet est la population, puis il termine par : le sujet est la société. Je vais commenter ce passage.

Je terminerai (avec les termes dont je dispose aujourd’hui) en rappelant ce qui nous opposait Latouche et moi :  l’économie étant une classe de faits, elle ne saurait être une pratique culturelle, ou n’importe quelle autre pratique, car une classe de faits n’est ni une chose, ni un fait, ni une pratique. C’est ce que Marx, grand utilisateur du terme pratique n’avait pas compris.

Différence entre La Marchandise et Le Cheval. Personne n’a jamais vu La Marchandise et ne la verra jamais et personne n’a jamais vu Le Cheval ou Le Fruit et ne les verra jamais. Mais si l’on me demande « Dessine-moi  Le Cheval » je peux quand même dessiner un cheval et dire que c’est un représentant du genre Cheval. Si maintenant on me demande de dessiner La Marchandise, je dessinerai encore un cheval car les chevaux, aujourd’hui, sont des marchandises. Mais je ne peux pas prétendre que j’ai dessiné un représentant du genre Marchandise, car rien sur mon dessin n’indique que le cheval est une marchandise. Pour cela, il faut que j’ajoute quelque chose au dessin. Je dois piquer une étiquette dans la croupe du cheval avec, sur cette étiquette, un prix. Mais de toute façon, je ne peux dessiner un individu représentant du genre Marchandise, ou du genre Argent, car, en vérité, ces genres ne sont pas des genres, mais des rapports sociaux [ je dirais maintenant, après lecture de Durkheim , des institutions ]. Contrairement au genre Cheval, ils ne sont pas des genres mais des choses générales, des totalités concrètes et non plus des totalités pensées.

*. Quoique ! « Un aspect du couplage entre champs électriques et champs magnétiques contenus dans l’équation 6.58 avait bien été mis en évidence par les expériences en courants variables de Faraday. Mais il fallut que s’écoulent soixante-cinq ans avant que quiconque écrive de telles équations. » (Cours de physique de Berkeley, II, p 215) Ils sont biens ces cours américains, ils n’omettent jamais de rappeler la genèse historique de la physique. Dans le cours, on écrit dogmatiquement les équations, puis on en tire les conséquences. Dans l’histoire, c’est l’inverse, on connaît d’abord les conséquences d’on ne sait quoi. Sur la page suivante figure un long extrait d’un article de l’American Journal of Sciences de 1878 sur la confirmation des équations de Maxwell par l’expérience de Rowland à Berlin avec l’aide de Helmholtz (donc, là encore la théorie prescrit l’expérience). Vous pouvez toujours chercher un tel souci de l’histoire dans un manuel français. Il faut dire que les Américains ont si peu d’histoire qu’il n’en perdent pas une miette là où elle a lieu et qu’ils en font des tonnes (assassinat de M. de Jumonville par le lieutenant-colonel George Washington) et des kilotonnes aujourd’hui, en attendant les mégatonnes (les poulets de Nagasaki et Hiroshima ne sauraient tarder à rentrer à la maison pour se percher. En attendant, le poulailler est gardé par une renard, étonnant, non ?). Les Américains sont des parvenus de l’histoire.

 

 

Verrouillage
Si un ensemble est un objet, l’ensemble des objets est aussi l’ensemble des ensembles

 

 

En lisant un très intéressant article du docteur Guerrerio consacré à Gödel dans Pour la Science, n° spécial 20, août 2004, je constate que la proposition « L’ensemble des choses n’est pas une chose » est impliquée par l’axiome de fondation de von Neuman proposé en 1929. Cet axiome ad hoc dit qu’un ensemble ne peut être un élément de lui-même, ceci afin d’éviter le paradoxe de Russell. Ainsi, l’ensemble des ensembles ne peut exister (n’est possible, si vous préférez) que s’il n’est pas un ensemble, ce qui revient à dire qu’il ne peut exister, car un ensemble qui, comme condition de possibilité, ne doit pas être un ensemble n’est aucun ensemble. Remarquons que cela n’empêche pas les ensembles d’ensembles de pulluler. De même, l’ensemble des pensées ne peut être une pensée, sinon il serait aussi l’ensemble des ensembles, mais, contrairement au cas précédent, cela n’empêche cependant pas du tout cet ensemble d’exister à condition qu’il ne soit pas une pensée. Ainsi, l’ensemble des objets ne peut exister que s’il n’est pas un objet, ce qui est très fâcheux pour Frege qui milite pour l’objectivité des ensembles (des extensions de concept)*. De même l’ensemble des choses ne peut exister que s’il n’est pas une chose ; l’ensemble des faits ne peut exister que s’il n’est pas un fait. Enfin, l’ensemble des faits économiques ne peut exister que s’il n’est pas un fait économique, ce qui revient à dire que l’économie — que les dictionnaires définissent comme l’ensemble des faits économiques (c’est-à-dire des faits de classe économique) — ne peut exister que si elle n’est pas un fait économique. Qu’au moins un parmi tous les ensembles de choses possibles ne puisse être une chose implique qu’aucun ensemble de choses (et même qu’aucun ensemble de ce que vous voudrez) n’est une chose, sinon, cela signifierait que la nature des ensembles dépendrait de la nature de leurs éléments. C’est le cas pour une forêt, mais n’est pas le cas pour un ensemble d’arbres. La nature d’une forêt tropicale est différente de la nature d’une forêt d’Ile-de-France, tandis qu’un ensemble d’arbres en Côte-d’Ivoire (où d’ailleurs il ne reste guère d’arbres du fait de messieurs Lévy père et fils) est de même nature qu’un ensemble d’arbres à Chantilly — ce que savaient d’ailleurs très bien messieurs Lévy père et fils. Ils auraient aussi bien déboisé l’Ile-de-France s’ils en avaient eu l’occasion. Pour eux, seul le cubage comptait. Messieurs Lévy sont des hommes du Nombre —. Plus simplement encore, la nature d’un ensemble de billes est la même que la nature d’un ensemble de carottes. Tout ce que peut être un ensemble, hormis être un ensemble, c’est être un élément d’un autre ensemble, mais il ne peut être ensemble des ensembles ou ensemble des objets. La théorie des ensembles a été inventée pour cette unique raison, afin de pouvoir étudier les structures aldgébraïques, exactement comme l’alquaïda, pardon l’aldjèbra. Il résulte de cela que l’économie n’est aucune chose, ni aucun fait, sinon une classe de fait. Une classe de fait ne fait rien, ne demande rien, n’exige rien, ne menace personne, ne donne pas à manger, ni n’affame personne, elle ne se porte ni bien, ni mal. Elle ne bombarde pas l’Irak. Elle est inoffensive. L’économie n’existe pas, sinon comme classe de fait. Ou bien si elle existe, elle n’est pas un ensemble et sa définition est fausse. D’une manière générale, si elles existent (j’admets la possibilité que rien ne soit le cas, je suis bon joueur), les choses sociales, les totalités concrètes, ne sont pas des ensembles. Les ensembles sont seulement des totalités pensées. Certes, les éléments des ensembles peuvent être indépendants ne notre pensée, selon le vœu de Cantor, mais ce n’est pas le cas des ensembles eux-mêmes. J’ai dit.

 

On ne peut parler de toutes les entités, car « toutes les entités » dénote une entité. Mais on peut parler de tous les chevaux, car « tous les chevaux » ne dénote pas un cheval mais une entité. Cependant on peut dire « tous les hommes » et on ne se prive pas de le dire tous les jours bien que celui qui le dit soit un homme car tous les hommes n’est pas un homme. Celui qui dit « tous les ensembles » n’est pas un ensemble, tandis que celui qui dit « tous les hommes » est un homme. Toute la différence est là entre totalités pensées et totalités concrètes. Plus simple, tu meurs.

 

La première conséquence du fait que l’économie n’existe pas, sinon comme signe de classe, est que ceux qui en parlent ne savent pas de quoi ils parlent tout en prétendant hautement le savoir. La seconde conséquence est qu’il faut désormais comprendre ce qui est le cas, puisque l’économie ne l’est pas. Désormais, la route est libre, j’ouvre un horizon comme Frege en ouvrit un. Puisque l’économie n’existe pas, la place est libre. Vous ne pourrez plus vous cacher derrière l’épouvantail, allô ! maman, bobo. C’est la conséquence la plus importante, qui justifie le travail de toute  une vie. L’invocation permanente de l’économie n’a, sinon d’autre but (ce serait prêter trop de capacité et de cynisme aux initiateurs involontaires de cette invocation), du moins d’autre résultat que de distraire de la possibilité et de l’intérêt de cette compréhension, c’est-à-dire de la fondation d’une science de l’humanité (là où d’autres se préoccupent de la fondation de la science). J’ai eu une grande chance dans ma vie, mes études se sont terminées en prison. C’est cette compréhension dont j’ai fait le but de ma vie. Je doute d’ailleurs d’y parvenir, mais je me contenterais d’avoir réussi à signaler sa nécessité en démasquant l’idole assise dessus (le gros Bouddha Debord y avait de plus posé son gros cul) comme le petit chien du Wizard of Oz qui tire le rideau derrière lequel se cache un homme terrorisé. Je l’ai déjà dit, je me contenterais grandement d’échouer comme Frege. Je le répète, désormais la place est libre. En toute modestie, je déclare : de même que Ben Laden and his followers ont fait place nette à New York, j’ai fait place nette dans la pensée. Il y a de quoi être satisfait.

 

*  Selon Frege, dans une expression, est objet tout ce qui n’est pas concept (ou fonction). Aussi l’expression « Le concept F » ne désigne pas le concept F (donc un non-objet selon Frege) mais un objet. Problème : « l’expression, prise à la lettre, trahit la pensée : on nomme un objet, alors qu’on vise un concept. » (Frege, Concept et objet.) Ce paradoxe n’a lieu que parce que Frege ne connaît qu’un langage, le langage. Le concept frégéen n’est objet que dans le langage d’exposition, tandis qu’il est concept dans le langage théorique, ce qui est la moindre des choses puisque le langage théorique lui-même est un objet dans le langage d’exposition.  Le problème n’est donc pas d’ordre ontologique mais d’ordre linguistique (Rouilhan, Frege, les paradoxes de la représentation. Minuit, 1988. Disponible). Dans ces conditions, vous comprendrez que je suis heureux de pouvoir appuyer ma démonstration (ou si vous préférez, ma conjecture ou ma suggestion) sur Zermelo, Skolem-Fraenkel, von Neuman (ZSFN) — bien que l’axiome de von Neuman ne soit qu’un axiome ad hoc et non pas un axiome choisi pour son allure d’évidence et de vérité. Cet axiome a été choisi le couteau sous la gorge, comme en Irak —, et  non plus seulement sur Frege.

 

06-01-2007 : Je suis étonné d’avoir oublié que Frege était le premier dans l’histoire à distinguer l’expression dont on use de l’expression dont on parle. Quand on en parle, comme ici, le concept F devient un objet, il a déchu dans le monde des objets (le contraire serait étonnant. En effet, il faudrait alors qu’il disparaisse quand on veut en parler, ce qui n’est pas le cas. Au contraire, il apparaît. Frege est le magicien qui le fit apparaître… en en parlant). Dans l’usage, il agit comme concept. Où est le problème ? Quand à l’ensemble des objets, ou à l’ensemble des individus, c’est l’univers de Morgan qui inventa, contre Occam, la classe des non-hommes (un certain Adolphe a dû lire de Morgan). Le problème est plutôt : existe-il des objets atomiques, des éléments originaires qui ne soient pas individus collectifs ? Les aventures de l’atome lors du XXe siècle sont pleines d’enseignement. Il s’avéra qu’il n’y avait rien de moins insécable qu’un atome. La classe universelle n’est pas un ensemble. L’expression « tous les objets » est imprédicative, l’expression « toutes les choses » ne l’est pas, car toutes les choses sont des objets tandis que tous les objets ne sont pas des choses. Quelques objets sont des choses.

 

 

Nominalisme

 

 

Le principe du nominalisme est que n’existent que les individus et non le genre. D’autre part, Luminet citant Jacques Merleau-Ponty et Jean-François Gautier dit que le credo réductionniste (parfaitement justifié en sciences de la « nature » — nature, classe des faits naturels, ne pas confondre avec une chose —) serait « Tu ne parleras pas du Tout. » (ne pas confondre avec « Tu ne parleras pas du tout. »). Mais dans le cas où les individus peuvent saisir le concept sous lequel ils tombent, on doit parler du tout, car, de ce fait, le tout existe, le genre existe, en dépit des individus, d’ailleurs. Dans un remarquable article : Sur l’hypothèse d’une hégémonie nominaliste, Pierre Cellier tient pour acquis (quoiqu’il parle d’hypothèse) qu’aujourd’hui le nominalisme est hégémonique (dans la philosophie). Le nominalisme est si peu hégémonique (dans le monde) que des millions de crétins croient à l’existence de l’économie puisqu’on leur dit, dans le poste, qu’elle existe. Ils sont habitués à obéir. Ils ont été dressés pour ça. Ils prennent une classe de faits pour une chose. Un ensemble de tilleuls est une quantité de tilleuls, c’est à dire une chose, un bouquet de tilleuls, un bosquet, plusieurs arbres situés dans le temps et l’espace et qui tombent sous les sens [non, je régresse, je confonds encore ensemble et forêts, bosquets qui sont des choses singulière et non pas collective même s’il y a beaucoup d’arbres dans une forêt]. Si on les compte, on trouve un nombre cardinal. Il y a des myriades d’ensembles de tilleuls, en ce sens (qui n’est pas le sens mathématique, mais le sens Coco Chanel). L’ensemble des tilleuls est une classe, unique. C’est l’extension du concept …tilleul (on peut traduire cette expression conceptuelle dans les langues qui ne possèdent pas le verbe être puisque cette expression conceptuelle ne contient pas le verbe être. Moi Tarzan, toi Jane [si le verbe être n’est pas prononcé, il est je suppose néanmoins formulé]). L’ensemble des hommes de quarante-cinq ans n’existe ni dans le temps, ni dans l’espace et ne tombe pas sous les sens. Il ne consiste pas dans les individus, qui n’en peuvent mais, mais dans le concept. Il est hors de portée du jugement synthétique à priori. Seul le concept a le pouvoir nécessaire pour le constituer. C’est un exemple de ce que Cantor nomme une multiplicité (ou une totalité, selon les traductions Dieudonné ou Cavaillès) parfaitement définie. Par contre, l’ensemble des imbéciles est un exemple de ce que Cantor nomme une multiplicité absolument infinie parce qu’elle n’est pas parfaitement définie. Le nominalisme domine donc partout sauf… à la télévision, dans les journaux, dans les radios et… à la Maison Blanche où LA liberté et LA démocratie dominent sans partage et non pas des individus libres et des individus démocratiques. Les Etats-Unis sont libres, mais les Américains sont esclaves ! Fort heureusement, depuis que Ben Laden a dit « Nous vous combattons parce que nous sommes libres », LA liberté n’est plus le monopole de la Maison Blanche. Ben Laden est nominaliste. Seuls existent pour lui les fiers individus combattants et… Dieu.

 

 

Totalités pensées et totalités concrètes

 

 

Tous les chevaux, tous les tilleuls sont des totalités pensées. Tous les hommes est aussi une totalité pensée, évidemment, mais aussi une totalité concrète. Tandis que les individus des totalités pensées se contentent de tomber sous le concept dont la totalité est l’extension (seul le concept a le pouvoir suffisant pour constituer des totalités. Attention : pour les ignorants, dont je fis longtemps partie — la faute à qui d’après vous ? Qui dissimula l’existence de la philosophie analytique en France ? Derrida prépuce, Halte tu serres, Lacan, Foucault, Deleuze, verbeuses crapules —, le concept au sens de Frege n’est pas une pensée, qui est le sens d’une phrase — Satz, sentence —, mais l’ancien nom commun ou prétendu tel, au sens de J-S Mill), les individus des totalités concrètes sont capables de saisir le concept sous lequel ils tombent, ce qui n’est pas le cas pour les chevaux (qui sait ?) et les tilleuls (qui sait ?) Voilà, c’est aussi simple que ça. Cependant, comme le plaisantin Hegel, j’ajoute que « Tous les hommes » ne peut prétendre constituer une anthropologie et que bien que la science commence par l’universel, il faut de nombreuses médiations pour que cette anthropologie voie le jour. Je soutiens cependant, que toutes ces médiations sont aussi des totalités concrètes et non des totalités pensées même si le but de l’anthropologie est de penser les totalités concrètes. Cela renvoie au célèbre passage de Marx dans les Grundrisse, La méthode de l’économie politique ou il considère d’abord l’universel concret comme « la population » pour rapidement constater qu’il n’en est rien et terminer en disant qu’il ne faut pas perdre de vue le sujet réel qui est « la société » (voilà, mon chapitre V de Critique de la raison impure est écrit en substance). Or Marx ne pourra jamais réaliser ce programme car toujours il n’envisagera que des totalités pensées et sera incapable de concevoir des totalités concrètes et la pensée des totalités concrètes. C’est bien le croze-hermitage ! ça donne des idées. Pour le dire plaisamment, les individus des totalités concrètes tombent sous le concept, mais le concept, unique, sous lequel ils tombent, tombe dans les individus. C’est le billard américain avec une seule boule (Ben Laden joue au billard français avec un milliard de boules. D’un seul coup de sa puissante queue, il a lancé la partie. Depuis, assis devant son poste de télévision, il attend la fin de la partie). La boule est unique, mais elle tombe dans tous les puits d’apparence, ce qui est la preuve, Heil Frege ! qu’elle n’y réside pas. Quoique le théorème de Pythagore ne soit pas un concept au sens de Frege (c’est une pensée au sens de Frege, c’est le sens d’une expression qui dénote le vrai), je dirais, avec lui, qu’il n’y a qu’un théorème de Pythagore, unique, le même pour tous : il n’y a pas mon théorème de Pythagore, votre théorème de Pythagore, leur théorème de Pythagore (le thé au harem d’Archimède), son théorème de Pythagore (c’est le communisme réalisé) ce qui signifie que, ce n’est pas parce que le concept tombe dans les individus qu’il est moins unique pour cela. Voilà ! dirait Alan Breck. Gloire aux vaillants combattants de Fallouja. Puisse Alan Breck leur venir en aide, et Allah évidemment. Je prends le parti des féroces Arabes égorgeurs contre le parti des abominables patineurs à roulettes (les Arabes n’ont pris personne en traître. Leur réputation est bien établie depuis des siècles, qui s’y frotte s’y pique (Le généreux et chevaleresque Saladin n’en égorgea pas moins lui-même le traître Renaud de Châtillon qui avait, comme Debord, renié la foi jurée). Qui viendra se plaindre après cela ? Combien de califes eurent les yeux crevés ? C’est la guerre totale. Les rodomontades de Saddam Hussein n’étaient donc pas des rodomontades. Finalement ce dictateur connaissait son peuple, puisque lui-même en était issu et avait montré en de nombreuses occasions un courage et une férocité indomptables. Allô ! maman, bobo). J’admire et j’épouse la folle générosité des Arabes. Bouvards et Pécuchets de tous les pays, à roulettes ou non, mariés ou  non, cyborgs déshumanisés, vos jours sont comptés. Si vous ne disparaissez du fait des Arabes, vous disparaîtrez asphyxiés par vos propres pets. A bientôt.

 

 

Weber n’a rien inventé

 

 

William Petty dit de la richesse : « Le grand effet, l’effet final du commerce, ce n’est pas la richesse en général, mais surtout l’excédent d’argent, d’or et de joyaux qui ne sont pas périssables ni aussi susceptibles de transformations que d’autres marchandises, mais demeurent richesse en tout temps et en tout lieu. » Le commerce a pour but la richesse éternelle. Marx commente : « Ainsi s’exprime un écrivain du 17e siècle. On voit le véritable stimulus que représenta pour l’amassement de l’or et de l’argent sa conception comme représentant matériel et forme universelle de la richesse. Le culte de l’argent a son ascétisme, son renoncement, son sacrifice de soi-même : l’esprit d’économie et de frugalité, le mépris des jouissances de ce monde, temporelles et passagères ; la chasse au trésor éternel. D’où le lien entre le puritanisme anglais ou encore le protestantisme hollandais et les affaires qui rapportent de l’argent. » N’est-ce pas toujours d’actualité. Grand et perspicace Marx. Grundrissse.

 

 

Comment on écrit l’histoire... de la langue française

 

 

Dans le Robert historique de la langue française (4 294 pages), je constate, à l’article « économie », que ce dictionnaire, publié en 1992 et révisé en 1998, ignore purement et simplement le mot « économie » au sens de vie économique, réalité économique, sens que l’on peut trouver dans le Petit Robert, dictionnaire de la même maison. Ce dictionnaire historique de la langue française ne daigne reconnaître comme substantif que « l’économique ». Il ne peut donc même pas rendre compte de l’intitulé : « Ministère de l’économie... » qui figure sur tous les frontons des pays francophones, éventuellement affublé des compléments « ...des finances et de l’industrie ». Mais ce révisionnisme ne s’arrête pas là. A l’article « spectacle » on peut lire, page 3 613 : « Le mot a pris un sens particulier, désignant ce qui est organisé pour être montré comme un spectacle (1967, G. Debord, La Société du spectacle) ». Voilà donc un dictionnaire historique de la langue française qui est incapable de rendre compte d’un mot qui figure rien moins que cent quatorze fois dans un livre de deux cents pages qu’il prend la peine de citer. Quel est ce mystère ? Le directeur de la publication, Alain Rey, est un gauchiste avéré et revendiquant. Il se croit toujours du temps de Brejnev durant lequel on supprimait des silhouettes sur la photo de la tribune officielle. Lui se contente de supprimer des mots de la langue française. Il a donc décidé, en toute incohérence, de supprimer la pomme de discorde d’une querelle désormais fameuse et dont il n’ignore rien. La preuve en est qu’il a réussi à supprimer le mot « ensemble » de la définition qu’il donne de « l’économique ». Mais il n’y peut rien, il remplace une extension de concept par une autre, l’extension du concept « ...concerne la production et la distribution des richesses ». L’économie ou l’économique n’en demeure pas moins une classe de faits et seulement une classe de faits. Crétin.

 

 

Nouvelles aventures du concept

 

 

J’ai entendu, pendant quelques jours, la canaille journalistique vomir sur ces Français lâches, trouillards, pétainistes, antisémites etc. « A la lâcheté des voyous antisémites a répondu la lâcheté des passagers du RER D » (Le Figaro du lundi 12 juillet 2004). Au-dessus, dans le bandeau sous le titre du journal : « Vivre l’été [ charabia ]. Des écoles pour apprendre à piloter un 4 x 4 ». Elle est bien bonne ! Crève monde ridicule, plein de patineurs à roulettes, de pédés mariés, de conducteurs de 4 x 4 (diesel, qui plus est ! Il est assez plaisant que l’or noir qui propulse les gros cons dans leur 4 x 4 soit le même qui finance Al Qaeda. Il y aurait donc une justice immanente de la main invisible ?) et de Veyrats. Le 4 x 4 est un véhicule fait pour les déserts d’Arabie. Salopards, faire des hommes des esclaves, de la ressource humaine ; faire tout ce qui est en leur pouvoir pour que cela dure ; et s’indigner qu’ils se comportent comme des esclaves, comme de la ressource humaine. Fumiers, que l’Arabe vous encule. A les entendre, le métro est bondé de vichystes et de collaborateurs (seulement d’esclaves apeurés comme sont tous les esclaves, sauf quand ils sont sous occupation étrangère. Sartre l’a bien dit. On ne fut jamais autant libre à Paris que sous l’occupation allemande. Le maître est à son balcon, il jette sa chéchia dans la cour, les esclaves sursautent. « Foules solitaires » ne sont pas de vaines paroles. Dans ces circonstances qui s’étendent au monde entier, la séparation devient tangible (on peut la toucher), chaque personne présente est transformée en statue de sel. Elles ont le nombre semble-t-il, donc elles ont la force. Or il n’en est rien. Précisément, elles n’ont pas le nombre, elles sont comme les tilleuls qui n’ont pas le nombre eux aussi. Rien ne les empêche d’intervenir, mais cela leur est impossible tant est forte la puissance de la séparation. Les témoins sont nombreux mais... ils sont seuls, chacun est seul. Leur séparation est, c’est le cas de le dire, à couper au couteau. Alors que le nombre fait la force des hoplites, le nombre paralyse les témoins totalement séparés et totalement solidaires. C’est d’ailleurs ce que les hypothétiques jeunes gens armés de couteaux s’apprêtaient à démontrer. Tout cela est de la philosophie analytique en acte, comme le bombardement de New York. C’est, ni plus ni moins, la preuve par six de la séparation comme fait social massif. Le nombre n’appartient qu’au concept : ...témoins dans une bétaillère, et non aux témoins eux-mêmes. C’est à cette occasion que l’on remarque l’abus de langage qui est commis dans la phrase : « Les témoins sont nombreux. »* Hélas non, le nombre appartient au concept, car le nom propre « Les témoins » ne désigne, dans cette phrase, aucun des témoins, mais l’ensemble des témoins, c’est à dire l’extension du concept ...témoins dans une bétaillère. Le nombre est une propriété de l’ensemble et seulement de l’ensemble. Cet exemple illustre ce que dit Wittgenstein : les problèmes métaphysiques proviennent d’une incompréhension de la grammaire, ou plutôt de la façon dont elle dissimule la logique sous-jacente. Le sujet grammatical « Les témoins » ne désigne pas une chose ou des choses, mais un objet logique, un ensemble ou une extension de concept. Les témoins ne sont pas habités par leur nombre — dans cette dernière phrase, il n’y a pas d’abus car « Les témoins » désigne les individus. Ils sont habités comme ils sont assis ou debout, grands ou petits (on n’a jamais vu d’extension de concept assise dans le métro, ni debout d’ailleurs — reportez-vous à la discussion que j’eus avec M. Lafitte dans l’Imbécile de Paris —. Donc ces qualités sont bien celles des individus) ; tandis qu’ils ne sont pas nombreux comme ils sont assis ou debout, grands ou petits. Hélas ! Hélas ! Hélas ! Trois fois hélas ! Toute la question est là. Si les témoins sont nombreux, c’est en tant que le cardinal de leur ensemble peut être considéré comme grand, alors que chacun des témoins est désespérément non nombreu, c’est à dire seul. Si la bétaillère était remplie d’hoplites ou de parachutistes, chacun des témoins serait nombreux, chacun des témoins serait habité par le nombre des témoins, il serait nombreux comme il est grand et assis ou debout, et une telle scène ne pourrait avoir lieu. Capito ? C’est donc, dans chaque cas, la nature du prédicat qui détermine la nature du sujet et qui commande la logique qui gît sous la grammaire identique dans les deux cas. Il est amusant qu’en grec systèma signifie ensemble et corps de troupe alors que justement un corps de troupe n’est pas un ensemble de soldats, loin de là et réciproquement. Un corps de troupe est une chose collective tandis qu’une collection n’est pas une chose puisqu’elle consiste dans le concept, qui seul a le pouvoir de la constituer, et non dans les objets qui lui appartiennent. Une collection de choses n’est pas une chose. C’est ce que je disais dans ma Critique de la raison impure. Ensuite, pour prouver l’inexistence de l’économie, il suffit d’ouvrir le dictionnaire et de constater que l’économie y est définie comme ensemble de bla bla bla... Si on a la curiosité d’ouvrir le dictionnaire à système, on constate que la vingtaine d’entrées commence par ensemble bla bla bla. Si vous tenez absolument à ce que l’économie existe comme une chose, il faudra changer de définition. Essayez troupeau de bla bla bla —. Seuls contre six jeunes gens vigoureux, armés, remplis de haine et de ressentiment, que voulez-vous qu’ils fassent. Pire, non seulement ils ne sont pas habités par leur nombre, mais ils sont habités par la séparation. Oui, dans ce monde, l’enfer c’est les autres : ils se paralysent mutuellement. On reconnaît là les caractéristiques du fait social selon Durkheim : extériorité (la séparation est extérieure et ne dépend d’aucun des témoins), contrainte, coercition : ils ne peuvent pas faire autrement bien que personne ne les y oblige. Personne ne les empêche de se parler, de se concerter, d’agir, et cependant, ils ne le peuvent pas. La séparation est un fait social instauré par deux siècles de capitalisme. Comme le dit très bien Michel « Prend l’oseille et tire toi » Houellebecq, le problème, c’est le capitalisme, ce n’est pas le racisme (mot pour mot, totidem verbis, dans sa réponse aux crétins de Perpendiculaire). Ben Laden ne dit rien d’autre. Des scènes pareilles ne peuvent avoir lieu chez les Arabes. Et ces ordures de journalistes qui jouent un rôle important dans le maintien de la séparation y trouvent à redire et se drapent dans leur dignité outragée. Canailles. Aujourd’hui, le sort du monde et son honneur dépend des Arabes et plus généralement des musulmans, ces gens qui se suicident avec ardeur, qui donnent une leçon de générosité au monde entier des foules solitaires. Ils ne veulent pas devenir, eux aussi, des foules solitaires eux qui ont la chance de connaître la ferveur. Quelle honte, quelle honte pour l’Occident. Je comprends que la canaille journalistique préfère s’en prendre à la prétendue lâcheté des foules solitaires qu’a la sienne propre, lèche-culs des puissants, habitués des abattements d’impôt, des notes de frais, des billets d’avion et des palaces gratuits. Le remède est très simple. Il suffit de remettre en vente libre avec simple déclaration les armes de catégorie 4, de défense, tel l’excellent Walther PP ou PPK 7,65 mm et les Français feront leur devoir. Aux armes, citoyens ! Il n’est de démocratie qu’en armes. Mais trêve de plaisanterie, aucune de ces canailles ne s’est excusée d’avoir sauté goulûment sur un fait qui s’est avéré n’en être aucun, sinon une supercherie. Seul le journal Libération, que je ne porte pourtant pas dans mon cœur, a présenté des excuses à ses lecteurs. Qui sont les collabos, canailles qui se jettent à plat ventre pour ramper à la moindre alerte. Salopards, pourritures. Aux ordres. La voix de son maître. Jacques a dit... Chirac a dit... donc tous à plat ventre. Maintenant, ces ordures veulent faire porter le chapeau à Chirac. Crevez, salopes, que l’Arabe vous emporte. Disparais, monde ridicule. Tous à Youpi plage. Le Saint-Père est content. Les pédés vont enfin cesser de vivre dans le péché puisqu’ils vont se marier.

* Remarque : un autre abus, si l’on n’y prend garde, de la formule « Les témoins sont nombreux » est que nombreux signifie que le cardinal de leur ensemble est estimé «grand» par l’observateur et non pas que leur ensemble a nécessairement un cardinal comme tous les ensembles. Quand bien même n’y aurait-il qu’un témoin dans la bétaillère, l’extension du concept est nombreuse (il faudrait dire en fait nombrée, comme on dit de Mlle Antoinette Fouque membrée ou burnée) sauf que le nombre est un. N’y aurait-il aucun témoin dans la bétaillère, l’extension du concept serait vide mais cependant nombreuse (nombrée), puisque zéro est un nombre. On voit donc par là même que la notion d’ensemble n’a rien à voir avec une pluralité, comme le prétend Cantor, puisqu’un ensemble peut être unaire aussi bien que nul. Ni avec la notion d’agrégat, comme le prétend Cantor, puisqu’un agrégat unaire est une contradiction dans les termes et un agrégat nul est un agrégat qui n’existe pas. Ensuite, un agrégat est une chose formée de choses. Mais toutes les choses, pratiquement, sont formées de choses qui sont formées de choses..., comme le note encore Frege. Un agrégat de choses est une chose, un ensemble de choses n’est pas une chose mais un objet logique. Agrégat vient de grex, troupeau. C’est vous le troupeau, vous ne l’aviez pas remarqué, fiers si cambrés ? Où sont-ils, les prétendus individus ? Bientôt, d’ailleurs, tout individu devra être marié. Vous n’êtes pas marié ? Cela cache quelque chose. C’est l’envie de pénal. C’est le conformisme de choc. C’est l’adhésion éperdue à ce monde merveilleux. Puisque les pédés réclament le droit de se marier, je réclame, moi, le droit d’en rire. Quand bien même dirait-on : « le nombre des témoins est grand » que l’abus de langage demeurerait, si l’on n’y prend garde, puisque le nom propre « des témoins » concerne leur ensemble.

 

 

On peut mentir à l’insu de son plein gré
Un exemple de mensonge inconscient
Seul le concept a le pouvoir de constituer une collection
20 juillet 2004

 

 

Tilleuls

On donne bien la mort sans intention de la donner.
Pourquoi ne donnerait-on pas le mensonge sans intention de le donner ?
Par inadvertance, par soumission, par habitude de la soumission.
Le menteur par inadvertance est un agent d’influence qui s’ignore.
Il est coupable, il mérite la colère de l’Arabe.

Selon Hume, la croyance au lever du soleil résulte d’une habitude. Avec la mécanique newtonienne, puis lagrangienne, puis hamiltonienne, cet apparent lever devient nécessaire, même si l’existence du système solaire est totalement contingente... jusqu’à preuve du contraire. Le lever du soleil « obéit » à des lois, mais le plus étonnant est que ces lois elles-mêmes obéissent à des lois.

Quand vous dites que vous voyez sur la table un ensemble de noix, une poignée de noix, une collection de noix ou une pluralité de noix (quoique personne ne parle comme cela), vous vous payez de mots. Vous mentez sans le savoir. Si vous dites que sur la table il y a plusieurs noix (on dit généralement des noix), vous dites la vérité. Pourquoi ? Parce que dans le premier cas vous prétendez voir une chose qui n’existe pas et que donc vous ne pouvez voir. Simplement parce que dans le premier cas vous employez un nom qui présume de l’existence d’une chose collective et dans le second cas un adverbe, ce qui ne présume d’aucune chose collective. Dans le second cas vous ne prétendez nullement mensongèrement que vous voyez une chose inexistante, vous ne faite que déduire de ce que vous voyez que, oui, effectivement les noix sont plus d’une et donc qu’elles ne sont pas non plus aucune. Vous effectuez un jugement d’existence, qui porte sur le concept et non sur les individus) qui n’a rien à voir avec la perception d’une chose collective. Remarquez en passant que ce jugement d’existence ne garantit pas l’unicité — il existe quelque chose c’est non pas : il existe une chose, mais : il n’existe pas zéro chose. Le jugement d’existence, c’est nier que le nombre qui appartient au concept soit zéro. Exister ce peut être un aussi bien que plusieurs. Frege en profite pour attaquer la preuve ontologique. Quand bien même l’existence serait un vrai prédicat, elle ne garantit pas l’unicité et il faut encore prouver qu’il n’y a pas une ribambelle de dieux comme il y a des ribambelles de pères Noël chaque mois de décembre, § 53. Bien mieux, Frege affirme que le jugement d’existence (celui d’unicité aussi) qualifie le concept et non les individus. Dire Dieu existe, ce n’est pas dire l’objet Dieu a la qualité existence mais c’est dire l’extension du concept ...Dieu n’est pas vide. Nuance, n’est-ce pas ? Le faux prédicat qualifie le concept et non l’objet Dieu et c’est pourquoi il n’est pas un prédicat puisque le concept est déjà un prédicat (prédicat est l’ancien nom du concept, avant Frege). De même que pour l’unicité, Frege dit que l’existence est un qualificatif de second niveau, qui ne s’applique pas aux individus, aux objets, mais au concept —. D’ailleurs l’ensemble vide et les singletons sont le meilleur argument pour affirmer que les ensembles ne consistent pas dans leurs éléments puisque l’ensemble vide n’en possède aucun. C’est le meilleur argument pour affirmer que les ensembles ne sont pas des multiplicités puisque les singletons n’ont qu’un seul élément. Voilà. Ce vieux Frege, sacré farceur ! Seul le concept a le pouvoir de constituer une collection. Les Fondements de l’arithmétique, § 48 et fin de § 38 : une collection est une « idée collective ». Il n’existe pas de collections matérielles, contrairement à ce que dit la traductrice de Frege dans son introduction et Frege lui-même à plusieurs reprises. Frege ne fait pas que distinguer les extensions de concept des « collections matérielles », il dit que les collections matérielles n’existent pas car seul le concept a le pouvoir de constituer les collections (quoi qu’il se contredise en parlant de « tout collectif » à propos de la forêt. Une forêt n’est pas un tout collectif sous prétexte qu’elle comprend beaucoup d’arbres. A ce compte, tout serait des touts collectifs, puisque le concept d’atome est un parfait concept unité et que tout ce que nous voyons est constitué d’atomes, eux-mêmes constitués d’objets plus ou moins bizarres. Dictionnaire : tout : ensemble, collection. Donc Frege parle de collections collectives ! mais tout le monde peut se tromper, même Frege). Certes, selon Frege, les extensions de concept aussi bien que les collections sont des objets (et non pas des concepts, des notions, comme je le soutenais avant que d’avoir lu Frege), objets certes, mais choses certainement pas. Toutes les choses sont des objets mais tous les objets ne sont pas des choses. Pour parler vulgairement, vous pouvez mettre les noix dans un panier mais vous ne pouvez pas les mettre dans un ensemble. Si maintenant, vous les ordonnez savamment sur la table, là encore c’est un pouvoir qui n’appartient qu’au concept et l’ordre appartient au concept (respectez le droit d’auteur s’il vous plaît).

Cela n’est finalement pas si étonnant. Il serait étrange que les ensembles et autres classes et extensions qui sont des êtres mathématiques puissent concerner directement des choses comme des noix ou des carottes, ou encore des cailloux et des nonnettes. Ce dont est constitué effectivement un ensemble ne sont pas des choses mais des cas de vérité d’un concept, c’est à dire des objets mathématiques. On comprendra encore mieux si l’on s’avise que les cas de vérité d’un concept sont des faits tandis que les objets qui tombent sous le concept sont des objets et même des objets réels (des choses). Qu’un objet tombe sous un concept et que la valeur de vérité de la proposition soit LE VRAI, c’est bien un fait, oui ou merde. Qu’est-ce qu’un fait ? Un fait est une proposition (une pensée) qui est vraie (Frege. Recherches logiques). Qu’est-ce qu’une proposition (une pensée. Pour Frege, une pensée est ce qui est susceptible d’être vrai ou faux) ? C’est un concept saturé par un objet. Donc, l’extension du concept ...tilleul n’est pas composée de tilleuls, mais de faits, de cas de vérité. Comme les diamants, les faits mathématiques sont éternels, mais ils n’existent ni dans le temps ni dans l’espace. L’objet qu’est l’extension du concept ...tilleul n’existe ni dans le temps, ni dans l’espace, contrairement aux tilleuls et aux forêts de tilleuls. En résumé : oui, les individus d’une certaine classe, c’est à dire qui tombent sous le concept ou qui satisfont le signe de classe, appartiennent bien à la classe, c’est la moindre des choses. Mais... la classe n’appartient pas aux individus, mais au concept ou au signe de classe. Il ne faut pas confondre les carottes et les navets, ni les torchons et les serviettes comme les hussards de la République nous l’ont appris. Frege exprime cela magnifiquement, § 87 : « Dans le monde extérieur, dans la totalité de l’espace, il n’y a ni concepts, ni propriétés de concepts, ni nombres. Les lois des nombres ne sont donc pas proprement applicables aux choses externes [ Qu’est-ce que je vous disais. Heil myself ! ] : ce ne sont pas des lois de la nature. Mais elles s’appliquent aux jugements qui parlent des choses du monde extérieur : elles sont les lois des lois de la nature. » C’est pas beau ça ? Enfin Frege insiste sur l’objectivité des extensions ou des ensembles et attaque ceux qui en font quelque chose de subjectif que la psychologie pourrait étudier. Fin du § 27 : « On en conclura que le nombre n’est ni spatial, ni physique comme les cailloux et nonnettes de Mill, ni subjectif comme les représentations, mais qu’il est insaisissable par les sens et objectif. » Il écrit également : « Tous n’est pas représentation. Sinon la psychologie contiendrait en elle toutes les sciences, ou du moins aurait la juridiction suprême sur toutes les sciences. Sinon, la psychologie régirait aussi la logique et les mathématiques. » (Recherches logiques). Il dit encore que la physique a pour but de découvrir des pensées vraies. La définition de l’objet par Frege (Fonction et concept) est expéditive : est objet tout ce qui n’est pas une fonction. Il s’ensuit, selon lui, que le vrai et le faux, qui ne sont pas des fonctions, sont des objets. Étonnant, non ? Je vais donc désormais me confronter à cette bizarre fonction —— ξ (tiret-double-cadratin ksi, le double tiret indique que ce qui suit doit être pris comme un tout et donc que l’argument est en fait la dénotation du symbole, simple ou composé, qui va remplacer la variable ksi. Ainsi, l’expression « 3 + 4 = 7 » dénote le vrai et l’expression « 3 + 3 = 7 » dénote le faux. L’expression « 4 » dénote un nombre. Frege utilise le x grec plutôt que le x latin pour signifier qu’il s’agit d’une variable syntaxique qui ne fait que réserver la place) qui n’a pour valeur que des valeurs de vérité. Elle ne retourne LE VRAI que si la dénotation de l’argument est le vrai, elle retourne LE FAUX dans tous les autres cas, que la dénotation soit le faux ou tout ce que vous voudrez. Cette fonction a donc pour valeur l’argument lui-même quand celui-ci est une valeur de vérité, LE VRAI ou LE FAUX. L’échec de Frege est lié à cette mystérieuse fonction et à sa loi V des Lois fondamentales de l’arithmétique : si deux concepts ont toujours la même valeur de vérité pour le même argument, alors leurs extensions sont identiques. Car, lorsque le symbole argument dénote le vrai (comme nom propre du vrai. Le vrai aurait donc un nombre infini de noms propres), la fonction —— ξ prend donc pour argument sa propre extension, puisque son extension est le vrai et que le symbole argument ne fait rien d’autre que dénoter cette extension. Cela provient du fait que le prétendu concept —— ξ n’est pas un concept unité, contrairement au cas de la construction prudente des cardinaux où l’argument du concept ne risquait jamais de se confondre avec l’extension du concept puisque les concepts susceptibles de se voir attribuer un nombre sont des concepts unité. Malheur ! Selon Frege, les fonctions doivent être généralisées au point d’être capables de traiter tout objet, du mammouth à la valeur de vérité en passant par les nombres et même, dit-il, les personnes.

Pour ma modeste part, je ferais remarquer que dans le cas des personnes, celles-ci sont capables de penser le concept sous lequel elles tombent ce qui n’est pas le cas des tilleuls ni des chevaux. Frege remarque qu’il faut distinguer entre l’esprit et les esprits, c’est à dire un concept d’avec le fait contingent que tel ou tel ou tel le pensent — « Ni la logique ni les mathématiques n’ont pour tâche d’étudier les âmes ou les contenus de conscience dont l’homme individuel est le porteur. On pourrait plutôt leur assigner pour tâche l’étude de l’esprit : de l’esprit et non des esprits. La saisie d’une pensée suppose quelqu’un qui la saisisse, quelqu’un qui la pense. Ce quelqu’un est alors le porteur de l’acte de penser, non de la pensée. » (Recherches logiques). Bien dit. J’ajouterais : les pensées sont éternelles, l’acte de penser est furtif —. A mon humble avis, le fait que certains objets soient capables de penser le concept sous lequel ils tombent est le principe fondamental des objets collectifs réels, effectifs (c’est à dire doués d’effet), le principe des choses collectives dont parle Durkheim, ce qui a totalement échappé à Marx. Contrairement aux tilleuls, les hoplites sont habités par leur nombre. Tout hoplite était capable de penser le concept ...hoplite et tout hoplite mettait son point d’honneur à ce que la valeur de vérité de la proposition moi hoplite soit le vrai (ce qui prouve en passant que le moi est un objet, comme le veut Sartre, car un concept ne peut être saturé que par un objet) quoique l’on ait vu parfois des Spartiates revenir dans leur cité sans leur bouclier, à ce qu’on dit.

Pour finir, la question des « tas ». Un tas de cailloux n’est pas un ensemble et réciproquement car un tas de cailloux, qui est une chose singulière et non collective, a une certaine forme, notamment la pente de ses flancs, qui « dépend » des lois de la physique. Dans le cas d’un tas de sable, la forme du tas dépend du taux d’humidité. Sous certaines conditions, on peut faire un tas cubique ou cylindrique et même des encorbellements. On appelle ça un château de sable. L’eau évaporée, le château retourne à l’état de tas. Il est bien clair qu’un ensemble n’est pas concerné par ces questions. Même cas pour la forêt qui est « soumise » aux lois de la biologie, ce qui n’est pas le cas d’un ensemble qui n’est soumis qu’aux lois des mathématiques.

Les choses sont encore pire que je ne pensais : je ne puis même pas dire qu’un ensemble de choses n’est pas une chose puisqu’il n’y a pas d’ensemble de choses. Un prétendu ensemble de choses ne traite en fait que des cas de vérité du concept ...telle chose (selon Frege, les prétendus noms communs sont des concepts. Les seuls véritables noms sont les noms propres, par exemple Pégase, Dieu ou le dieu vivant (mais non pas un dieu et des dieux, qui sont des concepts). Ainsi donc Hitler est un nom propre. Quel scandale !)

Le plus drôle dans tout cela, c’est que j’ai découvert la philosophie analytique grâce au sournois imbécile qui signait Spinoza ou Occam (il y en a qui ne doutent de rien) sur le Debord off et qui invoquait Wittgenstein à tout bout de champ. J’y suis donc allé voir. Wittgenstein n’est pas comme Debord, il cite ses sources, lui. Dans sa courte préface, il dit : « ...c’est aux œuvres considérables de Frege et aux travaux de mon ami Bertrand Russell que je dois, en grande partie, d’avoir été stimulé dans mes pensées ». C’est donc grâce à cette indication que j’ai pu découvrir la confirmation par Frege de la preuve de l’inexistence de l’économie. En effet, j’eus d’abord de moi-même l’idée qu’un ensemble de choses ou de faits n’était pas une chose ni un fait (quoi qu’il soit, cependant, un objet au même titre que les nombres entiers, par exemple, puisque ces derniers sont aussi des classes) et que donc, l’économie qui est définie comme étant un ensemble de faits n’est pas une chose, ni un fait. Puis je lus dans un article de Vincent Descombes que Frege disait quelque chose de semblable. J’avais déjà acheté un an plus tôt tout ce qui est publié de Frege en français et qui attendait sa lecture. J’y trouvais confirmation de mon idée. Lorsqu’en 1976, dans mon Enquête, déplorant que l’on confondît une idée avec une chose j’écrivais : « L’économie n’est qu’une idée dans la pensée bourgeoise », je pensais alors que la preuve de cette affirmation résidait dans la description de ce qui avait effectivement lieu, ce qui n’est pas de la tarte. J’étais loin d’imaginer que la preuve était beaucoup plus simple (si l’on peut dire) et résidait dans l’analyse de l’usage du langage. Si l’imbécile Lebovici n’avait pas été assassiné, je pourrais lui présenter aujourd’hui cette preuve comme je l’annonçais dans une de mes lettres. C’eût été de toute façon peine perdue, puisque Lebovici était un crétin, prétentieux qui plus est. Un mensonge sans intention est un mensonge impersonnel, un mensonge général. Il provient en effet d’une mécompréhension de la grammaire dissimulant la logique. On pourra constater dans mes Commentaires d’un manuscrit de 1975, que, comme monsieur Jourdain, je faisais déjà, en 1975, de la philosophie analytique sans le savoir en corrigeant le mauvais usage du terme « valeur », terme qui a fait tant couler d’encre depuis Aristote. Ce qui me conduisit aussitôt à affirmer « L’économie est seulement une idée dans la pensée bourgeoise. » Dès le début de la lecture du Capital en 1962, je fus choqué que l’économie, qui était censée tout régir, n’était néanmoins qu’une chose parmi d’autres, qu’une chose à côté d’autres choses. Choses au sens de Durkheim, évidemment. Cela n’est pas sans rappeler le problème central traité par Hegel : si le fini demeure à côté de l’infini, cet infini n’est pas l’infini. En bonne logique Hegel en conclut que l’être du fini doit être son non être si l’on veut que l’infini soit effectivement l’infini. Un intervenant du Debord off écrivit : « L’économie est tout ce qui existe ». Dans ce cas, d’accord, mais pas d’accord si elle est seulement une chose parmi d’autre. C’est d’ailleurs la thèse de Marshall Sahlins : ou tout est économie, ou tout est culture, mais pas un peu des deux, l’une dominant l’autre ou réciproquement, avec en plus, aujourd’hui le sociétal, c’est à dire les pédés mariés. On n’arrête pas le progrès. C’est le miracle de la multiplication des pains.

Debord était un enfant qui jouait à la guerre. Quand j’arrivais à l’improviste à une heure de l’après-midi, il était penché sur ses cartes en reliefs. Ben Laden a balayé tout ça. Ben Laden fait la guerre pour de bon. Ce n’est pas un sale gamin, lui, ancien lauréat du concours de M. Champagne. Le monde n’est pas un spectacle mais guerre permanente. Rien n’est arrivé par des révoltes, mais seulement par la guerre. J’aime assez le paragraphe 10 de la Société du spectacle pour son comique involontaire. Monsieur dit : « Le concept de spectacle unifie et explique une grande diversité de phénomènes apparents », mais jamais, de toute sa vie, il n’en a donné un seul exemple ! Tandis que moi, avec ma simple proposition : un ensemble de ce que vous voudrez n’est ni une chose ni un fait, confirmée par Frege, je prouve que l’économie n’existe pas puisque l’économie est définie dans les dictionnaires comme un ensemble de faits. Or si le concept de chien ne mord pas, un ensemble de faits ne fait rien. Capito ? Selon Monsieur, la critique qui atteint la vérité du spectacle le découvre comme une négation de la vie qui est devenue visible. Si c’est le cas pourquoi n’y a-t-il pas porté remède, ni personne d’autre ? Le concept de spectacle expliquerait un grand nombre de phénomènes et grâce à la critique la négation de la vie serait devenue visible, mais rien n’est arrivé depuis, rien n’a changé. On saurait enfin ce qui nie la vie, on le verrait (on verrait donc aussi bien ce qui est nié, on verrait donc ce qu’est la vie), mais personne ne fait quoi que ce soit ! C’est comme ce docteur Bounan qui se permet d’écrire que depuis un siècle le secret de la domination est dévoilé ; mais depuis un siècle personne n’aurait rien pu faire malgré le dévoilement de ce secret ! Ben Laden ne s’y est pas trompé, lui : l’insupportable arrogance américaine (en fait l’infamie manchestérienne, représentée en France par le baron Seillière) est la négation de la vie devenue visible, pour le monde entier. Et Ben Laden en a tiré les conséquences, comme on sait. Je dirais des merveilleux employés de bureau américains ce que Michel « Prends l’oseille et tire toi » Houellebecq (Bravo Michel, voilà de l’argent bien gagné) disait des pédés : leur vie semble passionnante et le monde entier les envie. La vie des pédés est un spectacle. La ridicule débandade des gauchistes en 1968 a essaimé en une myriade de fiertés. Les Arabes ne sont-ils pas fiers, eux aussi. De quoi vous plaignez-vous ?

Dans le paragraphe 14, Monsieur monsieur (j’ai entendu parler d’un comte qui déchirait sans les lire toutes les lettres qui ne lui étaient pas adressées avec sur l’enveloppe la suscription « Monsieur monsieur le comte de X » car il estimait que son titre était « Monsieur le comte ») dit que le spectacle est l’image de l’économie régnante. Avez-vous jamais vu cette image ? Où est donc l’image de l’économie régnante ? Paragraphe 16, Monsieur monsieur dit que le spectacle n’est que l’économie se développant pour elle-même. Imagine-t-on une classe de faits se développant pour elle-même ? Ce n’est pas le nombre des chevaux qui broute l’herbe de la prairie, mais les individus. Cependant, selon Darwin, il existe une loi entre la taille d’une île et la taille du plus grand animal qui peut y vivre et donc du nombre de ces animaux. Il dit également que l’économie a totalement soumis les hommes. Imagine-t-on les hommes soumis a une classe de faits ? Pour commencer, depuis quarante ans, ils sont tous (sauf les musulmans) soumis à la croyance en l’existence de l’économie. Ensuite, une chose est certaine : dans le monde manchestérien, les hommes sont totalement soumis, c’est à dire soumis à leur totalité. Je dirais, moi, pour autant que cette [???] ait un intérêt, que le spectacle réside dans la croyance en l’existence d’une chose sociale, au sens de Durkheim, qui aurait pour nom l’économie. Cette croyance est devenue massive depuis seulement quarante ans, c’est à dire exactement au moment où Debord commença à sévir. Cette croyance en l’existence d’une prétendue chose sociale a remplacé la croyance en un prétendu dieu (sauf en Arabie). En ce sens, le spectacle, ainsi entendu, est bien l’héritier de la religion, son remplaçant, le inch Allah de l’infâme monde manchestérien, un fatalisme de patineurs à roulettes. Le mot « économie » n’est autre qu’une menace (proférée chaque jour dans le poste par M. Greenspan et repris partout dans le monde par la canaille journalistique) comme l’était la géhenne autrefois. Où est l’obscurantisme ? Chacun voit l’obscurantisme au clocher de son voisin. Des cloportes se prennent pour des citoyens. Debord, ce grand original, ne fut qu’une victime, parmi tant d’autres, de cette croyance, mais aussi la pire de ces victimes en vertu de ses prétentions à la critique et à la lucidité. Il fut ainsi le meilleur propagandiste en faveur de cette croyance et traîne donc derrière lui une ribambelle de crétins qui vont répétant spectacle, spectacle comme des Hare Krishna. Marx avait encore des excuses ; cent ans après, Debord, ce prétendu critique de Marx, n’en a plus. Combien de jeunes gens moins coriaces que moi a-t-il découragés dans sa carrière de triste sire, combien de vocations a-t-il étouffées. En démontrant aujourd’hui l’inexistence de l’économie en tant que chose sociale, je réduis à néant toutes les prétentions du livre de Debord qui ne contient que charabia et non sens. Cet homme ne savait visiblement pas de quoi il parlait. Ce fut le roi des esbroufeurs. Mais tout a une fin, un jour ou l’autre.

 

 

De l’Esprit et des Nombres
10 juin 2004

 

 

Je suis très content et flatté d’avoir eu, cent vingt ans plus tard, la même idée que Frege (tout vient à point à qui sait attendre) : un ensemble de choses n’est pas une chose (contrairement à ce que disait Cantor pour qui un ensemble était une sorte de chose. Il emploie même le mot de « tas », je recherche la citation. Un ensemble peut être un objet, mais une chose, non). Cependant il n’est pas très rassurant d’être du même avis qu’un homme dont on sait que les tentatives d’idéographie furent un échec (« Mes efforts pour apporter de la lumière sur les questions concernant le mot "nombre", les termes numériques individuels et les signes numériques, semblent avoir abouti à un échec complet. » Brouillon, Septembre 1924. « Mes efforts pour tirer au clair ce qu’on entend par nombre se sont soldés par un échec. » Journal, 23 mars 1924. J’aimerai bien échouer comme lui, mutatis mutandis. Certes il n’atteignit pas son but mais il ouvrit un horizon. (Bolzano, lui, recula devant un but à sa portée, car, fidèle à son postulat de départ : l’infini n’est pas un nombre, il renonça à inventer les cardinaux transfinis.) Voilà un homme qui savait se remettre en question et ne fut pas comme ce Debord qui prétendit avoir porté des coups mortels à la société du spectacle. La seule chose qu’ait réussi à détruire Debord, ce fut l’espoir chez une foule de jeunes gens moins coriaces que moi et la seule chose qu’il ait réussie fut de lever des légions de crétins. Ce général prétendument sans troupes commandait en fait une armée de crétins. Les jeunes gens arabes ont de l’espoir à revendre). Mais je suis encore plus étonné de découvrir aujourd’hui (4 juin 2004) que Platon avait eu la même idée il y a deux mille cinq cents ans (Henri Denis, Histoire de la pensée économique, PUF, 11e édition). Frege raisonne sur un ensemble, il ne dit pas ensemble mais extension de concept. Platon raisonne sur une dyade, un couple d’objet. Il remarque que le fait que les objets soient deux ne les concerne en rien. L’expression « les objets sont deux » est ambiguë car évidemment ils ne sont pas deux au même titre qu’ils sont blancs, gros, sphériques etc. On devrait dire : « le nombre qui appartient au concept ...objet untel est deux ». On sait la conclusion que Platon en tire. C’est la preuve, selon lui, que l’objet (et non, comme j’ai d’abord écrit fautivement, la propriété, puisque justement il dénie que ce soit une propriété des objets) dyade siège ailleurs que dans le monde des choses. Platon a quand même raison sur ce point : la dyade n’est pas du même ordre que les objets, elle est de l’ordre du concept. Ainsi, pour Frege, beaucoup plus simplement, elle dépend seulement de l’expression conceptuelle. Le nombre deux est seulement un énoncé qui porte sur l’expression conceptuelle et non pas sur les objets qui tombent sous ce concept. Le nombre n’est pas celui des objets, mais celui des cas de vérité du concept. Le nombre est d’une part une classe, une unité, mais aussi une multiplicité. Seulement cette multiplicité n’est pas celle des objets mais celle des cas de vérité du concept dont est constituée la classe. Certes, si l’unité appartient au concept et la différence aux objets qui tombent sous ce concept, la différence est cependant conservée dans les cas de vérité, dans les faits. De même que le nombre porte sur le concept, le terme multiplicité aussi. Le contraire serait étonnant.

Si maintenant nous considérons deux gardes postés à la porte d’un temple, nous avons à faire à un être collectif réel ou chose collective. Certes, le nombre des gardes est un énoncé sur le concept : ...gardes postés à la porte du temple, mais... ce concept est aussi une propriété de chacun des gardes. Ainsi, qu’ils soient deux concerne les gardes, les affecte, ils sont donc réellement deux, contrairement aux objets de Platon qui ne sont pas réellement deux, tandis qu’ils sont réellement blancs, par exemple. Les gardes sont un être collectif réel contrairement aux êtres collectifs imaginaires tels que décrits par Cantor. Les deux gardes sont une chose collective ce que ne sont pas deux tilleuls, ou une paire de tilleuls, ou un couple de tilleuls ou même une forêt ou encore un couple de sondes situées l’une sur la Lune, l’autre sur Mars — une paire, un couple, un groupe, une dyade ne sont pas des choses, des objets réels, mais seulement des objets conceptuels. Une forêt est une chose mais, contrairement à ce que pense Frege, elle n’est pas une chose collective mais singulière. Un objet conceptuel tombe sous le concept et seulement sous le concept, une chose ou objet réel tombe et sous le concept et sous les sens —. Leur nombre est une qualité réelle, quoique temporaire, de chacun des gardes tandis qu’elle ne l’est pas pour les tilleuls. Elle affecte chacun des gardes. Leur nombre sert à donner du courage à ceux qui n’en ont pas du tout, il sert à en donner encore plus à ceux qui en ont déjà.

Survienne un intrus, le concept : ...gardes postés à la porte du temple devient aussitôt sa propriété ainsi que l’énoncé porté sur ce concept : deux. Frege dit que l’on ne produit pas les idées mais qu’on s’en saisit. Là c’est l’idée qui se saisit de l’intrus avant que les gardes ne le fassent. Pour lui aussi, les gardes sont réellement deux et lui se sent bien seul. Le nombre deux affecte aussi l’intrus puisque le concept sur lequel le nombre porte est aussi une propriété de l’intrus ! Voilà donc trois copropriétaires et leur commune copropriété. Et Frege a raison : l’identité appartient bien au concept, les individus, même ceux qui ne tombent pas sous le concept, partagent le même concept ; la discernabilité appartient aux objets. Bien que l’intrus ne tombe pas sous le concept mais sous celui d’intrus, le concept de garde est quand même une propriété de l’intrus. Contrairement à la dyade d’objets, la dyade de gardes est de l’ordre des choses... parce que le concept ...gardes postés à la porte du temple est une propriété des individus qui la composent. Les gardes sont habités par le concept sous lequel ils tombent. Chacun des gardes tombe sous le concept ...gardes postés à la porte du temple, mais ce concept est une propriété de chacun des gardes et même d’éventuels individus qui ne tombent pas sous le concept, ce dernier fait étant une preuve supplémentaire de l’impersonnalité du concept. C’est parce que le concept est impersonnel qu’il est accessible à plusieurs actes de penser et qu’il peut ainsi devenir copropriété. Frege note que lorsqu’un général veut tromper l’ennemi par une ruse de guerre, dans la disposition de ses troupes par exemple, il ne manipule pas des pensées, ni des paroles, mais fait en sorte que le général adverse saisisse des pensées, et des pensée qui soient fausses de préférable. Voilà ce qu’est une ruse : une mise en scène qui doit occasionner la saisie de pensées fausses. L’ordre du concept est ramené dans l’ordre des choses. Voilà ce qu’est la communication ou esprit ou praxis, terme cher à Marx. (manière d’agir et non action. Marx s’est lourdement trompé sur le sens approprié du mot « πραξις » dans la question qui nous occupe : quand homme fâché, homme toujours faire ainsi). Tout cela s’est passé sans une seule parole. La communication, ce n’est pas faire bla-bla et encore moins bla-bla dans le poste. Elle consiste dans le partage de la propriété de concepts. La communication, ou esprit, constitue la réalité des êtres collectifs réels (Frege dit : l’essentiel, c’est l’esprit et non les esprits. Ce qui est inessentiel et contingent dans le concept, c’est que tel ou tel ait l’idée, comme dans mon exemple. Il devient alors porteur de l’acte de penser mais non de la pensée). C’est bien parce que les pensées au sens de Frege, c’est à dire non les actes de penser mais le sens des phrases, n’appartiennent à personne qu’elles peuvent appartenir à tous, que tous peuvent s’en saisir. Ce simple exemple d’une triade montre qu’il n’y a pas d’interactions individuelles entre des « sujets » mais que toute interaction est immédiatement collective, que toute interaction a lieu dans un monde. Dans la ruse, la mise en scène a lieu dans le monde, pas dans un dialogue, ni dans la pensée. Le monde est donc ce lieu où l’on saisit les pensées. « L’homme est le monde de l’homme. » Le monde de l’homme est un savoir. L’homme habite dans un savoir. D’ailleurs, le monde est classé. Où que mon regard se pose, nulle chose sans signe de classe. C’est pourquoi les paysages sont si beaux. Puisque l’apparition en tant qu’apparition est strictement impersonnelle, ce que je vois n’est pas mon monde quoiqu’en dise Wittgenstein mais un monde classé. Voilà ce que dit le paysage. Dans un paysage désert, je peux goûter toute l’étrangeté de ma présence dans un monde qui n’est pas le mien et où, cependant, chaque chose possède un signe de classe. C’est tout le contraire des badaux de Youpi-plage ou des néo-fêtes de Youpiville. Déjà, dans ses mémoires, Casanova était étonné de la badauderie des Parisiens. Les paysages sont beaux parce qu’ils sont déserts. Les foules de badaux sont laides parce qu’elles sont désertes. Elles souillent le paysage comme des papiers gras abandonnés par des pique-niqueurs espagnols. Rien n’est plus beau que la rue Lafayette, à Paris, déserte à deux heures du matin, avec ses longues lignes de sémaphores rouges ou verts. Notons en passant que les religions consistent non en croyances mais en partage de croyance, quoique tout partage de croyance ne soit pas nécessairement une religion, ainsi par exemple la croyance longtemps partagée que la terre était plate. L’étude des religions consiste dans l’étude des modes de partage des croyances. Je suis également très content et flatté d’avoir eu, quatre vingt dix ans après lui, la même idée que Durkheim : la division du travail est la solidarité et réciproquement. J’y reviendrais quand je donnerais ces prochains jours (ça y est, c’est pour aujourd’hui, chose promise, chose due) le point de vue de Durkheim sur la prétendue science économique et sur ses prétendues lois qu’il qualifie de « conseils de sagesse pratique », « maximes d’action », « préceptes pratiques déguisés » tandis qu’il y a peu je les qualifiais de « recettes de communication ». Décidément, les grands esprits se rencontrent.

 

 

Le système des besoins

 

 

L’économie politique est née quand le commerce atteignit son autonomie. Pour la première fois dans l’histoire, le commerce, contrairement à ce qui se passa en Chine durant des millénaires, ou à Rome et à Athènes, se libéra de toute tutelle. Les révolutions qui s’ensuivirent furent de simples et sanglantes formalités. Tout était jugé d’avance.

Pour la première fois dans l’histoire apparut une société civile, ce que Hegel nomme le système des besoins, ce qui est mort et cependant se meut en lui-même. Les besoins et leur système sont une invention bourgeoise. Avant les hommes mangeaient peut-être mais ils n’avaient pas de besoins car toutes leurs nourritures étaient consacrées. Le Système des besoins est la négation de la Sittlichkeit. Les hommes dignes de ce nom et la Sittlichkeit ont disparu, seuls demeurent les besoins et les patineurs à roulettes. Le système des besoins n’est autre que le nihilisme réalisé. Hegel croit voir la Sittlichkeit renaître dans l’État. Il se trompe évidemment, mais personne n’a fait mieux après lui et surtout, à son époque il était permis d’avoir des illusions sur l’État politique pur moderne. Aujourd’hui la Sittlichkeit s’est réfugiée en Arabie où les familles peuvent comporter quatre mille membres. C’est une lueur d’espoir car cette Sittlichkeit dit ce qu’elle va faire et fait ce qu’elle a dit qu’elle allait faire contre l’ignoble système des besoins et des patineurs à roulettes : tout patineur à roulettes aura la tête tranchée. Une haute moralité menace dans le ciel de New York un monde sans morale, un système des besoins et un État sans moralité.

La société civile de Hegel n’a rien à voir avec la prétendue société civile des ceci ou des cela en colère d’aujourd’hui. Piètres colères d’esclaves et de prostitués. Que sont ces colères à côté de la colère d’un Arabe. Hegel prend bien garde d’indiquer en français dans son texte ce qu’il entend par société civile. La société civile n’est pas une société de citoyens mais bien la société des bourgeois. Bürger signifie en allemand citoyen, c’est pourquoi Hegel indique en français dans son texte (Philosophie du droit) « als bourgeois ». Il emploie le terme Bürger au sens du français bourgeois. Le meilleur exemple de société de bourgeois est les États-Unis d’Amérique puisque les gouvernants passent indifféremment du business au gouvernement et inversement. Les bourgeois français se contentent de pantoufler, c’est à dire de passer de l’État aux affaires tel Hilare Messier. La société française de bourgeois est unilatérale. Quand un Pinay se mêle de gouverner, on s’en souvient cinquante ans après. En France, les bourgeois utilisent une caste spéciale de larbins pour gouverner, avec école spéciale pour leur formation, ce que ne font pas les bourgeois Américains. Ils mettent eux-mêmes la main à la pâte.

C’est également quand le commerce s’émancipe que la culture naît. Avant l’émancipation du commerce, il n’y avait ni besoins, ni culture. Beethoven est un entrepreneur en musique tandis que Haydn et Mozart n’étaient encore que des domestiques. On n’est pas près d’oublier le coup de pied au cul donné par le prince archevêque Colloredo.

 

 

L’œuvre de Marx est une idéologie au sens de Marx
par Kostas Papaïoannou

 

 

« Pour combattre l’aliénation, Marx s’est si profondément enfoncé en elle qu’il a pris le “domaine de la nécessité” pour celui de la “vraie vie” humaine : au moment même où il devenait évident que la technique rend le travail de plus en plus superflu, ce qui est peut-être sa seule justification, Marx s’est acharné à déprécier tout ce qui est “au-delà de la sphère de la production proprement dite”* et à contester l’“indépendance”, l’historicité et la “valeur” de tout ce qui prétendait jusqu’ici à une existence “séparée” de la vie pratique*. Marx s’est occupé de la vie “idéelle” des hommes, non pour l’“expliquer” en sociologue, mais pour dénoncer en prophète ce qui en elle rend l’homme étranger à sa prétendue “vie générique”, et pour, finalement, mettre à la place de cette vie “imaginaire” un monde prétendument “réel”bien dit, prétendument réel mais en fait purement imaginaire ; autrement dit un fantôme tels qu’on les trouve dans les idéologies au sens de Marx ], littéralement “renversé”, qu’il a bien tardivement tâché de remettre sur ses pieds. S’il a privé au départ l’homme de la dimension (spirituelle ?) entrevue au terme, c’était pour ne pas réduire sa doctrine à un travaillisme “humain, trop humain”très bien, le travaillisme humain ]. Or quelle sera au fait la “vraie vie reconnue” de cet “homme socialisé” auquel le développement des forces productivespur fantôme, même pas une classe de faits, pur non sens tel qu’on les trouves dans les idéologies au sens de Marx ] permettra, effectivement, de consacrer le moins de temps possible à l’activité productive [ classe de faits ] et au “processus de développement pratique” ? Car on ose espérer que, dans l’esprit de Marx, ces “forces humaines” coextensives au “domaine de la liberté” ne coïncident pas avec ces “hobbies”, ces “loisirs” actifs dont l’importance semble devenir de plus en plus envahissante dans une civilisation aussi incapable d’otium que la civilisation activiste d’aujourd’huimagnifique ! depuis le temps que j’avais envie de faire cette mise au point. Ah ! ah ! la société des loisirs incapable de connaître le moindre loisir, même pour les riches négociants (littéralement, sans loisirs), la société frénétique, sans le moindre otium litteratum ]. Il serait plus probable que ces “forces humaines” ne soient autres que les forces morales et spirituelles dont parlent les “aberrations idéalistes”, et que ce ”règne de la liberté” soit celui de ces “abstractions” [ l’économie est une abstraction, une idée dans la pensée bourgeoise ] que Marx a tournées en dérision, mais qui ont “en soi” la plus grande “valeur” précisément, peut-être, parce qu’elles dépendent de notre compréhension et, plus encore, de notre pitié.»

(Kostas Papaioannou, De Marx et du marxisme, p. 146)

*. Je remarquerai seulement que « la sphère de la production proprement dite » est seulement une classe de faits, comme l’économie et qu’elle ne saurait donc, à aucun titre, prétendre être la vie pratique (la vie pratique est la communication. La communication est le fait social total par excellence, l’universel concret, le milieu intérieur pour Durkheim), ni aucune autre vie. Une classe de faits n’est pas une vie. En résumé, l’œuvre de Marx est une idéologie au sens de Marx.

@ Janvier 2004

 

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Mr Ripley s’amuse

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