NOTES 4

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 31 Juillet 2008

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Traduttore, traditore

La lettre volée

Heureuse surprise

David Hume : « De l’Identité personnelle »

La lucidité de la masse et l’aveuglement de l’élite Emmanuel Todd

Je suis incorrigible

Pourquoi l’Amérique n’est pas un empire Emmanuel Todd

La question du « nouveau Bretton Woods » Jacque Sapir

La crise, l’Amérique latine et les limites du « socialisme du XXIe siècle Marc Saint-Upéry        

Après la démocratie Emmanuel Todd

Paul Jorion cite Tocqueville 

Virtualisme à la française Père Iclès

Not a Black Swann Nassim Nicholas Taleb

Réflexions sur les conséquences de la crise et les tendances économiques à venir Jacque Sapir

L’enjeu fondamental : Vrai ou faux Nouveau Bretton Woods ? Cheminade

Zbigniew Brzezinski – Le grand échiquier – 1997 L’un des trous-du-cul inventeurs des djihadistes en 1980

La situation de la classe laborieuse en Angleterre — 1845 Friedrich Engels

 

 

Vive la crise !

Loi de Jorion : la mauvaise théorie chasse la bonne. Donc, vive la crise qui chasse la mauvaise théorie !                                                                                                                                                                                  

« Le Siècle Étasunien affrontait la catastrophe » (F. William Engdahl)

Les pyromanes s’apprêtent à éteindre l’incendie qu’ils ont allumé (Jorion)

Qui est derrière la crise financière ? (Michel Chossudovsky)

« Le capitalisme touche à sa fin » (comte Wallerstein)

« Le nouveau paysage de la compétitivité » (Jorion) Vive la concurrence !

Radar 10 octobre 2008 : le krach

► Derrière la panique, la guerre financière pour le futur pouvoir bancaire mondial (F William Engdahl)

Ce n’est pas une crise, c’est une guerre contre la Chine et l’Euro ! (Iran-Resist. Les Hamerloques seraient encore plus fort que les Mollah)

*   *   *

► La fuite devant les biens réels (JEAN DE LARGENTAYE)

► Le libre échange contre la démocratie (Emmanuel Todd)

Citizen Keynes (Michel Santi) DOC 2008-11-15

Petite chronologie (Meyssan)

L’endettement excessif aux États-Unis et ses raisons historiques (Paul Jorion)

A qui profite la dérégulation des marchés énergétiques (Michel Santi)

L’équilibre walrasien mis à rude épreuve (Radar) DOC 2008-10-27

Réflexions sur les conséquences de la crise et les tendances économiques à venir (Jacques Sapir)

Quand le futur ruine le présent (Radar) DOC 2008-10-23

► La prétendue « économie » est une pure question de communication (Radar)
Tous les cygnes sont blancs, tous les corbeaux sont noirs, mais le ca
zard sauvage.

► Friedman est mort, et c’est bien dommage car on ne peut plus l’empaler (Michel Rocard)
DOC 2008-10-25-2 Talented… Mr Sarközy ! The game of Mr Sarközy

Dix idées reçues sur la crise financière (Horizons)

La fin de Bretton Woods II ? (Brad Setser)

« Les États-Unis sont entrés dans un déclin irréversible et l’Amérique Latine court un danger » (Frederic Lordon)

La dictature des actionnaires (Chomsky)

« Les gouvernement US et européens sont en fait totalement désarmés face à la déflation à venir » (Tropical Bear)

La crise financière entre temps court et temps long (Jacques Sapir)

La Crise de l’Euro: erreurs et impasses de l’européisme (Jacques Sapir)

Trop peu, trop tard? Les aventures du plan Paulson (Jacques Sapir)

► Comprendre la crise (Paul Jorion)

« La crise actuelle révèle des changements structurels du capitalisme » (Michel Aglietta)

► Crise et fin de la « Grande Transformation Financière » ? (par Jean-Luc Gréau)

► De la rente minière à la rente boursière (Hervé Laydier)

► L’épouvantail de la dette publique (Bruno Tinel et Franck Van de Velde)

La fin du « nouveau con sans suce monétaire » (James K. Galbraith junior)

► Hayek et Friedman sont deux imbéciles criminels (Naomi Klein)

[/onLine/Dossier NOTES-04]

 

Traduttore, traditore 
Comment l’on traduit Marx

 

Toto :

Re: Foucault, Veyne–Fragments 

« Reply #33 on: 21. October 2006 at 16:35 »    

 

Cap’tain Nullus je vais de découverte en découverte !!! Je m’aperçois maintenant que la phrase en allemand extraite de l’Introduction à la critique de l’économie politique de 1857, et que j’avais tirée de MLWERKE , est bourrée de fautes de scanner mal relues et mal corrigées.

Une petite comparaison avec la mega originale édition MEGA (Berlin, Dietz Verlag, 1976) donne ceci :

 

„Soweit die bürgerliche Ökonomie nicht mythologisierend sich rein identifiziert mit dem Vergangnen, glich ihre Kritik der frühern, namentlich der Feudalen, mit der sie noch direkt zu kämpfen hatte, der Kritik die das Christentum am Heidentum, oder auch der Protestantismus am Katholizismus ausübte.“ (mlwerke en ligne)

„Soweit die bürgerliche Ökonomie nicht mythologisierend sich rein identifiziert mit den vergangnen, glich ihre Kritik der frühern, namentlich der feudalen, mit der sie noch direkt zu kämpfen hatte, der Kritik, die das Christentum am Heidentum, oder auch der Protestantismus am Katholizismus ausübte.“ (Édition papier)

 

Ça change tout ! Attention scanner en allemand danger grave !

 

Reprenons la magnifique traduction de MM. Husson et Badia aux Éditions staliniennes :

« Pour autant que l’économie politique bourgeoise, créant une nouvelle mythologie, ne s’est pas purement et simplement identifiée au passé, sa critique des sociétés antérieures, en particulier de la société féodale, contre laquelle elle avait encore à lutter directement, a ressemblé à la critique du paganisme par le christianisme, ou encore à celle du catholicisme par le protestantisme. » 

Non seulement il n’est absolument pas question de sociétés antérieures dans cette phrase mais bien d’économies antérieures, mais il n’est absolument pas question de s’identifier au passé, mais bien de s’identifier aux économies passées. « Mit dem Vergangnen » en allemand ne veut absolument rien dire. Pour dire « avec le passé » en allemand il faut dire « mit der Vergangenheit ». Par contre « mit den vergangnen » devient lumineux. En allemand tous les substantifs, nom communs comme noms propres, prennent une majuscule. Avec « mit den vergangnen » (v minuscule) il s’agit d’un adjectif au datif pluriel. Il ne s’agit donc pas de s’identifier au passé mais de s’identifier aux passées (sous-entendu les économie passées). Pareillement le F majuscule n’a aucun sens dans la première phrase. Pour dire « les antérieures » (sous-entendu les économies antérieures) il faut utiliser l’adjectif « früher », évidemment avec une minuscule comme tous les adjectifs, et pour dire « particulièrement la féodale » il faut dire « namentlich der feudalen » évidemment avec une minuscule aussi.

Les Anglais avaient donné :

“In so far as bourgeois political economy did not simply identify itself with the past in a mythological manner, its criticism of earlier economies — especially of the feudal system against which it still had to wage a direct struggle — resembled the criticism that Christianity directed against heathenism, or which Protestantism directed against Catholicism”

Ils avaient bien traduit, eux, les « économie antérieures » par « earlier économies ». Par contre ils se plantent également en disant « with the past » qui veut dire « avec le passé » alors qu’ils auraient du dire « with the past ones » qui veut dire « avec celles passées » (sous-entendu les économies).

Et voilà ! Encore un broc d’eau dans la tronche ! Voilà trente-cinq ans que vous lisez Marx en étant persuadé d’avoir tout compris, mais vous n’aviez jamais imaginé que les traductions en français comportaient des fautes graves qui changent du tout au tout le sens de ce que Marx dit. Traductions faites par d’éminents agrégés de l’Université qui plus est [ce n’est pas de leur faute : ils sont agrégés… de mathématiques]. Quel âne vous faites ! Évidemment ça ne vous empêchera pas de trouver à y redire et de penser que vous avez tout compris et que vous êtes le seul à avoir tout compris. Bien à vous. Saluez Bartléby de ma part si vous le rencontrez dans les couloirs de l’Université à Strasbourg.

(…)

Toto :

Re: Foucault, Veyne–Fragments  

« Reply #64 on : 06. November 2006 at 17:37 »

 

« So kam die bürgerliche Ökonomie erst zum Verständnis der feudalen, antiken, orientalen, sobald die Selbstkritik der bürgerlichen Gesellschaft begonnen. Soweit die bürgerliche Ökonomie nicht mythologisierend sich rein identifiziert mit den vergangnen, glich ihre Kritik der frühern, namentlich der feudalen, mit der sie noch direkt zu kämpfen hatte, der Kritik, die das Christentum am Heidentum, oder auch der Protestantismus am Katholizismus ausübte. »

« De même l’économie politique bourgeoise ne parvint à comprendre les [sociétés] féodales, antiques, orientales que du jour où eut commencé l’autocritique de la société bourgeoise. Pour autant que l’économie politique bourgeoise, créant une nouvelle mythologie, ne s’est pas purement et simplement identifiée au [******] passé, sa critique des [sociétés] antérieures, en particulier de la [société] féodale, contre laquelle elle avait encore à lutter directement, a ressemblé à la critique du paganisme par le christianisme, ou encore à celle du catholicisme par le protestantisme. » (Traduction stalinienne de Husson et Badia, Éditions sociales, 1957)

M. Nemo croit que tout est simple, surtout pour un esprit de sa trempe. S’il suffisait de répertorier toutes les occurrences du mot Ökonomie dans les deux phrases ci-dessus, on en aurait que deux et on passerait à côté de la féodale, de l’antique, de l’orientale, des passées et des antérieures. Ce qui fait quand même pas mal pour deux phrases de dix lignes. Je signalerai encore à ce fainéant ignare qui se croit très au-dessus du commun des mortels qu’il y a maintenant un petit problème supplémentaire et qui commence sérieusement à me titiller. Outre le fait que tous les traducteurs français, dans ces deux phrases, remplacent « économies féodale, antique, orientale, passées et antérieures » par « sociétés féodale, antique, orientale, passées et antérieures », on peut légitimement se demander pourquoi les staliniens Husson et Badia se permettent de traduire [de même que le traducteur anglais] « bürgerliche Ökonomie » par « économie politique bourgeoise ». « bürgerliche Ökonomie » veut dire « économie bourgeoise », point à la ligne. Et « économie politique » se dit « politische Ökonomie », point à la ligne. Et c’est bien comme ça que Marx l’emploie, dans le titre (Zur Kritik der politischen Ökonomie) et dans le texte. Pourquoi faire dire à Marx « économie politique » quand il dit « économie » tout court. M. Rubel, dans cette Introduction à la critique de l’économie politique traduit systématiquement « bürgerliche Ökonomie » par « économie bourgeoise », sauf une fois où le contexte est criant. C’est ce qu’il y a de plus juste, de plus près du texte et de moins interprété. La fifille Laura, dans sa traduction de 1909, fait de même pour les deux phrases en question mais se permet parfois de rajouter des « politique » que son auguste papa n’y avait pas mis. (Deuxième traduction française du texte, inédit, publié pour la première fois par Kautsky en 1903 dans sa revue Neue Zeit.) Dangeville, pareillement, parsème son texte d’« économie politique » là où il estime que c’est opportun, et là où Marx ne met pas de « politische Ökonomie ». Dans les deux phrases en question il met « économie politique bourgeoise » pour la première et « économie bourgeoise » tout court pour la deuxième. Bizarre, non ? Et en plus il vient d’emmener son secret dans la tombe. Scheissdreck ! Le « regretté Molitor », lui, n’a pas eu le temps de terminer la traduction de cette Introduction avant de casser sa pipe. C’est donc Mme Serelman-Küchler qui a bien voulu le faire à sa place pour les Œuvres complètes de Marx (1954, Paris, Alfred Costes, éditeur). Cette traduction est tellement catastrophique qu’il est préférable de ne pas en parler. Vergiss es, comme dirait l’autre.

Voici maintenant la traduction correcte :

De même l’économie bourgeoise [It’s economy, stupid ! ] ne parvint à la compréhension des économies ] féodale, antique et orientale que du jour où eut commencé l’autocritique de la société bourgeoise [Marx écrit : « société bourgeoise » et non pas « économie bourgeoise ». Quand Marx veut dire « société », il dit société, merde à la fin !]. Pour autant que l’économie bourgeoise [It’s economy, stupid ! ], créant une nouvelle mythologie, ne s’est pas purement et simplement identifiée aux [ économies ] passées , sa critique des [ économies ] antérieures, en particulier de la [ économie ] féodale, contre laquelle elle avait encore à lutter directement, a ressemblé à la critique du paganisme par le christianisme, ou encore à celle du catholicisme par le protestantisme.

 Dans ce cas, les Boches ne répètent pas le mot.

♦ Notez bien qu’avec la traduction « économie politique bourgeoise » la phrase n’a tout simplement pas de sens puisque pour justifier les trois adjectifs au génitif singulier  “der feudalen, antiken, orientalen ainsi que l’adjectif au datif pluriel « mit den vergangnen » , il faudrait traduire par « des économies politiques féodale, antique, orientale » et « les économies politiques passées », ce qui est une absurdité, puisque l’économie politique n’existait pas avant que les bourgeois ne l’inventassent. Xénophon écrivit une « Économique » et non pas une économie politique. Une chose est certaine, il n’est absolument pas question de société là-dedans puisque à la fin de la première phrase, Marx précise : « der bürgerlichen Gesellschaft ». Quand Marx veut dire « société », il écrit société, merde à la fin ! D’ailleurs cette acception est parfaitement en accord avec ce qui suit où l’on voit le christianisme critiquer le paganisme et le protestantisme critiquer le catholicisme. Marx procède ici par grandes masses et ne se réfère pas aux doctrines. Il s’agit d’esprit du protestantisme, du christianisme et de l’économie bourgeoise et non pas de doctrines protestantes, chrétiennes ou bourgeoises.

Notez que la phrase ainsi traduite : « Pour autant que l’économie politique bourgeoise … ne s’est pas purement et simplement identifiée au passé… » est parfaitement absurde. Comment l’économie politique, qui est une doctrine, peut-elle s’identifier au passé ? Une doctrine peut s’identifier avec une autre doctrine, avec une doctrine du passé, mais comment peut-elle s’identifier au pied gauche de Socrate ? Pure stupidité.

Admettons la traduction française : « l’économie politique bourgeoise… avait encore à lutter contre la société féodale (le système féodal, traduit l’Anglais)… » Cela n’a pas de sens. C’est la bourgeoisie, c’est l’économie bourgoise au sens où l’entend Marx, qui doivent lutter, sinon contre le féodalisme qui a déjà disparu, mais contre l’Ancien régime. Que peut faire, je vous le demande, l’économie politique, bourgeoise ou non, contre une société, contre un système social ? L’économie politique est née au service du Prince entouré de ministres bourgeois. Les rois furent les premiers à lutter contre la féodalité, on sait comment.

Notez encore que Marx agit en marxiste : pour lui, il est évident que c’est l’économie bourgeoise (l’infrastructure, non de dieu, qui décide en dernière instance. La preuve de ce que je dis se trouve sur le fac-similé ci-dessous) qui crée une nouvelle mythologie et qui ne s’identifie pas aux économies passées et les critique (en acte pour commencer) et est seule capable de le faire ; de même que selon Marx c’est l’économie grecque et elle seule qui produisit, qui nécessita, la mythologie grecque. La faiblesse des forgerons grecs est la cause d’Héphaïstos et Krupp en est la vérité.

Enfin, la locution « l’économie politique bourgeoise » était un pléonasme du temps de Marx, tandis qu’un marxiste aujourd’hui considère, à tort ou à raison peu importe, qu’il existe une économie politique marxiste, celle qui fut appliquée en Russie par exemple. Mais il n’en demeure pas moins que c’est un anachronisme que de mettre cela sous la plume de Marx. Marx n’a pas pu écrire une chose pareille et d’ailleurs, il ne l’a pas écrite. Cet anachronisme est la preuve la plus sure de ce que j’avance : à cette époque, Marx ne peut écrire que soit « économie politique » soit « économie bourgeoise » mais absolument pas une contraction des deux. Bien mieux, il ne peut pas le penser.

Il s’agit donc d’une toute petite erreur. Une seule lettre manque et tout est dépeuplé. Voici comment la chose fut découverte. J’avais été étonné lors d’une recherche électronique, par le faible nombre d’occurrences du terme « économie » (It’s the economy, stupid !) dans l’œuvre de Marx. J’en fis part à von Nichts qui découvrit le pot à merde.

                  

La lettre volée

L’échange n’est pas une mesure, un ratio, un quotient, un nombre ; l’échange n’est pas une égalité ; l’échange n’est pas une équation ; l’échange est… un échange : deux choses changent de main. La chose a passe de la main A à la main B ; la chose b passe de la main B à la main A.

Les choses échangées sont mesurées et elles seules.

Le boudin est mesuré en mètres ou en kilogrammes.

L’argent est mesuré en grammes ou en onces.

Mais l’argent ne mesure pas le boudin et le boudin ne mesure pas l’argent. Il n’y a pas de co-mesure. Le nombre « prix » n’est pas une grandeur pour le boudin (Lebesgue). Il n’y a donc pas d’incommensurabilité des objets échangeables. C’est un non sens (encore un) de dire que les objets échangés sont hétérogènes et de ce fait ne peuvent pas être comparés. Pire qu’un non sens, c’est un contresens de dire que l’argent fut inventé pour permettre de comparer les objets à échanger. L’argent fut inventé pour comparer des prix et non des objets. L’argent fut inventé pour pouvoir comparer des quantités d’argent entre elles et seulement entre elles. Merde à la fin.

L’acheteur d’une voiture automobile ne va pas comparer une BMW avec du boudin ou de l’argent mais avec une Mercedes ou une Saab Aéro ou une Alfa Roméo, voire avec un attelage à cheval. Ensuite, il peut comparer des prix, le prix d’une même BMW dans différents pays ou chez différents fournisseurs ; ou le prix d’une BMW et le prix d’une Mercedes. Les prix sont faits pour être comparés — ou additionnés ce qui permet de calculer un prix de revient. Avez-vous jamais entendu parler de « valeur de revient » ? Non jamais. Alors regardez l’usage —. Les objets sont parfaitement comparables s’ils sont de même classe. Où est le problème d’une prétendue incommensurabilité (je lis Jacques Sapir, Les Trous noirs de l’économie ) ? Les objets sont parfaitement mesurables (les grandeurs qui y sont attachées pour parler en toute correction) ou parfaitement dénombrables (on n’achète pas une BMW au poids, mais on peut choisir telle autre voiture parce qu’elle est plus légère pour une même puissance). D’un côté, les objets sont parfaitement comparables sous certaines conditions (même classe) ; d’un autre côté les prix sont parfaitement comparables. Ils ont été inventés pour ça. Par qui ? personne ne le sait.

♦ Exemple : « l’égalité postulée depuis von Mises entre la monnaie (forme la plus pure d’une expression de la totale commensurabilité entre produits)… » (page 130) La commensurabilité ne peut être totale entre les produits puisqu’il n’y a pas du tout de commensurabilité entre les produits. La commensurabilité a lieu seulement entre les prix et seulement entre les prix, Le nombre « prix » n’est pas une grandeur pour le boudin, quant aux produits, ils ne sont pas commensurables ou incommensurables mais seulement… échangeables. C’est la commensurabilité des prix qui fait que les produits deviennent échangeables. Merde à la fin !

De manière plus générale, il ne peut y avoir incommensurabilité entre des objets réels, quels qu’ils soient, mais seulement entre des grandeurs et qui plus est entre des grandeurs homogènes nous dit Euclide. C’est connu depuis plus de deux mille ans mais… cause à mon cul ma tête est malade.

Les mesures du boudin et de l’argent sont des nombres, des nombres purs. D’où le terme « numéraire » pour désigner l’argent. Les unités ne sont pas nécessaires aux mesures. Elles ne sont là que pour éviter la nécessité d’une infinité de mesures. (Lebesgue)

On peut dire 3 mètres de boudin et 37 milligramme d’argent. Mais on peut dire aussi bien (à l’espagole) : 3 de boudin ; 37 d’argent.

Ainsi, la valeur est la déclaration suivante : « 3 de boudin peuvent s’échanger avec 37 d’argent ». C’est une déclaration publique.  La valeur est la déclaration publique — oui, j’avais vu juste dans mon Reich, mode d’emploi (1971) : la valeur est une déclaration publique, la valeur est publicité —, le prix est le nombre 37. Ce nombre est le prix de 3 de boudin du fait que ce prix figure dans la déclaration publique : 3 de boudin peuvent s’échanger avec 37 d’argent ; Mais Le nombre « prix » n’est pas une grandeur pour le boudin. La valeur et le prix sont deux représentations au sens de Bolzano : la valeur est une proposition, le prix est seulement un composant de la proposition.

Voilà, c’est tout. Plus simple, tu meurs.

Comme disait l’autre, much ado about nothing, depuis deux mille ans. Voici donc une lettre volée il y a deux mille ans et qui vient d’être retrouvée seulement maintenant alors que des multitudes l’avaient devant le nez depuis ce temps.

Absurdité de l’expression : « l’argent est l’équivalent général »

J’ai déjà souligné cette absurdité puisque seules deux marchandises peuvent être équivalentes, c’est à dire avoir même valeur, c’est à dire même étiquette et donc le même prix. Deux quantités d’argent de même mesure, de même nombre, sont de poids égaux. Elles sont équi-pesantes.

Mais il y a mieux :

D’après ce qui précède, la valeur est une expression à deux places « …peut s’échanger avec… »

« Valoir » signifie : « peut s’échanger avec ». Littré nous dit : « Valoir, c’est avoir un prix ».

Sauf exception, l’échange marchand est caractérisé par le fait que l’objet qui vaut, vaut toujours de l’argent, c’est à dire déclare toujours pouvoir s’échanger avec une certaine quantité d’argent et jamais avec un quantité de poireaux, par exemple. L’argent n’a jamais d’étiquette sauf dans les vitrines de la place Vendôme. Le seul nombre qui lui est associé est une mesure, la mesure de son propre poids.

La relation n’est donc pas symétrique. L’argent peut s’échanger avec n’importe quel objet. Il est donc en puissance n’importe quel objet. Cette puissance s’actualise dans l’effectuation de l’échange. Fourquet nous dit qu’au Xe siècle, richesse signifiait puissance [1121-34 richeise « puissance » (Philippe de Thaon, Bestiaire) ; 1155 richesce « id. » (Wace, Roman de Brut)]. En ce sens, l’argent est bien richesse, au sens strict de puissance par opposition à actualité.

Maintenant, l’absurdité de l’expression « L’argent est l’équivalent général » est éclatante : puisque valoir signifie « peut s’échanger avec », l’argent qui peut s’échanger avec n’importe quel objet est le polyvalent commun — commun parce qu’unique, le même pour tous.

Remarque : dans le change, la relation valeur est symétrique. On a « x dollars valent y francs » aussi bien que « y francs valent x dollars ».

Conclusion : Les gens qui ne comprennent pas la grammaire du mot « valeur » confondent l’étiquette et le prix. Qui dit étiquette dit publication, publicité, connaissance ; non seulement connaissance, mais connaissance publique, c’est à dire communication. Quand le doigt montre la Lune, l’idiot regarde le doigt. Ici, l’idiot regarde le prix et ne voit pas l’étiquette. L’important est l’institution. L’institution est l’étiquette et non pas le prix. A ceux qui l’auraient oublié ou qui l’ignoreraient, je rappelle que Marx à Londres, arrêté devant une vitrine brillamment éclairée, nous fait part de sa perplexité devant ces choses qui ont une étiquette « sur le front ».

                    

Heureuse surprise

Je poursuis la lecture de l’article « Une société mondiale » de Fourquet et je trouve ceci, page 235 du document PDF :

La mondialisation n’est pas seulement extensive (extension du marché mondial, intégration du Sud, de l’Inde, de l’ex-URSS et de la Chine), mais aussi intensive : la pénétration en profondeur de quelque chose qui existait déjà à l’état subtil. Peut-être y a-t-il du nouveau dans l’informatisation de la société, la fin du travail productif (smithien et marxien), la perte du poids de l’industrie, l’invasion de l’informationnel et de l’intangible dans les processus de production et de circulation. La notion même de production, cœur de l’économie politique classique, est en crise, comme le montre Michel Henochsberg en analysant la prévalence de la circulation sur la production (cf. ici même la rubrique Lectures).

S’agit-il d’un bouleversement absolu ? La « société de l’information » est-elle en train de remplacer la « société de production » ou la « société industrielle » jadis théorisée par Raymond Aron ? Je n’en suis pas sûr ; je pressens qu’il ne s’agit pas d’une mutation brutale mais de la manifestation au grand jour de la nature informationnelle des processus productifs jusqu’alors dissimulée par l’image matérielle, physiocratique et même alimentaire de la production [cf. 1989, p. 197, 209 et 271]. Au fond, la société humaine a toujours été une société d’information. Peut-être le temps consacré par les hommes à la collecte et à la circulation de l’information a-t-il augmenté par rapport à celui dépensé pour la fabrication matérielle des objets; la production informationnelle prendrait le relais de la production matérielle, mais ça reste à confirmer : de la fabrication, il en faudra toujours, même miniaturisée, même ultrasophistiquée. Les coupures radicales ne sont souvent qu’une illusion d’optique : lorsque nous cherchons l’instant précis de la coupure, elle nous échappe; on s’aperçoit qu’elle s’étend sur des dizaines d’années, que chaque coupure repérable est conditionnée de manière plus ou moins visible par d’autres, bien antérieures. Ainsi la révolution industrielle s’étire sur un ou deux siècles et dépend de mutations intervenues trois siècles auparavant. Vue de loin, la révolution industrielle n’est que l’accélération d’un gigantesque processus pluridimensionnel, multiséculaire et planétaire.

Fourquet cite son livre de 1989, p.187 et 271. Or je me suis arrêté page 131 pour lire « La mesure des grandeurs » de Lebesge, et, depuis, je n’ai pas repris le chapitre 8 de [1989]. Je vais voir ça, mais en attendant je note ceci : « …je pressens qu’il ne s’agit pas d’une mutation brutale mais de la manifestation au grand jour de la nature informationnelle des processus productifs jusqu’alors dissimulée par l’image matérielle, physiocratique et même alimentaire de la production [ cf. 1989, p. 197, 209 et 271]. Au fond, la société humaine a toujours été une société d’information. » En fait je ne dis rien d’autre, depuis un certain temps. L’information est un moment de la communication, l’inverse n’étant pas vrai. Marx dans Grundrisse dit que la production est hantée par la consommation et que la consommation est hantée par la production. Il dit également ceci dans ses Manuscrits de 1844 : « Quand je produis plus que je ne puis moi-même utiliser directement de l’objet produit, ma surproduction est calculée en fonction de ton besoin [ma production est hantée par ton besoin], elle est raffinée [elle résulte de la connaissance totale]. Je ne produis qu’en apparence [car c’est autre chose qui m’anime, mon but ultime n’est pas de fabriquer une chaussure] un surplus de cet objet. Je produis en vérité un autre objet [cet objet est mon vrai but], l’objet de ta production, que je pense échanger [je pense, donc je suis, n’est-ce pas ? Cachez cette pensée que je ne saurais voir. À part ça, la pensée n’agit pas dans le monde] contre ce surplus, échange que j’ai déjà accompli en pensée. [voilà, c’est la valeur. La valeur est un échange accompli en pensée. Marx était sur la bonne voie, à cette époque] » (MEGA I, t. III, p. 544, traduit spécialement pour moi par J.-J. Raspaud) ». Notez bien : « …manifestation au grand jour de la nature informationnelle des processus productifs jusqu’alors dissimulée par l’image matérielle, physiocratique et même alimentaire de la production. » Voilà, le ciel s’éclaire : la nature informationnelle était dissimulée par les nuées matérialistes et alimentaires. Bravo ! Le matérialisme est une idéologie au sens de Marx et l’image matérielle et alimentaire est une illusion qui a lieu dans cette idéologie et seulement là. Où à lieu cette idéologie ? Dans un monde de TDC, autrement dit de tristes sacs comme disait Dante. Image matérielle alimentaire de la production ! Je n’ai jamais rien reproché d’autre à Marx, vous pouvez le constater aisément puisque tous mes textes sont en ligne. Le simple fait qu’une chaussure produite parvienne au pied inconnu pour lequel elle est censée être produite, est un fait de communication. Aucun militaire ne me contredira. Les militaires sont jaloux de leurs lignes de communication. Ils savent ce que veut dire : « Il ne nous manque pas un bouton de braguette. » Ils connaissent le prix de la communication et que ce n’est pas seulement une question d’information. Les Amerloques l’apprennent à leurs dépens en Irak et en Afghanistan.

Notez également cette subtilité qui n’échappe pas à Fourquet : « La notion même de production, cœur de l’économie politique classique, est en crise… » Ce n’est pas la production (qui n’existe pas, sinon comme classe des faits de production), mais la notion de production qui est en crise. Et où est-elle en crise ? Au cœur de l’économie politique, au cœur d’une doctrine, donc, et non directement dans le monde puisque « la » production n’est aucune partie du monde. Elle ne saurait donc être en crise. La communication, elle, est en crise. Et la notion de production est en crise dans l’idéologie alimentaire de ce monde de TDC agro-alimentés. Cela fait plaisir de voir des gens qui ne racontent pas n’importe quoi.

 

David Hume : « De l’Identité personnelle »   

 

La lucidité de la masse et l’aveuglement de l’élite
Emmanuel Todd

CHAPITRE 9

 

Après la démocratie

 

Au terme de cet examen des transformations de la société française, nous pouvons évaluer l’ampleur du problème que doivent affronter les dirigeants politiques.

Dans le domaine le plus conscient de la vie sociale, la question économique apparaît sans issue. Tandis que les élites de la pensée et de l’administration considèrent le libre-échange comme une nécessité, ou même une fatalité, la population le perçoit comme une machine à broyer les emplois, à comprimer les salaires, entraînant l’ensemble de la société dans un processus de régression et de contraction. Le véritable drame, pour la démocratie, ne réside pas tant dans l’opposition de l’élite et de la masse, que dans la lucidité de la masse et l’aveuglement de l’élite. Les salaires baissent effectivement, et vont continuer de le faire, sous les pressions conjuguées de la Chine, de l’Inde et des autres pays où le coût de la main-d’œuvre est très bas.

Une démocratie saine ne peut se passer d’élites. On peut même dire que ce qui sépare la démocratie du populisme, c’est l’acceptation par le peuple de la nécessité d’une élite en laquelle il a confiance. Dans l’histoire des démocraties survient toujours, à un moment décisif, la prise en charge par une partie de l’aristocratie des aspirations de l’ensemble de la population : une sorte de saut de la foi qu’accomplissent conjointement privilégiés et dominés. C’est ce qu’illustrent des personnages comme Périclès à Athènes [Clisthène, plutôt], ou Washington et Jefferson aux États-Unis. En France, il faut évoquer la participation de bien des aristocrates à l’épanouissement des Lumières et à l’abolition des privilèges durant la nuit du 4 août, plutôt que l’acceptation par Tocqueville d’une démocratie déjà irrésistible. La grande bourgeoisie laïque, grâce à laquelle s’établit la IIIe République, fut une classe admirable, dont les bibliothèques, quand elles ont survécu, témoignent du très haut niveau de culture.

La révolte des élites (pour reprendre l’expression de Christopher Lasch) marque la fin de cette collaboration. Une rupture coupe les classes supérieures du reste de la société, provoquant l’apparition simultanée d’une dérive oligarchique et du populisme.

Il serait vain d’accuser tel ou tel individu : des forces historiques aussi lourdes qu’impersonnelles sont à l’œuvre. Récapitulons. Alors que dans un premier temps l’alphabétisation de masse, par la généralisation de l’instruction primaire, avait homogénéisé la société, la poussée culturelle de l’après-guerre puis son blocage vers 1995 ont séparé les éduqués supérieurs du gros de la population, créant une structure stratifiée au sein de laquelle les couches superposées ne communiquent plus. L’implosion des idéologies religieuses et politiques qui a accompagné ce processus a achevé de fragmenter la société : chaque métier, chaque ville, chaque individu tend à devenir une bulle isolée, confinée dans ses problèmes, ses plaisirs et ses souffrances. L’establishment politico-médiatique n’est qu’un groupe autiste parmi d’autres, ni meilleur ni pire, simplement plus visible. Il est insupportable parce que, semblable à la noblesse de 1789, il ne justifie plus ses privilèges par un service rendu à la nation.

Évidemment, l’alphabétisation de masse subsiste, et il apparaît difficile de renoncer au suffrage universel qui en découle historiquement. Mais nous devons bien comprendre que la stratification éducative du pays ne définit plus une structure simple et stable. Elle implique une tension permanente entre une dimension égalitaire, l’alphabétisation universelle, et une dimension inégalitaire, l’existence d’un groupe d’éduqués supérieurs, qui finira par englober, si la proportion par génération reste stable, le tiers de la population. Jusqu’à très récemment, ce groupe supérieur ne comprenait que 10 à 15 % de la population, et ajoutait des privilèges économiques à son privilège culturel. L’instabilité du système s’accroît parce que les éléments jeunes de ce groupe « éduqué supérieur » vont cesser de profiter du système économique. Les bénéfices de la globalisation ne reviennent plus maintenant qu’au 1 % supérieur de la population, les 10 % suivants pouvant encore être considérés comme neutres, ni favorisés ni défavorisés. Ces chiffres n’incluent pas les retraités, dont le poids électoral est considérable, et qui représentent la survivance, dans le système de classe nouveau, du système ancien, non polarisé. N’oublions pas non plus de rappeler la radicalisation de la classe supérieure des 1 %, isolée par ses privilèges, de plus en plus insensible à l’existence du reste de la société, insa­tisfaite de ne pas trouver dans la richesse une solution à ses problèmes métaphysiques, désormais tournée vers une recherche du pouvoir pur. La fragmentation du groupe des éduqués supérieurs » se manifeste donc, simultanément, par un flottement des classes moyennes et par la radicalisation d’un groupe social supérieur qu’il va bientôt falloir appeler « classe capitaliste » ou « bourgeoisie financière ».

Plus profondément encore dans la structure sociale, le système anthropologique a évolué, mais très lentement. Il avait assuré, entre 1789 et 1968, une prédominance de valeurs idéologiques égalitaires — inconscientes et instinctives — dans l’Hexagone. La résistance de valeurs inégalitaires minoritaires à la périphérie du système national avait plutôt contribué à une radicalisation, à une formalisation consciente des valeurs égalitaires du centre. Nous ne savons pas si l’évolution des structures familiales a laissé intact ce système à dominante égalitaire, ou s’il a été ébranlé, et à quel point. Je pense personnellement qu’il est intact mais ne dispose pas des éléments statistiques nécessaires pour le prouver de manière irréfutable : des taux de mariages mixtes récents.

Nous devons aussi constater, et intégrer à l’analyse, sans prétendre l’expliquer, le repli narcissique des individus sur eux-mêmes, dans tous les groupes, atomisation qui rend difficile l’émergence de nouvelles croyances collectives, ces instruments indispensables à l’action des hommes politiques.

Autre facteur d’incertitude, l’augmentation de la proportion de personnes âgées dans la population. Jusqu’à très récemment, leur situation matérielle s’améliorait mais cette évolution est en train de s’inverser. La vieillesse, statistiquement, mène à la modération et à la droitisation. Mais comment des générations « narcissisées », vieillissantes, de plus en plus nombreuses, et dont le niveau de vie va baisser, évolueront-elles politiquement ?

Ajoutons que cette société atomisée, très riche encore mais en voie d’appauvrissement, n’est plus à l’échelle des processus économiques. La globalisation a fait de l’Europe l’espace d’interaction économique fondamental, et il apparaît techniquement impossible que la France puisse surmonter seule ses difficultés économiques. L’Hexagone fragmenté en villages est lui-même devenu d’une certaine manière un vaste village.

C’est dans ce cadre que les politiques doivent agir, et il paraît difficile de les tenir pour pleinement responsables de leur incapacité. Nous pouvons pardonner à François Hollande son inaction en matière de programme socialiste. Sans aller aussi loin, nous devons plaindre Nicolas Sarkozy d’avoir atteint le pouvoir au moment même où les Français prenaient conscience de la baisse de leur niveau de vie. En revanche, la mise en accusation des économistes, qui fuient leur responsabilité sociale et contribuent à la paralysie des politiques, apparaît plus que légitime, nécessaire.

Conclusion : il faut empaler les économistes et vite : pour Hayek et Friedman, il est déjà trop tard.

Emmanuel Todd, vers la suppression du suffrage universel :

La suppression des élections poserait évidemment autant de problèmes qu’elle en résoudrait car il faudrait ensuite trouver des moyens de nommer, à tous les échelons, des responsables. Ainsi que l’a remarqué Max Weber, sans enthousiasme, les procédures électorales ont le mérite d’empêcher la fossilisation bureaucratique des systèmes politiques. Mais n’oublions pas que la démocratie ne repré­sente après tout qu’une infime période de l’histoire humaine et que bien des régimes politiques se sont passés d’élections. La cooptation existe. Afin de réduire au mini­mum le risque évoqué par Weber, on pourrait conserver aux Français le droit de voter aux élections locales. Dans l’hy­pothèse d’un coup d’État, nous pouvons faire confiance aux militants socialistes pour se présenter en défenseurs achar­nés de cette démocratie locale au sein de laquelle ils tiennent tant de place.

Je ne plaisante pas. La menace d’une suppression du suffrage universel me paraît beaucoup plus sérieuse que celle d’une république ethnique. Le fonctionnement anar­chique de valeurs égalitaires mène le plus souvent, dans un contexte de régression économique, à des solutions de dictature. La tradition française, dans la longue durée de l’Histoire, ce n’est pas seulement l’individualisme et la République, c’est aussi l’absolutisme louis-quatorzien et la dictature des deux Bonaparte.

D’ailleurs un système à deux niveaux combinant autorité supérieure sans contrôle et suffrage local existe déjà : l’Eu­rope. Tandis qu’à l’échelon inférieur de la nation le suffrage universel subsiste, à l’échelon supérieur des institutions communautaires la cooptation règne. En lui-même, cepen­dant, le cadre européen est neutre. Il a servi jusqu’à présent à expérimenter une gouvernance [euphémisme pour dictature] non démocratique. Il pourrait être utilisé pour sauver la démocratie. (Todd, Après la démocratie, page 246)

Voilà donc ce qu’est cette Europe. Il y avait, il y a toujours les choux de Bruxelles. Il y a désormais les trous du cul de Bruxelles.

 

Je suis incorrigible

J’aurais dû consulter le dictionnaire plus tôt. Déjà, pour le terme « économie » j’ai attendu vingt ans pour consulter le dictionnaire ; pour le terme « perception », j’aurai attendu cinquante ans. Quand on est jeune, on croit tout savoir ; sans les haïr, l’on fait fi des dictionnaires. Quant aux petits cons gauchistes, c’est sans commune mesure, ils ont la haine des dictionnaires.

PERCEPTION

(pèr-sè-psion ; en vers, de quatre syllabes) s. f.

 

1° Action de recueillir des deniers, des impôts, etc.

2° Charge de percepteur. Il a fait avoir une perception à son fils.

3° Terme de philosophie. Acte par lequel l’esprit aperçoit l’objet qui fait impression sur les sens. Toute sensation, tout phénomène de sensibilité spéciale ou générale se compose de trois actes différents : l’impression, la transmission, la perception.

Nos jugements ont plus d’étendue que nos perceptions, MALEBR. Rech. vér. III, II, 9. Nos sensations sont purement passives, au lieu que toutes nos perceptions ou idées naissent d’un principe actif qui juge, J. J. ROUSS. Ém. II, Il. [Epicure] a su démêler deux choses dans nos sensations : la perception qui est toujours vraie, parce qu’elle n’assure que ce que nous sentons ; le jugement qui peut être faux, lorsque, d’après nos perceptions, nous jugeons de ce que les choses sont en elles-mêmes, CONDILLAC, Hist. anc. III, 25. Le sentiment d’une perception n’est que l’être pensant existant d’une certaine manière, BONNET, Ess. psych. ch. 35. Les perceptions de nos cinq sens ne sont que des modifications intérieures de notre être, qui ne nous donnent aucune connaissance de ce qui les cause, DESTUTT-TRACY, Instit. Mém. scienc. mor. et polit. t. I, p. 315.

Résultat de cet acte.

Sa mollesse et son indolence laissaient comme endormie au fond de sa pensée une foule de perceptions délicates, fines et justes.... MARMONTEL, Mém. IX.

La faculté de percevoir.

Doué d’une facilité de perception et d’intelligence qui démêlait dans un instant le noeud le plus compliqué d’une affaire, MARMONTEL, Mém. XI.

PERCEPTION, RECOUVREMENT. Dans l’administration de l’enregistrement, comme dans plusieurs autres régies, on fait une distinction entre la perception et le recouvrement. La perception s’entend d’un produit inconnu jusqu’au moment où s’effectue la perception, c’est-à-dire où a lieu, de la part de l’agent, l’action de percevoir. La recette, au contraire, qui s’effectue sur un produit précédemment reconnu et liquidé, est appelée recouvrement, PASQUEL, Organ. et service de l’administration financière de la France, in-8°, Paris, 1866.

XIIe s. La perception del saint espir [l’action de recevoir le Saint-Esprit], Job, p. 477.

XIVe s. La perception des fruiz et le labeur ne sont pas equals, ORESME, Thèse de MEUNIER.

Lat. perceptionem, de perceptum, supin de percipere, percevoir (voy. PERCEVOIR).

Caca, pipi, tuyau. Quelle élévation d’esprit. Toute la sottise philosophique (cette maladie, selon le Dr Wittgenstein) est instantanéifiée par le photographe Littré-Nadar : « Toute sensation, tout phénomène de sensibilité spéciale ou générale se compose de trois actes différents : l’impression, la transmission, la perception » Pur lockisme. Il s’agit de toute évidence d’un problème de plomberie : nous avons un tuyau, d’un côté entre du caca, de l’autre sort du pipi. Mme Parisot est concernée, évidemment. Mais il se trouve que, non content d’être ajusteur mécanicien, j’ai gagné ma vie, pendant un certain temps, comme plombier. Donc on ne peut pas me la faire sur les questions de plomberie : d’un côté il y a du caca, de l’autre du pipi. Le caca est « du monde », le tuyau est « du monde », le pipi est « du monde ». Le miracle de la transsubstantiation n’a pas eu lieu. Le caca et le pipi sont « du monde », on n’a pas avancé d’un poil. Autrement dit : s’il y a chose du monde d’un côté, il ne peut pas y avoir « chose » qui n’est pas du monde de l’autre côté. Plus simple, tu meurs. Il y a parallélisme.

« l’esprit aperçoit l’objet qui fait impression sur les sens » Or, l’esprit est la perception même. Donc en photographe fidèle et d’une totale innocence (il n’est pas philosophe) Littré écrit en fait : « la perception aperçoit l’objet qui fait impression sur les sens. » Intéressant : la perception perçoit. Ce n’est qu’un début. La suite va suivre, ce qui est la moindre des choses pour une suite. La suite suit. Meuh !

 

Pourquoi l’Amérique n’est pas un empire

Emmanuel Todd

L’une des forces essentielles des empires, principe à la fois de dynamisme et de stabilité, est l’universalisme, la capacité à traiter de façon égalitaire hommes et peuples. Une telle attitude permet l’extension continue du système de pouvoir, par l’intégration au noyau central des peuples et des individus conquis. La base ethnique initiale est dépassée. La taille du groupe humain qui s’identifie au système s’élargit sans cesse, parce que celui-ci autorise les dominés à se redéfinir comme dominants. Dans l’esprit des peuples soumis, la violence initiale du vainqueur se transforme en générosité.

Le succès de Rome, l’échec d’Athènes, on l’a vu tinrent moins à des aptitudes militaires différentes qu’à l’ouverture progressive du droit de cité romaine et à la fermeture de plus en plus marquée du droit de cité athénienne. Le peuple athénien resta un groupe ethnique, défini par le sang : à partir de 451 av. J.-C. il fallut même avoir deux parents citoyens pour y appartenir. Le peuple romain, qui n’avait rien à lui envier originellement quant à la conscience ethnique, s’élargit en revanche sans cesse pour inclure, successivement, toute la population du Latium, celle de l’Italie, enfin celle de tout le bassin méditerranéen. En 212 apr. J.-C., l’édit de Caracalla accorda à tous les habitants libres de l’empire le droit de cité. Les provinces finirent par donner à Rome la majorité de ses empereurs.

D’autres exemples pourraient être cités, de systèmes universalistes capables de démultiplier leur potentiel militaire par un traitement égalitaire des peuples et des hommes : la Chine, qui rassemble encore aujourd’hui la plus grande masse d’hommes jamais réunie sous un seul pouvoir étatique; le premier empire arabe, dont la croissance fulgurante s’explique autant par l’égalitarisme extrême de l’islam que par la force militaire des conquérants ou la décomposition des États romain et parthe [auparavant, Todd a souligné combien la force militaire des USA était loin d’égaler, mutatis mutandis, celle de Rome. Et en plus ils font tout ce qu’il faut pour se faire détester]. Dans la période moderne, l’empire soviétique, emporté par sa fragilité économique, s’appuyait sur une capacité de traitement égalitaire des peuples, qui semble bien à l’origine caractéristique du peuple russe plutôt que de la superstructure idéologique communiste. La France, qui fut, avant son déclin démographique relatif, un véritable empire à l’échelle de l’Europe, fonctionnait avec un code universaliste. Parmi les échecs impériaux récents, on peut mentionner celui du nazisme, dont l’ethnocentrisme radical interdisait qu’à la force initiale de l’Allemagne s’agrégeât la puissance supplémentaire des groupes conquis.

L’examen comparatif suggère que l’aptitude d’un peuple conquérant à traiter de façon égalitaire les groupes vaincus ne résulte pas de facteurs extérieurs mais se trouve logée dans une sorte de code anthropologique initial. C’est un a priori culturel. Les peuples dont la structure familiale est égalitaire, définissant les frères comme équivalents — les cas de Rome, de la Chine, du monde arabe, de la Russie et de la France du Bassin parisien —, tendant à percevoir les hommes et les peuples en général comme égaux. La prédisposition à l’intégration résulte de cet a priori égalitaire. Les peuples dont la structure familiale originelle ne comprend pas une définition strictement égalitaire des frères — cas d’Athènes et encore plus nettement de l’Allemagne — ne parviennent pas à développer une perception égalitaire des hommes et des peuples. Le contact militaire tend plutôt à renforcer nue conscience de soi « ethnique » du conquérant. Il conduit à l’émergence d’une vision fragmentée plutôt qu’homogène de l’humanité, à une posture différentialiste plutôt qu’universaliste.

Les Anglo-Saxons sont difficiles à situer sur l’axe différentialisme/universalisme. Les Anglais sont clairement différentialistes, ayant réussi a préserver l’identité des Gallois et des Écossais dans les siècles des siècles. L’empire britannique, établi outre-mer grâce à une supériorité technologique écrasante, dura peu. Il ne tenta nullement d’intégrer les peuples soumis. Les Anglais firent du pouvoir indirect, l’indirect rule, qui ne remettait pas en question les coutumes locales, une spécialité. Leur décolonisation fut relativement indolore, un chef-d’œuvre de pragmatisme, parce qu’il n’avait jamais été question pour eux de transformer les Indiens, Africains ou Malais en Britanniques de format standard. Les Français, dont beaucoup avaient rêvé de faire des Vietnamiens et des Algériens des Français ordinaires, eurent plus de mal à accepter leur reflux impérial. Entraînés par leur universalisme latent, ils s’engagèrent dans une résistance impé­riale qui leur valut une succession de désastres militaires et politiques.

On ne doit cependant pas exagérer le différentialisme anglais. Compte tenu de la petite taille de l’Angleterre, l’immensité de la formation impériale britannique, même si elle fut éphémère, révéla une aptitude certaine à traiter les peuples conquis de façon relativement égalitaire et décente. Les chefs-d’œuvre de l’anthropologie sociale britannique que sont les études d’Evans-Pritchard sur les Nuer du Soudan ou de Meyer Fortes sur les Tallensi du Ghana, admirables par leur sensibilité autant que par leur rigueur, ont été réalisés à l’époque coloniale. Ces analyses combinent la traditionnelle aptitude anglaise à décrire les différences ethniques avec une perception aiguë de l’universel humain masqué par la diversité des structures. L’individualisme anglo-saxon laisse toujours la possibilité d’une saisie directe de l’individu, de l’homme en général plutôt que de l’homme façonné par la matrice anthropologique.

Le cas américain exprime de façon paroxystique l’ambivalence anglo-saxonne vis-à-vis des principes concurrents de l’universalisme et du différentialisme. Les États-Unis peuvent être décrits, d’une première façon, comme le résultat national et étatique d’un universalisme radical. Il s’agit, après tout, d’une société née de la fusion d’immigrés fournis par tous les peuples d’Europe. Le noyau anglais initial a révélé une capacité absolue à absorber des individus d’origines ethniques différentes. L’immigration, interrompue durant la deuxième moitié des années 20, a repris dans les années 60 mais en s’élargissant à l’Asie, à l’Amérique du centre et du Sud. La capacité à intégrer, à élargir le centre a permis le succès américain, ce qui existe de réussite impériale dans le destin des États-Unis. La masse démographique — 285 millions en 2001, 346 millions prévus en 2025 — témoigne à elle seule de cette aptitude.

Mais les États-Unis peuvent être aussi décrits dans les termes opposés d’un différentialisme radical. Dans leur histoire, il y a toujours un autre, différent, inassimilable, condamné à la destruction ou, plus souvent, à la ségrégation. L’Indien et le Noir ont joué, continuent déjouer dans le cas du Noir, et de l’Indien, sous la forme de l’Hispanique, le rôle de l’homme différent. Le système idéologique américain combine universalisme et différentialisme en une totalité ces conceptions en apparence opposées fonctionnent en réalité de manière complémentaire. [Emmanuel Todd Après l’empire, p. 145 sq]

Todd admet cependant que les Hamerloques ont inventé une sorte de tribut, certes très fragile, qui consiste à le prélever grâce à une pompe à finance plutôt que de piller directement le blé de la Sicile ou de l’Égypte. Si les USA ont un empire, celui-ci n’est que financier.

Nous ne savons pas encore comment, et à quel rythme, les investisseurs européens, japonais et autres seront plumés, mais ils le seront. Le plus vraisemblable est une panique boursière d’une ampleur jamais vue suivie d’un effondrement du dollar, enchaînement qui aurait pour effet de mettre un terme au statut économique impérial des Etats-Unis [publié en 2002].

(…)

Mais l’Amérique n’a pas la puissance militaire de Rome. Son pouvoir sur le monde ne peut se passer de l’accord des classes dirigeantes tributaires de la périphérie. Au-delà d’un certain taux de prélèvement, et d’un certain niveau d’insécurité financière, l’adhésion à l’empire n’est peut-être plus pour ces dernières une option raisonnable.

Notre servitude volontaire ne peut se maintenir que si les États-Unis nous traitent de façon équitable, mieux, s’ils nous considèrent de plus en plus comme des membres de la société dominante centrale, c’est le principe même de toute dynamique impériale. Ils doivent nous convaincre, par leur universalisme, par le verbe autant que par le comportement économique, que « nous sommes tous américains ». Mais loin d’être de plus en plus américains, nous sommes de plus en plus traités comme des sujets de deuxième catégorie — parce que le recul de l’universalisme est, malheureusement  pour le monde, la tendance idéologique centrale de l’Amérique actuelle.

♦ Non ! heureusement : vive l’universalisme russe, chinois et arabe. Polanyi disait que la question du socialisme se règlerait internationalement, entre nations. Cela est valable pour l’universalisme, c’est la moindre des choses. La diversité est la garantie et la raison d’être de l’universalisme : universalisme sans diversité = despotisme.

Todd confirme mon hypothèse de la concurrence de l’universalisme russe pendant la guerre froide : la concurrence avec l’empire soviétique a contraint les Hamerloques à faire assaut d’universalisme. Depuis, ça s’est calmé. Le naturel revient au galop. Selon Todd, c’est l’effondrement du rival soviétique qui entraîne le recul de l’universalisme en Hamérique. (p. 153 sq).

 

La question du « nouveau Bretton Woods »

Jacques Sapir 

 

L’économie politique internationale de la crise et la

question du « nouveau Bretton Woods » :

Leçons pour des temps de crise

Jacques SAPIR

 

 

« La désintégration du cadre fixé par Bretton Woods a permis aux Etats-Unis d’affirmer leur hégémonie monétaire au moment même où les bases économiques et géopolitiques de cette hégémonie devenaient progressivement de plus en plus discutables et discutées. Ceci constituait un facteur d’instabilité, ce que Keynes avait prévu dès 1941 et qu’il avait tenté justement de prévenir par l’idée d’une unité monétaire commune internationale. Ce phénomène d’instabilité a été amplifié par la mutation des institutions qui avaient été mises en place à l’époque, le FMI et la Banque Mondiale. À partir de la “crise de la dette” de 1982, elles se transformèrent en instruments d’une libéralisation financière et économique toujours plus poussée au service d’une idéologie néo-libérale dont le “Consensus de Washington” reste aujourd’hui le plus connu des symboles. On peut cependant montrer que le lien entre l’ouverture extérieure et une croissance stable est pour le moins douteux. Le système monétaire international régressa alors vers une situation d’instabilité systémique dont la crise de 1997-1999 fut le point d’orgue, en Asie, en Russie, mais aussi en Amérique Latine.

L’instabilité systémique conduisit alors un nombre croissant de pays à mettre en oeuvre des stratégies unilatérales de précaution, passant par une accumulation excessive de réserves de change. De telles stratégies ne furent possibles que par des politiques de prédation sur le commerce international, qui induisirent dans les pays développés une forte déflation salariale. Cette dernière a abouti simultanément à l’endettement des ménages et à la baisse de leur solvabilité. Dans un contexte marqué par la libéralisation financière cet endettement suscite une explosion de l’innovation financière. On a ici les causes profondes de la crise actuelle qui était le type même de situation que les propositions originelles de Keynes visaient à empêcher. »

(…)

Le processus dit de Bretton Woods ne s’arrêta pas avec la fin de la conférence elle-même en juillet 1944, mais se poursuivit dans le cadre des négociations portant sur les conditions d’application de cet accord. Ce dernier, s’il avait été appliqué aurait abouti à un désastre. La Guerre Froide a permis un pivotement important dans la politique du gouvernement américain qui se rallia à une solution pour l’Europe Occidentale, l’Union Européenne des Paiements qui était plus proche des positions de Keynes que de celles des accords de Bretton Woods. Ces derniers semblent n’avoir été efficaces que dans la mesure où ils n’étaient pas appliqués.

 

 I. Les sources internationales de la crise actuelle

La libéralisation financière internationale et ses conséquences

La politique américaine a largement consisté en la mise en oeuvre des prescriptions néolibérales dans la finance et le commerce à l’échelle mondiale. Ce sont les États-Unis qui ont fait pression sur le FMI pour que celui-ci inscrive dans ses statuts l’obligation d’une convertibilité en compte de capital là où il n’y avait auparavant – et Keynes y avait veillé de toutes ses forces déclinantes – qu’une convertibilité de compte courant. La différence entre les deux notions est pourtant essentielle. [comme vous pouvez le constater, il n’y a nulle fatalité dans tout ça. On sait très bien qui a fait cela, où, quand, comment et surtout pourquoi]

Les conséquences à long terme de la crise de 1997-1999

Les Etats-Unis ou le bonheur est dans la dette

Les conditions de reproduction du mercantilisme asiatique

Le processus d’Eurodivergence

 II. Le contexte des accords de Bretton Woods

Du Traité de Versailles à la Conférence de Gênes

Les conséquences de la crise de 1929

 III. Keynes et la préparation des accords de Bretton Woods.

Keynes et la réforme de l’ordre monétaire international

Keynes et le libre-échange

« L’importance accordée à la souveraineté économique des nations mérite d’être soulignée, car elle n’est pas un argument de circonstance. Si Keynes est un partisan de la coopération internationale, il est un adversaire des mécanismes supranationaux qui privent les gouvernements de leur souveraineté. Ils considèrent que ces derniers n’ont pas de légitimité et que, sans cette dernière, une politique ne peut pas être réellement appliquée. »

Le contrôle des capitaux et l’articulation entre règles et souveraineté.

 IV. Les occasions manquées de Bretton Woods et le dernier combat de Keynes

Conflit et compromis

Que pouvait-on sauver de Bretton Woods : le dernier combat de Keynes

L’Union Européenne de Paiement ou la victoire posthume de Keynes

« L’UEP fut un grand succès économique, et elle contribua puissamment au relèvement des pays d’Europe occidentale qui y participèrent, et en particulier la France et l’Italie. Elle constitua une victoire posthume de Keynes dont elle validait pleinement les idées. La Grande-Bretagne refusa d’y participer, signant par là le début d’un long déclin économique face non seulement à la reconstruction de l’Allemagne (alors Allemagne de l’Ouest ou RFA) mais aussi à la très forte expansion de l’Italie et de la France. »

 V. La décomposition des accords de Bretton Woods et la marche audésordre monétaire  

« Le système de Bretton Woods a connu des évolutions majeures qui ont conduit au système monétaire et financier international tel que nous le connaissons aujourd’hui et qui n’a de fait plus de rapport avec le système de 1944 ou même avec celui que l’on connut jusqu’en 1958. Les deux évolutions les plus significatives ont été la rupture du lien entre le Dollar et l’or et l’abandon du système des taux de change fixes au profit des taux de change flottants. Ces deux évolutions signent la mort du système après une période de décomposition qui va de 1958 à 1973. »

La fin de l’Union Européenne dePaiement et le « retour » à Bretton Woods.

« L’UEP fut dissoute en décembre 1958 et les pays membres revinrent à une convertibilité de compte courant sous l’égide de l’article VIII du FMI. Une première occasion de construire un système régional plus stable et équilibré que le système issu de Bretton Woods fut alors perdue, et l’on peut considérer, du moins pour l’Europe Occidentale, que 1958 marque la date réelle d’application des accords de Bretton Woods. Le retour de tous les pays développés (hors l’URSS et les pays du CAEM) à la convertibilité totale fut, à l’époque, saluée comme un progrès alors qu’elle ne faisait que mettre en marche la mécanique qui devait inéluctablement conduire à la révélation des limites du système de Bretton Woods. Ce dernier n’avait réellement fonctionné que parce que l’on s’était éloigné dès l’hiver 1948-1949 de ses principes pour se rapprocher, l’UEP en témoigne, des idées de Keynes.

Il faut cependant noter que 1958 est aussi la date du début du conflit franco-américain sur le système monétaire international. Lors de la réunion du FMI qui se tint cette année là, et qui devait entériner l’accroissement des quotes-parts des pays membres, l’administrateur français fut le seul à s’opposer au principe d’une décision prise à la majorité simple ainsi qu’aux mesures devant conduire à la liberté complète des capitaux.

Le conflit franco-américain : l’hégémonie américaine contestée.

Les États-Unis et la tentation d’appropriation du système international

 

La fin de Bretton Woods

« Les taux de change, qui étaient normalement fixés (mais révisables) furent progressivement abandonnés au marché lors de la conférence de la Jamaïque en 1973. Le passage aux changes flottants, qui est cohérent avec les progrès de l’idéologie monétariste et néo-libérale, a induit les très brutales fluctuations que l’on a connues depuis la fin des années 1970 et la nature de plus en plus spéculative du système et ce jusqu’à la crise actuelle. »

 

L’ascension et la transformation du FMI

« La troisième conséquence a été la renaissance des politiques de contrôle des changes, en Malaisie et en Russie. La décision de la Chine de résister aux pressions américaines pour une extension de la convertibilité du Yuan, décision dont la sagesse est aujourd’hui évidente, en découle aussi. Se trouve validée l’idée de Keynes que le contrôle sur les capitaux et les changes est une condition de dégagement d’un espace de liberté pour les politiques économiques internes, et de ce fait un élément de stabilité des trajectoires économiques.

On constate cependant que la question du contrôle des changes et des contrôles sur les mouvements de capitaux constitue un point immédiat de conflit entre les gouvernements qui souhaitent recourir à de tels mécanismes et les États-Unis. La défense de la souveraineté économique n’est pas compatible avec les objectifs de la politique américaine. »

 

 VI. Leçons d’un demi-siècle d’errements.

« Rétrospectivement, on voit que si le système de Bretton Woods représentait probablement un compromis boiteux, il était inévitable compte tenu du rapport des forces à l’échelle internationale de l’époque. Les conditions de l’immédiat après-guerre et de la Guerre Froide ont créé un contexte où de fait il ne fut appliqué que très partiellement. Jusqu’en 1958, le système qui s’applique en Europe est plus proche des idées de Keynes que de la lettre de Bretton Woods. »

 

L’évidence de la crise et la fin de l’hégémonie financière américaine

 « L’amélioration de la situation économique en Europe occidentale, et la première détente Sovieto-Américaine ont fait évoluer le contexte international et l’on est réellement entré dans le système de Bretton Woods en 1958. Sa gestion par les États-Unis fut désastreuse. Non seulement les États-Unis ont instrumentalisé le système en leur faveur, mais ils s’en sont servis comme levier pour mettre en oeuvre une idéologie du “tout marché”. Ceci a conduit à l’éclatement du système en 1973 et à la mise en place d’une hégémonie financière et monétaire américaine qui a reproduit les pathologies de l’hégémonie britannique antérieure. Aujourd’hui la crise du système est multiple. »

L’échec du G-20

De ce point de vue, les résultats du sommet du G-20 du 15 novembre 2008 apparaissent comme particulièrement décevants. Ce sommet sur la réforme du système monétaire international et la crise financière a accouché d’une souris. La déclaration finale mentionne en effet les principes communs suivants, dont aucun ne répond à la réalité de la crise :

(i) Renforcer la transparence et la responsabilité

(ii) Favoriser une régulation saine.

(iii) Promouvoir l’intégrité des marchés financiers.

(iv) Renforcer la coopération internationale (dans le sens de la coopération entre régulateurs).

(v) Réformer les institutions financières internationales.

Ces principes sont accompagnés de la proclamation d’un attachement à la libéralisation financière et d’un rejet de toutes mesures protectionnistes. Or, ces deux libéralisations sont celles qui ont conduit aux pratiques que l’on cherche à réglementer et qui sont à la base de la crise actuelle. La contradiction entre les principes de réforme énoncés et l’engagement à poursuivre les politiques de libéralisation est d’une telle évidence que les marchés financiers, loin de se réjouir ont doit stagné, soit accentué leur baisse ce lundi 17 novembre.

(…)

D’ici la fin du printemps 2009, les signataires de cette déclaration finale se seront déjugés. »

L’alternative par la fragmentation.

« Dans ces conditions, on est très loin de l’objectif initial d’un “nouveau Bretton Woods”. Le processus d’une réforme du système monétaire international n’a même pas été engagé. De cet échec va naître dans les mois qui viennent un processus de fragmentation du système monétaire et financier international. »

Les recettes de Keynes n’ont jamais échoué pour cette simple raison qu’elles n’ont jamais été appliquées, à part en Europe avec l’Union européenne de paiement et le Pool charbon-acier. C’est Keynes qui a échoué à faire triompher ses vues, pour le malheur du monde et principalement des pays pauvres — une stabilisation du cours des matières premières, mesure demandée par Keynes, aurait permis aux pays pauvres mais riches en matières premières de s’équiper en vendant leurs ressources à un prix « équitable » (non prédateur) au lieu de devoir s’endetter auprès du FMI aujourd’hui dirigé par un obsédé sexuel qui leur prête généreusement l’argent qui leur a été volé. Or, comme le dit si bien Nabe : « les couilles rendent con » —. Bretton Woods n’est pas dû à Keynes mais aux Hamerloques. Le libre échange et surtout la libre circulation de capitaux et la spéculation sur les matières premières étaient programmés dès le départ ainsi que le délabrement des pays pauvres — aujourd’hui, après la crise qui leur fut imposée, les dragons d’Asie se vengent bien en étant devenus prédateurs commerciaux, c’est à dire mercantilistes : gros stock de devises et gros excédent commercial, excédents que Keynes voulait taxer au même titre que les déficits. Ils produisent et vendent mais n’achètent pas, jetant à la rue les ouvriers occhidentaux. Bien fait —. Keynes avait mis en garde contre l’instabilité du système dont la seule règle est, je le rappelle, « si je t’attrape, je t’encule ». Finalement les Hamerloques l’ont eu dans le cul : ils ont mis à la rue leurs propres ouvriers et les Russes on gagné la guerre froide puisque c’est elle qui nécessita son financement par pillage de l’épargne mondiale. Ils ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis. Bien fait

 

 Je disais un peu plus bas que les conséquences du bombardement du 11 septembre, quels qu’en soient les auteurs, avaient dépassé toutes mes espérances. Un connaisseur de la chose, Zbigniev Brzezinski, conforte ces espérances dans un article du Washington Post du 25 mars 2007 : la War on Terror, érigée en slogan national, a « compromis notre capacité à faire face aux réels défis auxquels nous sommes confrontés… Cette phrase n’a de toute manière aucun sens. Elle ne décrit ni le contexte géographique ni n’identifie nos ennemis présumés ». Surtout, « les dégâts que ces trois mots ont provoqués — comme on se tire une balle dans le pied — sont infiniment plus importants que tout ce qu’auraient pu imaginer dans leurs délires les fanatiques du 11 septembre… » (Jean-Philippe Immarigeon, le Livre noir de la Rand et L’effondrement du monde)

Cela confirme aussi ce que je disais dans ma Diatribe, que ce n’est pas l’Hamérique en particulier qui est attaquée, mais cette grosse salope putride d’Occhident, avec, au milieu, Mme Parisot qui fait pipi de joie dans sa culotte. Notez aussi le mépris de Zbig pour les bougnoules, ces cons qui, tout fanatiques qu’ils soient, n’auraient pas été capables de prévoir ce qui s’est ensuivi en fait. J’avais compris, au contraire qu’ils l’avaient annoncé et qu’ils l’espéraient. Ils ont eu tout le temps, depuis deux siècles, d’observer et comprendre la connerie satisfaite de cette grosse salope d’Occhident bourgeois (lisez ci-dessous ce qu’en dit Balzac, ce malheureux Occident « envahi par le flot de la bourgeoisie » et qui, de ce fait, devient l’Occhident où sont « frayés les chemins de la Conquête ».) Quoique les forêts et les loups ne soient pas très répandus en Arabie, les bédouins n’en sont pas moins des pasteurs. Ils ont voulu faire sortir le loup du bois. Il est sorti deux fois. C’est un coup de maître. J’avais dit, d’ailleurs, que Ben Laden était le plus grand joueur de billard du monde et qu’il allait peut-être foutre ça par terre d’un seul coup de sa grande queue, mettant en branle des milliards de boules. Prière exaucée. Le Seigneur exténuera tes ennemis. Jupiter rend fous ceux qu’il veut perdre. Crétin de Zbig, c’était écrit dans le Coran.

*   *   *

Sais-tu, mon enfant, quels sont les effets les plus destructifs de la Révolution ? tu ne ten douterais jamais. En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé la tête à tous les pères de famille. Il n’y a plus de famille aujourd’hui, il n’y a plus que des individus. En voulant devenir une nation, les Français ont renoncé à être un empire. En proclamant l’égalité des droits à la succession paternelle, ils ont tué l’esprit de famille, ils ont créé le fisc ! Mais ils ont préparé la faiblesse des supériorités et la force aveugle de la masse, l’extinction des arts, le règne de l’intérêt personnel et frayé les chemins à la Conquête. Nous sommes entre deux systèmes ou constituer l’État par la Famille, ou le constituer par l’intérêt personnel, la démocratie ou l’aristocratie, la discussion ou l’obéissance, le catholicisme ou l’indifférence religieuse, voilà la question en peu de mots. J’appartiens au petit nombre de ceux qui veulent résister à ce qu’on nomme le peuple, dans son intérêt bien compris. Il ne s’agit plus ni de droits féodaux, comme on le dit aux niais, ni de gentilhommerie, il s’agit de l’État, il s’agit de la vie de la France. Tout pays qui ne prend pas sa base dans le pouvoir paternel est sans existence assurée. Là commence l’échelle des responsabilités, et la subordination, qui monte jusqu’au roi. Le roi, c’est nous tous ! Mourir pour le roi, c’est mourir pour soi-même, pour sa famille, qui ne meurt pas plus que ne meurt le royaume. Chaque animal a son instinct, celui de l’homme est l’esprit de famille. Un pays est fort quand il se compose de familles riches, dont tous les membres sont intéressés à la défense du trésor commun, trésor d’argent, de gloire, de privilèges, de jouissances; il est faible quand il se compose d’individus non solidaires, auxquels il importe peu d’obéir à sept hommes ou à un seul, à un Russe ou à un Corse, pourvu que chaque individu garde son champ ; et ce malheureux égoïste ne voit pas qu’un jour on le lui ôtera. Nous allons à un état de choses horrible, en cas d’insuccès. Il n’y aura plus que des lois pénales ou fiscales, la bourse ou la vie. Le pays le plus généreux de la terre ne sera plus conduit par les sentiments. On y aura développé, soigné des plaies incurables. D’abord une jalousie universelle : les classes supérieures seront confondues, on prendra l’égalité des désirs pour l’égalité des forces ; les vraies supériorités reconnues, constatées, seront envahies par les flots de la bourgeoisie. On pouvait choisir un homme entre mille, on ne peut rien trouver entre trois millions d’ambitions pareilles, vêtues de la même livrée, celle de la médiocrité. Cette masse triomphante ne s’apercevra pas qu’elle aura contre elle une autre masse terrible, celle des paysans possesseurs : vingt millions d’arpents de terre vivant, marchant, raisonnant, n’entendant à rien, voulant toujours plus, barricadant tout, disposant de la force brutale... (Balzac, Mémoires de deux jeunes mariées)

 

La crise, l’Amérique latine et les limites du « socialisme du XXIe siècle  →  
entretien avec Marc Saint-Upéry       

 DOC 2008-11-18-2

En fin de compte, ces mesures vont-elles vers plus de socialisme ou vers plus de capitalisme ? Je n’ai pas de réponse, et il est en outre probable que la question soit mal posée, mais je sais au moins deux choses : 1) le pseudo-débat latino-américain sur le « socialisme du XXIe siècle » ne nous offre aucun cadre d’analyse sérieux pour déchiffrer la complexité de ce type d’évolution ; 2) n’importe quelle mesure socio-économique d’envergure prise par les Chinois aura plus d’impact pour l’avenir de l’ensemble de l’humanité que tout ce peuvent dire ou faire les gouvernements de gauche latino-américains.

Quant au fond du problème, je crois que la transition éventuelle à un système post-capitaliste est bien plus un problème anthropologique de longue haleine qu’une question de décisions et de stratégies politiques à court ou moyen terme, encore moins un prétexte pour débiter des slogans grandiloquents. Elle suppose l’émergence parallèle de nouvelles configurations d’incitations économiques et morales et de nouveaux dispositifs institutionnels enracinés dans des pratiques organisationnelles et matérielles soutenables (du point de vue psychologique et moral comme du point de vue écologique), ce qui n’a strictement rien à voir avec le volontarisme d’une avant-garde éclairée qui prétendrait forger un soi-disant « homme nouveau » de gré ou de force.

 

« Force and the Understanding »   

 

Après la démocratie

Emmanuel Todd

Todd, Après la démocratie, p. 91. S’il vô pli : ce n’est pas « l’individualisme démocratique » (l’individualisme d’Alcibiade et de Socrate) qui est responsable du narcissisme ambiant, mais l’individualisme bourgeois (c’est cela que Tocqueville désigne par individualisme démocratique), l’individualisme capitaliste, l’individualisme de Wall Street (en fait calviniste : chacun pour soi car Dieu a déjà reconnu les siens). Ne pas confondre s’il vô pli. Rien n’est moins démocratique que l’individualisme bourgeois, que l’individualisme de Wall Street. Ne pas confondre s’il vô pli. Il n’y a pas plus con et formiste que l’individualisme de Wall Street. Ce que je nommais originaux de masse, Todd le nomme élytres de masse. La grosse tranche d’élytres de masse (des millions et des millions, 30 % des générations) coupe la pyramide sociale et vit en cercle fermé. Voilà, Todd, c’est plein d’idées. L’éducation supérieure dans le capitalisme, ça donne des élytres de masse et non pas des millions de philosophes soucieux du sort de la cité. C’est le con-texte qui compte.

D’ailleurs, Tocqueville, cité par Jorion, exprime très bien le pourquoi de la chose. Pour les Hammerloques, l’argent est comme l’air que l’on respire, pour parler comme Marx ; mais pas pour l’aristocrate catholique et la chose lui saute aux yeux. C’est lumineux :

Quand les concitoyens sont tous indépendants et indifférents, ce n’est qu’en payant qu’on peut obtenir le concours de chacun d’eux ; ce qui multiplie à l’infini l’usage de la richesse et en accroît le prix.

Je peux même surenchérir avec cette autre remarque de Marx : l’argent n’apporte aucune qualité à l’individu. On peut le constater parfaitement par les temps qui courent.

Ce n’était pas le cas à Athènes, n’est-ce pas ? Ce qui arrive avec le capitalisme, avec la chute de l’humanité dans le besoin, c’est la séparation totale dans la dépendance totale. Une « démocratie » où les citoyens sont indépendants et indifférents ne peut être qu’une démocrachie et les citoyens, des chitoyens.

À Athènes, les esclaves n’étaient pas mêlés à la démocratie qui de ce fait était une véritable démocratie, puisque le peuple était composé d’hommes libres, riches ou pauvres, aristocrates ou populaires. Les bourgeois ont réussi ce tour de force de mêler les esclaves à la démocratie sous le nom de citoyens (chitoyens) anéantissant ainsi la démocratie tout en conservant l’esclavage. C’est un tour de force. Jean Sol Partre dirait que l’individualisme bourgeois est un enculisme. Sa devise est : si je t’attrape je t’encule, ce qui est fort peu démocratique. On ne faisant pas tant de manières à Athènes.

Je retournerai le mot de Polanyi : aujourd’hui l’esclavage est embedded dans la démocrachie, l’esclave est censé coucher dans le même lit que son maître : l’État bourgeois a fait le lit du commerce. Comment peut-on oser dénommer démocratie une chivilisation où existe quelque chose comme « l’entreprise » (qui, de bonheur, fait faire pipi dans sa culotte à Mme Parisot) où se passe la majeure partie de la vie du libre esclave et qui est la négation de toute démocratie : satanic mills for ever. Les entreprises sont des bordels où les chitoyens se font enculer huit heures par jour cinq jours par semaine, le reste est à l’avenant. Qu’on ne nous fasse plus chier avec cette histoire de démocrachie. Vive les honnêtes dictatures.

Je suis né et j’ai grandi dans une usine de mille ouvriers. Quand je n’étais pas sage ma mère me disait : « Tu verras plus tard, tu iras à l’usine. » Manifestement, pour elle, l’usine, c’était l’enfer, et c’est l’enfer ; alors que pour moi ce fut, dans ma prime jeunesse, un merveilleux jouet avec des tas de ferraille et des tas de sable gigantesques et une profusion de tuyaux et de vannes (et même une machine à vapeur hors service, avec son immense volant de trois mètres de diamètre, mais les deux immenses chaudières tubulaires à charbon avec leurs soles tournantes étaient toujours là et en service pour fournir de la vapeur pour le chauffage des calandres — du grec kylindros, cylindre). J’y ai pris l’habitude de jouer seul pendant des journées entières et j’ai gardé cette habitude.

♫ C’est l’piston, piston, piston, qui fait marcher la machineu…

 

La question d’un idéalisme chez Wittgenstein (Vincent Descombes)   

Commenté par Heil Myself !

 

Un peuple de prostitués :

Les hommes qui vivent dans les temps démocratiques ont beaucoup de passions ; mais la plupart de leurs passions aboutissent à l’amour des richesses ou en sortent. Cela ne vient pas de ce que leurs âmes sont plus petites, mais de ce que l’importance de l’argent est alors réellement plus grande. Quand les concitoyens sont tous indépendants et indifférents, ce n’est qu’en payant qu’on peut obtenir le concours de chacun d’eux ; ce qui multiplie à l’infini l’usage de la richesse et en accroît le prix. Le prestige qui s’attachait aux choses anciennes ayant disparu, la naissance, l’état, la profession ne distinguent plus les hommes, ou les distinguent à peine ; il ne reste plus guère que l’argent qui crée des différences très visibles entre eux et qui puisse en mettre quelques-uns hors de pair. La distinction qui naît de la richesse s’augmente de la disparition et de la diminution de toutes les autres. Chez les peuples aristocratiques, l’argent ne mène qu’à quelques points seulement de la vaste circonférence des désirs ; dans les démocraties, il semble qu’il conduise à tous. On retrouve donc d’ordinaire l’amour des richesses, comme principal ou accessoire, au fond des actions des Américains ; ce qui donne à toutes leurs passions un air de famille, et ne tarde point à en rendre fatigant le tableau. Ce retour perpétuel de la même passion est monotone ; les procédés particuliers que cette passion emploie pour se satisfaire le sont également. Dans une démocratie constituée et paisible, comme celle des États-Unis, où l’on ne peut s’enrichir ni par la guerre, ni par les emplois publics, ni par les confiscations politiques, l’amour des richesses dirige principalement les hommes vers l’industrie. Or, l’industrie, qui amène souvent de si grands désordres et de si grands désastres, ne saurait cependant prospérer qu’à l’aide d’habitudes très régulières et par une longue succession de petits actes très uniformes. Les habitudes sont d’autant plus régulières et les actes plus uniformes que la passion est plus vive. On peut dire que c’est la violence même de leurs désirs qui rend les Américains si méthodiques. Elle trouble leur âme, mais elle range leur vie. [1840, De la démocratie en Amérique, vol. II , 3e partie, chapitre XVII : « Comment l’aspect de la société, aux États-Unis, est tout à la fois agité et monotone »]

et la tyrannie du conformisme :

Ce que je reproche le plus au gouvernement démocratique, tel qu’on l’a organisé aux États-Unis, ce n’est pas, comme beaucoup de gens le prétendent en Europe, sa faiblesse, mais au contraire sa force irrésistible. Et ce qui me répugne le plus en Amérique, ce n’est pas l’extrême liberté qui y règne, c’est le peu de garantie qu’on y trouve contre la tyrannie. Lorsqu’un homme ou un parti souffre d’une injustice aux États-Unis, à qui voulez-vous qu’il s’adresse ? À l’opinion publique ? C’est elle qui forme la majorité ; au corps législatif ? Il représente la majorité et lui obéit aveuglément ; au pouvoir exécutif ? Il est nommé par la majorité et lui sert d’instrument passif ; à la force publique ? La force publique n’est autre chose que la majorité sous les armes ; au jury ? Le jury, c’est la majorité revêtue du droit de prononcer des arrêts : les juges eux-mêmes, dans certains États, sont élus par la majorité. Quelque inique ou déraisonnable que soit la mesure qui vous frappe, il faut donc vous y soumettre. [1835, De la démocratie en Amérique, vol. I , 2e partie, chapitre VII : « De l’omnipotence de la majorité aux États-Unis et de ses effets »]

Charmant pays.

 

Virtualisme à la française. (Père Iclès)   

 DOC 2013-08-31

L’article de Sapir proposé par Ni Ando me paraît relever du pur délire. [DOC 2013-08-31-2]

Sans rentrer dans les détails, on peut se demander pourquoi le reste du monde coopèrerait pour remettre en selle un système qui pendant les 25 dernières années a sans arrêt produit plus de pauvreté dans le monde, des guerres incessantes essentiellement motivées par le besoin qu’avait ce même système de contrôler les ressources, des émeutes, des insurrections, de la pollution à un niveau devenu impossible à soutenir, des révolutions et suscité des mouvements de rebellion armée qui répondaient aux plans d’ajustement structurel que tous les économistes adorateurs de Mammon ont soutenus et qui ont amené la ruine de maints états jadis prospères.

L’inventivité économique occidentale a détruit les premières réalisation des peuples nouvellement indépendants, notamment en Afrique pour leur reprocher par la suite leur incompétence et leur corruption.

L’Occident a, par tous les moyens tenté de soudoyer les élites du monde quand il ne les a pas tout simplement fait assassiner pour mieux dépeupler des continents entiers dont il lorgne sur les ressources.

Sous la plume de Sapir, l’Occident toxique nous promet plus de justice.

Serments d’ivrogne : il veut conserver le contrôle de l’économie car demain dès que son emprise sera rétablie, il exigera des ajustements structurels, imposera les privatisation, la famine ...

Il faut mettre fin à cela sans risque de retour. Euthanasie !

Aujourd’hui le monde a l’occasion de se débarasser de sa tutelle imposée et ruineuse. S’il ne le fait pas, il n’aura aucun excuse face aux générations futures.

 Glorieuse Russie (bis)

Quant aux prescriptions sur la flexibilité des prix, mes chers collègues du FMI (j’écris chers, cars ils ont beaucoup coûté en argent et en souffrances à ceux sur le dos desquels ils ont sévi) font comme si le système complet et total des marchés de la TEG [Théorie de l’équilibre général] existait dans le monde réel. Puis, de temps en temps, ils découvrent qu’ils vivent dans un monde imparfait. Encore directeur du FMI, Michel Camdessus, a visiblement des remords puisqu’il reconnaît, dans une interview, que la politique de son organisation a contribué à créer en Russie un désert institutionnel dans un univers de mensonge. Ainsi donc, la charge libérale, sabre au clair, nez au vent, aurait abouti à fragiliser voire détruire l’environnement nécessaire au fonctionnement des marchés. Peut-être eût-il été souhaitable d’y penser avant que de pousser les deux tiers de la population russe en dessous du seuil de pauvreté. (Voir Libération [Libéramerde], 31 août 1999, p. 3.) [Sapir. Les Trous noirs de la science économique]

Voilà qui confirme les propos de Naomi Klein. Fumiers. Le président Medvedev et le grand vizir Poutine vous saluent bien.

 

 

For the last 12 years, I have been telling anyone who would listen to me that we are taking huge risks and massive exposure to rare events. I isolated some areas in which people make bogus claims — epistemologically unsound. The Black Swan is a philosophy book (epistemology, philosophy of history & philosophy of science), but I used banks as a particularly worrisome case of epistemic arrogance — and the use of « science » to measure the risk of rare events, making society dependent on very spurious measurements. To me a banking crisis — worse than what we have ever seen — was unavoidable and NOT A BLACK SWAN, just as a drunk and incompetent pilot would eventually crash the plane. And I kept receiving insults for 12 years!

(…)

Comme si nous n’avions pas assez de problèmes comme cela, les banques sont aujourd’hui plus que jamais sujettes au Cygne Noir et à l’erreur ludique, tandis que des « scientifiques » appartenant à leur personnel gèrent leur exposition éventuelle à ces phénomènes. Dans les années 1990, le géant J. P. Morgan mit le monde entier en danger en introduisant Riskmetrics, méthode de gestion des risques bidon, entraînant la généralisation de l’utilisation de l’erreur ludique et portant au pouvoir non pas de Gros Tony adeptes du scepticisme, mais des Dr. Johns (depuis, se répand une méthode liée à celle-là, baptisée la vaR [de l’anglais « value at Risk » – mot à mot : « valeur sous risque » – N.d.T.] – fondée sur la mesure quantitative du risque).

Quand je regarde les risques encourus par Fanny Mae, une institution de prêts hypothécaires sponsorisée par le gouvernement, elle semble assise sur une poudrière, sujette au moindre soubresaut. Mais il n’y a rien à craindre : les nombreux « scientifiques » qui en font partie ont jugé ces événements « improbables ».

LA MONDIALISATION : elle engendre une fragilité qui se répercute en cascade tout en diminuant la volatilité et en créant une apparence de stabilité. En d’autres termes, la mondialisation produit des Cygnes Noirs foudroyants. Nous n’avons jamais vécu sous la menace d’un effondrement général. Jusqu’à présent, les institutions financières ont fusionné, donnant naissance à un nombre plus restreint de très grandes banques. Maintenant, les banques sont pratiquement toutes liées entre elles. Ainsi l’écologie financière est-elle en train d’enfler pour former des banques bureaucratiques gigantesques, incestueuses (souvent « gaussianisées » en termes d’évaluation des risques) – la chute de l’une entraîne celle de toutes les autres. La concentration accrue des banques semble avoir pour effet de rendre les crises financières moins probables, mais quand elles se produisent, c’est à une échelle plus globale et elles nous frappent très cruellement. Nous sommes passés d’une écologie diversifiée de petites banques, avec différentes politiques de prêt, à un ensemble plus homogène de sociétés qui se ressemblent toutes. Certes, nous enregistrons maintenant moins d’échecs, mais quand ils se produisent… Cette pensée me fait frémir. Je reformule mon idée : nous allons avoir moins de crises, mais elles seront plus graves. Plus un événement est rare, moins nous connaissons les chances qu’il a de se produire. Autrement dit, nous en savons toujours moins sur les possibilités qu’une crise a de survenir.

(…)

[Also please please refrain from offering to “improve” my web site].

 

 

Si la récession dans laquelle nous sommes entrés est appelée à être importante, on ne doit pas non plus en sous-estimer la durée. Contrairement aux affirmations fallacieuses de certains économistes « médiatiques » en 2007 ou au premier semestre de 2008, nous ne sommes pas dans un simple « cycle » économique. Cette crise est avant tout celle d’un modèle de croissance ou d’un mode d’accumulation qui s’est mis en place à partir des années 1980.

Contrairement au mode d’accumulation antérieur, il a été caractérisé par une capture presque totale des gains de productivité par les profits au détriment des salaires. Ceci a permis de développer les versements de dividendes aux actionnaires de manière considérable, et plus encore de développer les rendements des placements financiers. Ces derniers ont pu aussi progresser grâce à la déréglementation des opérations bancaires et financières qui a permis la mise en place de leviers de financement caractérisé par des rapports entre le capital initial et les fonds empruntés de 1 à 25 ou 30. Le recours à la titrisation des dettes a permis une dissémination du risque que l’on a confondu avec sa mutualisation [les gros cons !]. Elle a permis une baisse des taux d’intérêts rendant l’endettement d’autant plus facile et venant renforcer les pratiques d’effet de levier. La finance a fonctionné comme une trappe à valeur ajoutée. Dans un premier temps, ceci a conduit à de fortes hausses des prix des actifs, qu’ils soient mobiliers ou immobiliers.

La valeur actionariale a été un des principes de ce mode d’accumulation financiarisé, où la richesse semblait ne devoir provenir principalement non des revenus du travail mais des rendements des patrimoines accumulés. Mais ceci n’a pas été le seul principe fondateur de ce régime d’accumulation.

Pour aboutir à ce résultat, il ne fallait pas seulement la mise en place d’une fiscalité de moins en moins redistributrice comme on l’a vu aux Etats-Unis à partir de 1980 puis progressivement en Europe. Il fallait encore pouvoir créer une véritable déflation salariale. L’ouverture progressive et la mise en place d’un cadre généralisé de libre-échange a été l’instrument principal de cette déflation salariale [en 1840 c’était la circulation des blés qui était permise ; aujourd’hui, ce fut celle des capitaux ; dans le même but dans les deux cas]. Si le mouvement des délocalisations a été relativement faible au total, l’impact de la menace de ces dernières a été décisive pour non seulement comprimer la hausse réelle des salaires mais aussi conduire à des baisses des prestations sociales [armée de réserve industrielle lointaine, en Chine]. La pression exercée par la combinaison de faibles salaires et d’une absence de protection sociale et écologique dans des pays où les transferts de capitaux ont permis des gains de productivité très rapide a fait éclater le compromis social issu de 1945, voire des années 1930.

(...)

On voit bien aujourd’hui que ce régime d’accumulation est durablement brisé.

FUMIERS !

 

Cette seule nation sous le regard de Dieu (de defensa)   

 

  

Or, l’on a vu et l’on voit apparaître, parmi certains socialistes, dont les erreurs passées et les complaisances ont été une des causes de l’émission effrénée et destructrice de capital fictif, des appels à une « nouvelle régulation » assurée par le Fonds monétaire international (FMI). Cela revient à demander à une association de voleurs et de policiers incompétents ou complices de rétablir l’ordre public. Ou bien, pour utiliser une image plus précise, aux promoteurs d’une économie basée sur le trafic de drogue (celle de MM. George Soros ou Robert Cooper), d’arrêter les trafiquants et les consommateurs, comme si l’émission d’un argent sans foi ni loi était un problème technique relevant d’experts et non une question politique exigeant l’engagement de volontés subjectives.

Qui peut encore croire au FMI, qui a contribué à l’étranglement des pays du tiers-monde, a accompagné et soutenu l’ordre financier dominant, rétribué des experts pour procéder au maintien de cet ordre et s’est compromis avec l’oligarchie financière de Wall Street et de la City de Londres ? Qui ? MM. Dominique Strauss-Kahn, Michel Camdessus, Lionel Jospin et François Morin. Là est le danger principal : dès que l’offensive pour un Nouveau Bretton Woods se trouve lancée, les supplétifs passés – et présents – de l’ordre financier se manifestent pour ramener le mot dans un système qui est son contraire.

Car on ne peut insérer une réorientation politique fondamentale des flux financiers dans les institutions existantes et avec ceux qui ont fait carrière, universitaire ou politique, au sein du système de libre-échange et d’émission de capital fictif qui caractérise l’économie internationale depuis plus de quarante ans [aux chiottes ! aux chiottes !].

Examinons le cas de M. Strauss-Kahn : il a accepté d’être le directeur du FMI, soutenu par M.Sarkozy, et prétend « formuler des réformes institutionnelles » en créant un comité « devant évaluer la pertinence du cadre actuel de prise de décision du Fonds et conseiller toute modification qui puisse permettre à l’institution de remplir son mandat mondial plus efficacement » (sic). Et avec qui ? Avec l’ancien directeur du Fonds, M. Michel Camdessus, avec des professeurs de Harvard et de Chicago, tous ceux qui ont été les serviteurs bien rémunérés et très honorés de l’oligarchie financière [aux chiottes ! aux chiottes !] !

Voyons maintenant le cas de MM. Jospin et Morin. Après une bonne analyse de la crise financière actuelle, ils proposent une « régulation (...) assurée par le FMI, avec l’appui d’un organe de règlement des conflits financiers ». Ils prennent position pour une « monnaie internationale » dont le rôle pourrait être « consacré » par une fusion entre le FMI et la Banque des règlements internationaux (BRI). C’est aller plus loin que MM. Strauss-Kahn et Keynes dans le dépouillement de la souveraineté des États-nations, sans donner la moindre orientation politique et sociale à leur choix (Point de vue, Le Monde du 6 septembre 2008) [aux chiottes ! aux chiottes !].

Point de convergence révélateur, dans un entretien très compétent dans l’analyse, confié au Nouvel Observateur (24-30 juillet 2008), Mathieu Pigasse, vice-président de la banque Lazard, proposait la même solution : « Ce pourrait être le rôle du FMI. Au lieu de prêter aux pays émergents un argent dont ils n’ont pas besoin, il pourrait inventer une nouvelle régulation pour faire face non plus à l’insuffisance des liquidités mais à leur excès. »

Je suis ici obligé de dire que, consciemment ou pas, ces politiques de « nouvelle régulation » visent en fait à maintenir le système, car elles restent dans un cadre monétariste. Je dois ajouter que, peut-être malgré l’intention de leurs auteurs, elles constituent la « béquille » de ce que j’ai appelé « les puissances du chantage financier » plutôt qu’une arme contre elles.

Toujours les mêmes vieux chevaux de retour. Qu’attendent-ils pour crever ? Aux chiottes ! aux chiottes !

 

Zbigniew Brzezinski – Le grand échiquier – 1997

En Russie, divers experts des questions internationales ont caressé un ultime espoir : un coup d’arrêt à l’intégration européenne, peut-être lié à l’approfondissement des divergences sur le champ d’élargissement de l’OTAN, pourrait créer les condi­tions d’un rapprochement tactique avec l’Allemagne ou la France, au détriment de l’alliance transatlantique [ces experts n’avaient pas tort]. L’hypothèse ne brille pas par son originalité : à plusieurs reprises, pendant le cours de la guerre froide, Moscou a essayé de jouer la carte française ou allemande. Cependant, le calcul retrouvait une cer­taine pertinence : une impasse dans les relations européennes ouvrirait des opportunités tactiques, les exploiter à bon escient nuirait à l’Amérique.

Hormis quelques succès tactiques, cette option n’offre aucun gain consistant. La France ou l’Allemagne ne sont pas près de tourner le dos à leur partenaire américain. Un flirt occasionnel, en particulier avec les Français, sur un problème spécifique ne peut être exclu. Mais un renversement d’alliances suppose qu’un bouleversement radical en Europe mène à un abandon définitif du processus d’unification européenne et à une rupture catégorique avec l’Amérique. Même dans ces conditions, on voit mal quel intérêt [c’est parfaitement exact : les hamériquains sont strictement incapables (ou bien font semblant) de concevoir cet intérêt ce qui ne prouve pas qu’il ne puisse y en avoir] auraient les États européens à s’engager dans un réalignement géopolitique avec la Russie isolée [isolée ?].

En dernière analyse, une contre-alliance, de quelque manière qu’on l’envisage, n’a guère d’avenir. Ce n’est pas la bonne voie pour résoudre les problèmes géopolitiques de la Russie. Elle se révèle à l’analyse aussi illusoire que le partenariat stratégique commun avec l’Amérique et que les différentes versions de structure « intégrée » se déployant sur l’espace géographique de l’ex-Union soviétique. Toutes ces impasses détournent la Russie du seul choix à sa portée [il ne manque pas d’air l’Amerloque].

 

Un seul choix possible, deux préalables

Le choix européen est la seule perspective géostratégique réaliste [exactement : le choix européen et non pas le choix américain] qui permettra à la Russie [non, pas à la Russie, mais à l’Europe] de retrouver un rôle international et les ressources nécessaires pour engager sa modernisation. Par Europe, nous entendons l’ensemble géopolitique uni par le lien transatlantique et engagé dans l’élargissement de l’Union européenne et de l’OTAN [ah ! ah ! ah ! quelle curieuse définition de l’Europe], tel qu’il prend tournure, comme nous l’avons vu au chapitre 3. Telle est l’alliance [avec l’Europe mais surtout pas avec l’Hamérique] qui profitera à la Russie et lui évitera de s’enfoncer dans un isolement géopolitique néfaste.

Du point de vue américain, la Russie paraît vouée à devenir un problème [ça, c’est bien vrai, un gros problème, même] : si sa faiblesse exclut de la considérer comme un partenaire, les forces qu’elle conserve ne nécessitent pas l’application de soins d’urgence [vraiment ? pourtant les Amerloques ont bien tenté d’appliquer les soins d’urgence, heureusement sans succès, la Russie est plus forte que jamais]. Pourtant, les Américains peuvent peser sur le contexte actuel, en définissant un nouveau cadre qui convaincrait les Russes que leurs intérêts dépendent de leurs relations avec l’Europe atlantiste [mais c’est de la merde, l’Europe atlantiste, les Russes ne sont pas fous, ils n’en voudront jamais de cette Europe là]. Même si une alliance stratégique solide de la Russie avec la Chine ou avec l’Iran a peu de chances de se concrétiser, l’Amérique doit éviter de détourner Moscou de son meilleur choix géopolitique [comme on l’a vu, elle a tout fait pour ça, la grosse conne]. Autant que possible, les États-Unis doivent tenir compte, dans leurs relations avec la Chine ou l’Iran, de l’impact possible sur les calculs géopolitiques russes. En revanche, refuser d’affronter les illusions de Moscou sur ses choix géostratégiques planétaires ne servira qu’à reculer les décisions historiques nécessaires pour rompre avec le profond malaise du pays.

L’expansion économique et géopolitique européenne s’accompagne de la mise en place d’un immense réseau d’échanges qui facilite le développement du commerce, des communications, des mouvements de capitaux et de l’éducation [l’éducation ! vraiment]. La Russie doit accepter cette réalité nouvelle [vraiment, à qui croit-il parler, ce con ?] dont elle peut tirer parti. La participation au Conseil de l’Europe est un premier pas, il préfigure d’autres liens constructifs. En s’engageant dans cette direction, la Russie n’aura, à terme, pas d’autre choix que celui d’imiter le cours suivi par la Turquie kémaliste, qui, rompant avec les ambitions impériales de la période ottomane, s’est engagée sur la voie de la modernisation, de l’européanisation et de la démocratisation.

Ce que l’Europe, moderne, riche et démocratique, alliée  à l’Amérique [elle est alliée à l’Amérique comme les alliés d’Athènes étaient alliés à Athènes] peut apporter à la Russie [cette Europe ne peut apporter à la Russie que la servitude, or la Russie décide souverainement de sa politique extérieure depuis mille ans. Elle est libre depuis mille ans], aucune autre voie ne peut le lui offrir [qu’en sait-il, ce connard ? ce TINA]. Ni l’Europe ni l’Amérique ne constituent une menace pour la Russie [l’Europe ! on n’en doute pas. Elle est bien bonne], tant qu’elle développe un État national et démocratique, sans visées expansionnistes [alors pourquoi les révolutions colorées, pourquoi l’activation de la marionnette qui bouffe sa cravate ? Qui la Russie menaçait-elle ? Qui donc a des visées expansionnistes, qui donc veut couvrir le monde de sa merde hamériquaine, la merde la plus puante qui soit]. Toutes deux respectent son intégrité territoriale, alors que la Chine pourrait un jour exprimer ses convoitises. Aucune des deux ne partage avec elle de frontière sensible [vraiment, comme en Géorgie par exemple ? Pourquoi donc avoir fait à tout prix de partager des frontières (USA/Russie) qui sinon n’étaient pas sensibles et ne l’auraient jamais été : qui s’y frotte s’y pique, « Eih bennek, eih blavet ! »], alors que les nations musulmanes bordent son flanc sud, dans des régions aux limites ethniques et territoriales non clarifiées. Pour l’Europe comme pour l’Amérique, une Russie démocratique et nationale [c’est cela, donnez des leçons de nationalité à la Russie post soviétique, foutriquets] représente un élément de stabilité hautement souhaitable dans l’ensemble eurasien explosif [de la faute à qui ? C’est cette crapule qui a inventé tout ça !].

Pour que le choix de l’Europe — et en conséquence de l’Amérique [notez bien, comme les Dupont-Dupond, l’une ne va pas sans l’autre] — se révèle fructueux, la Russie doit satisfaire à deux exigences : tout d’abord, rompre sans ambiguïté avec son passé impérial ; ensuite, cesser ses tergiversations à propos de l’élargissement des liens politiques et militaires entre l’Europe et l’Amérique [et pour quel motif, s’il vous plaît ? Politiques, certainement ; militaires, merci bien, crétin]. Trancher la première question exige d’accepter le pluralisme géopolitique qui prévaut aujourd’hui sur le territoire de l’ex-Union soviétique. Cela n’exclut en aucune manière la coopération économique, peut-être sur le modèle de l’ancienne zone européenne de libre-échange, mais cela suppose le respect intégral de la souveraineté politique des États partenaires [comme la CIA ou la NED l’ont respectée avec leurs ridicules révolutions de couleu’ ?]. Et ce pour la raison simple que tel est leur souhait. Dans cette perspective, la reconnaissance par la Russie de l’existence séparée de l’Ukraine, de ses frontières et de son identité nationale constitue un test crucial [la Russie a parfaitement respecté cette existence séparée pendant de nombreuses années, où est donc la question ? À ce titre, elle a le devoir de ne pas tolérer l’influence hamériquaine à quinze mille kilomètres de Washington].

Pour se conformer à la seconde exigence, la Russie doit faire face aux réalités : si Moscou cultive l’illusion qu’un simple oukase pourrait exclure de la communauté euro-atlantique [pourquoi atlantique, européenne, oui, atlantique non. C’était évident : US GO HOME. Europe si, NATO no ! La guerre froide n’est donc pas terminée ? La Russie sait très bien que ce n’est pas un simple oukase qui peut mettre fin à l’expansion atlantique, c’est à dire hamériquaine, mais la guerre seule. Pourquoi la Russie devrait elle admettre que des États de son voisinage soient associés avec l’Hamérique, ennemie du monde entier. Avec l’Europe, soit, avec l’Hamérique, non. Imaginez-vous une stupide imbécile, parfaitement plouc, choisie comme vice-président potentiel en Russie (à un poste équivalent, évidemment). Imaginez-vous des concours de vomi en Russie ? Où est la barbarie] les États démocratiques qui souhaitent y être associés, alors il n’y aura pas de coopération authentique entre l’Europe et la Russie. Rien n’oblige à forcer le rythme de l’élargissement [du cercle de ses amis, c’est très cochon ça] et rien ne justifie de l’accompagner d’une thématique antirusse [vraiment ?]. Mais le subordonner au bon vouloir de la Russie serait inacceptable et refléterait une conception des relations internationales et de la sécurité en Europe qui est désormais caduque [et pourquoi donc la Russie devrait-elle subir, elle, le bon vouloir hamériquain ? Il faudra bien faire, cependant, avec le bon vouloir mégatonique russe]. Il n’existe pas de limites prédétermi­nées au processus d’expansion de l’Europe démocratique [je conchie cette Europe démocrachique et serve] et aucun État n’est en droit de lui fixer des bornes géographiques [c’est la meilleure, et pourquoi donc ? Elle s’étendra donc jusqu’en Chine (avec l’OTAN, évidemment) ?], déter­minées selon des critères politiques arbitraires [il n’y a rien qui soit moins arbitraire que les critères russes dans les derniers événements : il y va de leur liberté sinon de leur survie].

Dans un avenir proche, il paraît improbable que la Russie accepte de satisfaire ces deux préalables. L’état de l’opinion et l’attitude des dirigeants ne se prêtent guère à ces accommodements [le connard n’avait encore rien vu, le pire était à venir]. Endosser ce choix exige un acte de volonté politique énorme et sans doute un leader d’exception [il est là, le leader d’exception !]. Rien ne présage que ces conditions seront remplies dans l’immédiat. La crise engendrée par la fin du communisme et de la vocation impériale affecte la Russie en profondeur [mais pas les hamériquains qui ne se sentent plus pisser depuis ? Sainte nitouche]. Bien plus encore qu’en Europe centrale, la résoudre nécessitera du temps [après qu’il a tiré un coup, combien de temps faut-il au canon pour se refroidir ?]. Du temps, il en fau­dra aussi avant que n’émerge une direction politique stable, por­teuse d’un projet à long terme, d’une vision européenne, démocratique, nationale et réellement moderne pour la Russie [c’est fait]. A ce jour, le personnel politique russe n’a pas trouvé son Kémal Ataturk [c’est fait, malheur aux barbus]. Néanmoins, les Russes devront prendre conscience du fait qu’une redéfinition de leur identité sur des critères nationaux, exclusifs de tout projet impérial est la condition de leur libé­ration  [c’est fait, et les armes à la main], non de leur capitulation [ils viennent de le prouver]. Ils devront reprendre à leur compte la ligne défendue par Boris Eltsine dans son discours de Kiev, en 1990. Une Russie débarrassée de ses prétentions impériales sera toujours une grande puissance [bravo : on l’a vu récemment], embrassant l’Eurasie, la plus grande étendue territoriale à la surface du globe [ce qu’a souligné le premier ministre russe lors de son entrevue avec le Figaro ci(seaux)].

Le plus probable est que la redéfinition de l’identité de la Russie, de son rôle et de ses frontières procédera par étapes [non, soudain, l’été dernier]. Durant toute cette période, l’Ouest devra conserver une attitude ferme et avisée, et contribuer à la clarification. L’Europe et l’Amérique pourraient d’ores et déjà proposer à la Russie une charte avec l’OTAN. Avant même d’aboutir, les partenaires de cet accord devraient explorer les axes possibles d’un futur système continental de sécurité et de coopération, plus formalisé que la structure lâche de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Et si la Russie consolide ses institutions démocratiques, si son économie de marché se développe, des formules de rapprochement de plus en plus étroites avec l’OTAN et l’Union européenne mériteraient d’être prises en considération [bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla bla].

Simultanément, l’Ouest doit maintenir ses deux préalables. La stabilisation économique et politique [politique de marionnettistes] des nouveaux États contraint la Russie à une redéfinition historique de son identité.

En conséquence, le soutien aux nouveaux États post-soviétiques, c’est-à-dire l’illustration du pluralisme politique dans l’aire de l’ex-Union soviétique, orientera la Russie vers l’option européenne. Parmi ces États, trois possèdent une importance géopolitique particulière : l’Azerbaïdjan, l’Ouzbékistan et l’Ukraine.

L’Azerbaïdjan indépendant offre à l’Ouest un corridor d’accès au bassin de la Caspienne, à ses richesses énergétiques et à l’Asie centrale. Dominé, ce pays isolerait l’Asie centrale du monde extérieur, qui deviendrait alors sensible aux pressions politiques russes en faveur d’une nouvelle intégration. L’Ouzbékistan, le plus dynamique et le plus peuplé des pays d’Asie centrale serait l’obstacle majeur à une restauration du contrôle russe sur la région. De son indépendance dépend celle des autres États de la région. Il est le moins vulnérable aux pressions [hamériquaines étant à quinze mille kilomètres de Washington. Notre président américano-français vomit les sphères d’influence sauf quand l’influence est hamériquaine et s’exerce à quinze mille kilomètres de Washington].

L’Ukraine constitue cependant l’enjeu essentiel. Le processus d’expansion de l’Union européenne et de l’OTAN est en cours. A terme, l’Ukraine devra déterminer si elle souhaite rejoindre l’une ou l’autre de ces organisations [et pourquoi la Russie devrait-elle tolérer que son voisin ukrainien rejoigne une organisation hamériquaine ?]. Pour renforcer son indépendance, il est vraisemblable qu’elle choisira d’adhérer aux deux institutions, dès qu’elles s’étendront jusqu’à ses frontières et à la condition que son évolution intérieure lui permette de répondre aux critères de candidature [et si la Russie le permet (pour l’OTAN), sinon, ce sera la guerre]. Bien que l’échéance soit encore lointaine, l’Ouest [c’est à dire l’Hamérique et ses caniches] pourrait dès à présent annoncer que la décennie 2005-2015 devrait permettre d’impulser ce processus [eh bien, voilà, nous y sommes]. Ainsi, les Ukrainiens auraient la certitude que l’extension de l’Europe ne s’arrêtera pas à la frontière ukraino-polonaise. [mais alors, qui garantira aux Russes qu’elle s’arrêtera à la frontière russe ?] Dès à présent, l’Ouest [pas l’Europe, notez bien, mais l’Ouest] peut renforcer ses liens de coopération et de sécurité avec Kiev.

Malgré toutes ses protestations, la Russie acceptera sans aucun doute la première étape de l’expansion de l’OTAN vers l’est, prévue pour 1999. Un véritable gouffre culturel et social s’est creusé entre elle et les pays candidats depuis la chute du communisme [heureusement pour la Russie, c’est le gouffre entre la servitude et la liberté, maudit crétin]. Aussi n’a-t-elle aucune raison de s’entêter dans une cause perdue [la liberté est une cause perdue, yankee de mierda]. En revanche, l’intégration de l’Ukraine bouleverse les certitudes les plus enracinées. L’admettre, c’est reconnaître que le destin de ce pays ne dépend plus d’un lien organique avec la Russie. La survie de l’Ukraine comme État indépendant suppose qu’elle s’arrime fermement à l’Europe centrale et s’émancipe de la région eurasienne. En toute logique [logique US seulement, pas en logique russe, ni même en logique aristotélicienne], il lui revient de partager les liens que l’Europe centrale entretient avec l’OTAN et l’Union européenne. L’attitude de la Russie sur ce sujet servira de révélateur [en effet ! sacré coup de révélateur. Vive la Russie] : aura-t-elle choisi de devenir un acteur européen [vous aurez noté : choisir de devenir un acteur européen c’est accepter, selon Zbig, d’être vassalisé comme les autres pays européens le sont déjà. Quelle contradiction. En fait il s’agit là de devenir Hamériquain (je mets une « h » afin de ne pas offenser les Américains centraux et du sud). Pour Zbig, devenir Européen suppose de devenir Hamériquain. C’est ça la logique hamériquaine. La Russie, en toute bonne logique, a accepté que l’Ukraine devienne européenne, mais elle a refusé qu’elle devienne hamériquaine, idem pour la Géorgie. C’est la moindre des choses quand même. Les merdeuses zélytes européennes sont tellement vassalisées qu’elles ne peuvent comprendre cela], ou, rejetant cette option, s’entêtera-t-elle à poursuivre une identité eurasienne [pourquoi eurasienne, identité russe tout simplement] et un destin solitaire, émaillé de conflits avec son proche voisin ?

La Russie ne peut pas être en Europe si l’Ukraine n’y est pas, alors que l’Ukraine peut y être sans la Russie. On ne doit jamais perdre de vue ce constat simple et crucial [toujours la logique hamériquaine qui oublie simplement que l’Ukraine ne peut pas être dans l’OTAN si la Russie n’y est pas, comme en a fait l’offre honnêtement le colonel Poutine du temps qu’il « faisait président »]. Dans le cas où la Russie miserait son avenir sur l’Europe, l’intégration de l’Ukraine servirait ses intérêts. De ce point de vue, les relations entre l’Ukraine et l’Europe peuvent constituer la pierre de touche du destin de la Russie [non, la pierre de touche du destin de l’Europe, vassale ou libre, imbécile ; la Russie est libre, elle l’est depuis mille ans]. Cela signifie que Moscou jouit encore d’un court répit avant l’heure des choix.

Amère ironie du sort : les Russes, du moins les siloviki, ont eu tout le temps nécessaire pour lire cet ouvrage (et bien d’autres, évidemment), puis ils ont pu voir et comprendre ce qui se passait dans les vrais Balkans à partir de 1999. Il s’ensuivit qu’ils étaient parfaitement prévenus et prêts lorsque les Hamériquains s’avisèrent d’activer leur marionnette qui, du coup, en bouffa sa cravate.

On doit souhaiter que les liens entre l’Europe élargie et la Russie dépassent le cadre des relations bilatérales et s’orientent vers une coopération plus organique dans tous les domaines. Ainsi, dans les vingt premières années du prochain siècle, on peut envisager son intégration progressive au sein d’une Europe qui non seulement embrasserait l’Ukraine, mais rayonnerait jusqu’à l’Oural et au-delà. Des formes spécifiques d’association, un statut de membre associé, conçus pour faciliter la participation russe aux structures européennes et atlantistes [le rêveur, les Russes atlantistes, les Russes vassaux comme les merdeux européens. Vive la fière Russie], prépareraient l’inclusion future des trois pays caucasiens la Géorgie, l’Arménie, l’Azerbaïdjan —, si désireux d’entretenir des relations avec l’Europe [et avec l’OTAN sans doute ? Rêveur].

Prévoir le rythme de ce processus est impossible. Une seule certitude : il sera accéléré si le contexte géopolitique permet d’éloigner la Russie d’autres tentations [celles de la liberté et de l’indépendance, sans doute. Le premier ministre rappelait que la Russie était une vieille nation qui avait eu le privilège de posséder une politique extérieure indépendante pendant mille ans, à comparer avec les deux cents ans du pays des puritains]. Plus vite elle se tournera vers l’Europe [et vers l’OTAN sans doute ? US GO HOME], plus tôt le trou noir eurasien sera comblé par une société moderne et démocratique. Déjà, le choix européen n’est plus une simple alternative géopolitique, mais un impératif de survie [pour qui, imbécile ? C’est bien ainsi que l’ont compris les Russes, crétin].

 

 

5. Les Balkans eurasiens

 

En Europe, le terme « Balkans » évoque conflits ethniques et rivalités régionales de grande envergure. L’Eurasie possède, elle aussi, ses « Balkans », mais ceux-ci sont beaucoup plus vastes, plus peuplés et bien plus hétérogènes d’un point de vue religieux et ethnique. Ils sont situés à l’intérieur d’une vaste zone géographique oblongue, particulièrement instable, qui englobe des portions du Sud-Est de l’Europe, de l’Asie centrale et méridionale, la région du golfe Persique et le Moyen-Orient.

Les Balkans eurasiens constituent le cœur de cette vaste zone oblongue et ils différent des régions périphériques d’une manière particulièrement importante : ils constituent une zone de pouvoir vacant. Bien que la plupart des États du golfe Persique et du Moyen-Orient soient également instables, l’Amérique joue le rôle d’ultime arbitre pour eux. L’instabilité de cette région est donc tempérée par l’hégémonie d’une puissance unique. Par contraste, les Balkans eurasiens rappellent beaucoup les anciens Balkans d’Europe du Sud-Est, qui nous sont plus familiers : non seulement les entités politiques qui les composent sont instables, mais elles incitent et encouragent l’intrusion de voisins plus puissants, qui sont tous déterminés à s’opposer à la domination de la région par un autre. C’est cette combinaison caractéristique de pouvoir vacant et de velléité d’absorption de la part d’une puissance extérieure qui justifie l’appellation de « Balkans eurasiens ».

Les Balkans traditionnels représentaient un atout géopolitique dans la lutte pour la suprématie européenne. Les Balkans eurasiens, qui sont traversés par un nouveau réseau de transports destiné à relier d’une manière plus directe les extrémités orientale et occidentale les plus riches et les plus industrielles d’Eurasie, revêtent également une grande importance géopolitique. Par ailleurs, s’agissant de sécurité et d’ambitions historiques, ils présentent un intérêt significatif au moins pour trois de leurs voisins les plus proches et les plus puissants, à savoir la Russie, la Turquie et l’Iran, la Chine commençant également à nourrir des visées politiques sur la région. Mais c’est essentiellement d’un point de vue économique que les Balkans eurasiens représentent un atout potentiel : la région renferme une énorme concentration de réserves de gaz naturel, d’importantes ressources pétrolières, auxquelles viennent s’ajouter des gisements de minerais, notamment des mines d’or.

Dans les vingt ou trente prochaines années, la consommation mondiale d’énergie ne manquera pas de s’accroître considérablement. Le ministère américain de l’Énergie estime que la demande mondiale augmentera de plus de 50 % entre 1993 et 2015, l’accroissement le plus important survenant en Extrême-orient. Le dynamisme économique de l’Asie engendre déjà de fortes pressions en faveur de l’exploration et de l’exploitation de nouvelles sources d’énergie. Or l’Asie centrale et le bassin de la mer Caspienne sont réputés renfermer des réserves de gaz naturel et de pétrole qui n’ont rien à envier à celles du Koweït, du golfe du Mexique ou de la mer du Nord.

L’accès à ces ressources et le partage de leurs richesses potentielles constituent des enjeux qui attisent les convoitises nationales, stimulent les entreprises, raniment les revendications historiques, ravivent les visées impérialistes et encouragent les rivalités internationales. La situation est d’autant plus explosive que la région non seulement constitue une zone de pouvoir vacant, mais est également instable sur le plan interne. Chacun des pays qui la composent souffre de graves difficultés nationales. Tous ont des frontières qui sont contestées par leurs voisins ou par des minorités ethniques. Bien peu présentent une homogénéité nationale et certains sont déjà engagés dans des luttes territoriales, ethniques ou religieuses.

Résumons nous : la Russie veut bien de l’Europe à sa porte (comment pourrait-elle faire autrement d’ailleurs) ; mais elle ne veut pas de l’Hamérique à sa porte. Ces hommes de sang froid ne veulent pas de tarés à leur porte, notamment, pas de bouffeurs de cravate. Capito ? Plus simple, tu crèves. Les Russes ne sont ni des nègres, ni des Serbes.

 

François Fourquet : 25 thèses sur le capitalisme   

 

La situation de la classe laborieuse en Angleterre — 1845
Friedrich Engels
  

·        Avant-propos (E. J. Hobsbawm)

·        Aux classes laborieuses de Grande-Bretagne

·        Préface

·        Préface à l’édition américaine de 1887

·        Préface à l’édition allemande de 1892

·        Introduction

·        Le prolétariat industriel

·        Les grandes villes

·        La concurrence

·        L’immigration irlandaise

·        Les résultats

·        Les différentes branches d’industrie

·        Les autres branches d’industrie

·        Mouvements ouvriers

·        Le prolétariat des mines

·        Le prolétariat agricole

·        L’attitude de la bourgeoisie à l’égard du prolétariat                                                                          

Note de l’éditeur : Voici le texte exact du passage célèbre (et vigoureusement critiqué par les ouvriers dès 1842) de la seconde édition du livre de Malthus. Ce passage fut supprimé dans les éditions suivantes, mais sans que les conceptions de Malthus aient changé pour autant. Cf. J. M. KEYNES : Essays in Biography (1933).

« Un homme qui est né dans un monde déjà occupé, s’il ne peut obtenir de ses parents la subsistance qu’il peut justement leur demander et si la société n’a pas besoin de son travail, n’a aucun droit à la plus petite portion de nourriture et, en fait, il est de trop. Au grand banquet de la nature, il n’y a pas de couvert pour lui. Elle lui commande de s’en aller et elle mettra elle-même promptement ses ordres à exécution, s’il ne peut recourir à la compassion de quelques-uns des convives du festin. Si ces convives se lèvent et lui font place, d’autres intrus se présentent immédiatement et demandent la même faveur. Le bruit qu’il existe des aliments pour tous ceux qui arrivent remplit la salle de nombreux quémandeurs. L’ordre et l’harmonie du festin sont troublés, l’abondance qui régnait auparavant se change en disette et le bonheur des convives est détruit par le spectacle de la misère et de la gêne qui règnent dans toutes les parties de la salle et par les clameurs importunes de ceux qui sont justement furieux de ne pas trouver les aliments qu’on leur avait laissé espérer. Les convives reconnaissent trop tard l’erreur qu’ils ont commise en enfreignant les ordres stricts à l’égard des intrus, donnés par la grande maîtresse du banquet, laquelle désirait que tous ses hôtes fussent abondamment pourvus et, sentant qu’elle ne pouvait pourvoir un nombre illimité de convives, refusait par un souci d’humanité d’admettre des nouveaux venus quand la table était déjà remplie.»

(MALTHUS : Essay on the principle of population, livre IV, ch. VI, pp. 531-532. Seconde édition 1803 (traduction Guillaumin, 1845). Cf. Jean FRÉVILLE : La Misère et le Nombre. 1. L’épouvantail malthusien, Éditions Sociales, 1956, pp. 167-168

 

L’esclavage misérable dans lequel l’argent tient le bourgeois marque même le langage, du fait de la domination de la bourgeoisie; l’argent fait la valeur de l’homme; cet homme vaut 10,000 livres (he is worth ten thousands pounds), c’est-à-dire il les a. Quiconque a de l’argent est « respectable », appartient à « la meilleure catégorie de gens » (the better sort of people), est « influent » (influential) et ce qu’il accomplit fait époque dans son milieu. Le sordide esprit mercantile imprègne la langue tout entière, tous les rapports humains sont traduits en formules commerciales expliquées sous forme de catégories économiques. Commande et fourniture, demande et offre, supply and demand, telles sont les formules à l’aide desquelles la logique de l’Anglais juge toute la vie humaine. Voilà qui explique la libre concurrence partout, voilà qui explique le régime du « laissez-faire » et du « laisser-aller » dans l’administration, dans la médecine, l’éducation et bientôt aussi dans la religion où la domination de l’Église d’État s’effondre de plus en plus. La libre concurrence ne veut pas de limites, pas de contrôle d’État; tout l’État lui pèse, son vœu le plus cher serait d’être dans un régime tout à fait dépourvu d’État, où chacun pourrait exploiter son prochain à cœur joie comme dans la « société » de notre ami Stirner, par exemple. Mais comme la bourgeoisie ne peut se passer de l’État, ne serait-ce que pour tenir en respect le prolétariat qui lui est tout aussi nécessaire, elle utilise le premier contre le second et cherche à tenir l’État le plus possible à distance en ce qui la concerne.

Rien de nouveau sous le soleil depuis deux siècles sinon que l’imbécile criminel Hayek a remplacé l’ordure finie Malthus, pasteur, comme il se doit.

 

La gouvernance unipolaire est illégitime et immorale par Vladimir Poutine →  

 

Un peu de lecture – François Fourquet       
Une société mondiale 
→  
La double nature de la religion →  
Une religion mondiale →  

Vive la crise

Keynes – Théorie générale – Notes finales   

 

La fuite devant les biens réels

Ce à quoi nous avons assisté depuis trente ans

Seconde note du traducteur

(de la Théorie générale de Keynes)

(…)

Dans les dernières années de sa vie Keynes pressentait qu’il ne serait pas possible de concilier le plein emploi avec la stabilité des prix. Vingt ans plus tard les dirigeants politiques semblent le découvrir à leur tour. M. Callaghan, Chancelier de l’Echiquier, et M. Pompidou ont fait des déclarations en ce sens, respectivement en novembre 1967 et en janvier 1968. Dès l’année 1951, un des disciples les plus illustres de Keynes, Abba Lerner, estimait dans son livre Economics of Employment que la moyenne des salaires devrait être stabilisée par une action syndicale ou gouvernementale pour que le plein emploi pût être atteint. C’est de la même idée que s’inspire la Politique dite des Revenus, qui tend à soumettre les salaires au contrôle des autorités, ainsi que les profits, les rentes et les autres revenus. Cette Politique, en paralysant le mécanisme des prix, nous paraît propre à causer plus de pertes du côté du rendement que de gains du côté de l’emploi. C’est un paradoxe, à nos yeux révélateur, que la Théorie Générale, dont tant de pages attestent le profond attachement de Keynes à l’individualisme et aux libertés, ait conduit à des méthodes aussi attentatoires à ces principes. Ladite Théorie, il est vrai, contient également des anathèmes répétés contre le « laissez faire ». En bonne logique ces anathèmes auraient dû être dirigés contre la monnaie de crédit ; mais ils ne pouvaient l’être, de toute évidence, dans une théorie fondée sur l’usage d’une telle monnaie

L’on trouve pourtant dans la Théorie Générale une vérité qui nous paraît être le principe de toute science monétaire. Elle n’y figure pas sous la plume de Keynes, mais sous celle d’un historien orthodoxe, Heckscher, qui est cité dans ces termes : « La fuite devant les biens réels est, dans une économie monétaire, l’attitude la plus normale de l’homme naturel » (p. 346). L’évasion hors des biens réels (il vaudrait mieux dire hors des biens déterminés), puisqu’elle est impossible en régime de troc, est en effet spécifique des économies monétaires. Mais elle n’est dangereuse pour l’emploi que si elle mène à l’impasse d’un métal précieux ou aux abstractions de la monnaie de crédit. Elle aurait peu de conséquence si elle conduisait à une monnaie elle-même constituée de biens réels, susceptibles d’être produits et consommés. Dans ce cas la monnaie serait un investissement en stocks liquides en même temps qu’un moyen d’épargne. L’égalité de l’épargne et de l’investissement serait maintenue dans l’ensemble de la communauté sans requérir les fluctuations du revenu global et de l’emploi, qui en sont le facteur nécessaire quand la monnaie est fiduciaire. En d’autres termes la fuite devant les biens réels n’est génératrice de chômage que lorsque l’expansion monétaire est impropre à fournir assez d’emploi, soit parce qu’elle est limitée par des causes physiques, comme dans le cas de la monnaie or, soit parce qu’elle risque de faire monter excessivement les salaires et les prix comme c’est le cas, nous l’avons vu, pour la monnaie de crédit. La clef du plein emploi ne doit donc pas être cherchée dans l’expansion monétaire, ni dans la Politique des Revenus, ni dans les autres expédients déduits de la Théorie Générale. Elle se trouve, à notre avis, dans l’abandon de cette institution empirique, injuste et inefficace qu’est la monnaie de crédit et son remplacement par une monnaie rationnelle, adaptée à ses fonctions économiques et sociales. Puisse l’ouvrage de Keynes aider à le comprendre.

Avril 1968.

JEAN DE LARGENTAYE. 

     

Le libre-échange contre la démocratie

Emmanuel Todd 

CHAPITRE 6

 

Le libre-échange contre la démocratie

(…)

L’incapacité structurelle des économistes français résulte donc de vieux équilibres culturels, non d’une déficience intellectuelle. Aussi, ces dernières années, les remises en question théoriques du libre-échange ont-elles eu lieu aux États-Unis plutôt qu’en France, où la population est cependant plus que partout ailleurs hostile à l’ouverture commerciale sans frein. Au moment même où Samuelson écrivait son désormais célèbre article sur les effets négatifs du libre-échange, la majorité de nos économistes dénonçaient la population française comme peureuse et passéiste . Mais ce sont eux qui sont en retard, authentiques ringards de leur propre discipline. Deux exceptions notables doivent être mentionnées. Jean-Luc Gréau évoque dans L’Avenir du capitalisme la possibilité d’un remède protectionniste à la globalisation devenue folle ♦♦. Cet économiste hors norme a été renvoyé du Medef, pour cause de compétence sans doute. Jacques Sapir, qui défend aussi le protectionnisme, a quant à lui toujours été original puisqu’il est entré dans le métier en étudiant les cycles économiques dans l’économie planifiée soviétique.

 (P.A. Samuelson, “Where Ricardo and Mill Rebut and Confirm Arguments of Mainstream Economists Supporting Globalization”, Journal of Economic Perspectives, vol. 18, n° 3, été 2004, p. 135-146.)

♦♦ (J.-L. Gréau, L’Avenir du capitalisme, Gallimard, 2005.)

Avec le discours anti-pensée unique concocté par Henri Guaino pour Nicolas Sarkozy, la ringardise des économistes français a atteint le sommet de l’État. Au stade actuel de maturation des déséquilibres mondiaux, alors que l’euro s’envole et que la liquidation de l’appareil productif français et européen s’accélère, il ne suffit plus de dénoncer la force de la monnaie, de réclamer des baisses de taux d’intérêt, ainsi qu’on le faisait en 1992 et 1998. La critique doit être plus radicale, les solutions plus audacieuses et actives.

Le libre-échange n’est plus un sujet intellectuellement intéressant. Il y a une dizaine d’années, l’argumentation pour et contre avait pour but d’anticiper ses conséquences positives et négatives. Elles sont désormais sous nos yeux. Ressasser les bienfaits des avantages comparatifs théorisés par Ricardo — bla-bla habituel des énarques qui ne comprennent pas l’économie — constitue une négation schizophrénique de la réalité : baisse des revenus du plus grand nombre, enrichissement exagéré de 1 % de ploutocrates, contraction de l’État social, incertitude, peur. — Bref, le monde du rapport Attali et de l’ajustement structurel dans lequel, on l’a vu, tout doit être réduit, en proportion des salaires comprimés par le coût mondial du travail. Nous voyons diminuer, en une cascade rapide, les revenus des professions, les unes après les autres, les sécurités obtenues au terme de luttes sociales séculaires, le nombre des ouvriers, des hôpitaux, des enseignants, des heures de cours, des tribunaux. À quand la réduction du nombre des Français ! [pendant ce temps, le nuisible mini-président continue de nuire]

L’ouverture commerciale peut être bénéfique dans certaines phases de l’histoire économique, entre certaines régions, entre certains pays, mais il existe aussi des phases durant lesquelles la protection s’avère nécessaire.

Les conséquences actuelles du libre-échange sont connues et mesurables. Conformément à la théorie, que l’on pourra trouver dans n’importe quel manuel d’économie internationale, les inégalités augmentent. Court-circuitant la sophistication du théorème de Heckscher-Ohlin, disons simplement que l’unification des marchés du travail et du capital aboutit à introduire dans chaque pays le niveau d’inégalité qui sévit à l’échelle mondiale . C’est pourquoi le libre-échange tend à créer, à l’intérieur des pays développés, des poches de pauvreté dignes du tiers-monde ; pourquoi aussi les riches du tiers-monde s’éloignent toujours plus, quant aux revenus, du gros de leur population.

 (Sur le caractère trivial de la loi de Heckscher-Ohlin qui associe les proportions relatives des facteurs travail et capital à la spécialisation d’une notion dans le commerce international, voir E. Todd, L’Illusion économique, op. cit., p. 217.)

La réalisation par l’ouverture commerciale du nouvel idéal inégalitaire

Chacune des sociétés développées souffre dans sa masse de l’asphyxie progressive de la demande par le libre-échange, de la suppression de toute régulation macro-économique budgétaire par abandon du cadre national. Une telle mécanique historique conduit à la naissance d’un monde triste, écrasé par l’attente d’un futur régressif, dans lequel chacun cherche à sauvegarder sa place, espérant qu’avant lui son voisin, une autre profession, une autre tranche d’âge, payera le prix de la contraction. Avec au cœur le lâche espoir de toucher sa retraite et de décéder avant le Jugement dernier. En termes psychologiques et moraux, nous sommes tous touchés, diminués par le rétrécissement de l’avenir. Sur le plan purement économique, l’ouverture commerciale affecte de façon différentielle les secteurs, les professions et les classes. Le commerce Nord-Sud, en particulier, a puissamment contribué à /217/ l’introduction dans le monde développé d’une souffrance économique différentielle.

En vertu d’une loi très simple — mise en évidence dès les années 30 par deux économistes suédois, Eli Heckscher et Bertil Ohlin — qui associe les proportions relatives des facteurs travail et capital à la spécialisation d’une nation dans le commerce international. Certains pays ont du capital en abondance par rapport au travail, et le travail y est en conséquence cher ; d’autres, à l’inverse, ont du travail en abondance par rapport au capital et c’est le capital qui est cher. Le coût relatif de ses facteurs de production conduit chaque pays à se spécialiser dans le domaine où ses coûts relatifs sont les moins élevés. Il est parfois rassurant de voir les économistes aboutir à quelques conclusions de bon sens : nous pouvons empiriquement constater que les biens exportés par la Chine et l’Inde contiennent effectivement beaucoup de travail et peu de capital ; que, symétriquement, les biens exportés par l’Allemagne ou le Japon résultent d’un dosage productif inverse. Le théorème de Heckscher et Ohlin est souvent considéré par les économistes eux-mêmes comme trivial, « self-evident ». Il se contente de retrouver le sens commun des travailleurs des pays développés qui constatent la submersion des industries de main-d’œuvre par les importations en provenance du tiers-monde. Conséquence importante et non moins évidente : la loi d’égalisation du coût des facteurs. Dans un tel échange, salaires et rémunérations du capital convergent vers une moyenne mondiale, résultat auquel on peut arriver par une intuition très simple : il ne s’agit après tout que de réaliser, par la fusion commerciale des nations, un seul marché mondial du capital et du travail, ou plusieurs marchés mondiaux superposés du travail si l’on /218/ ajoute l’hypothèse, réaliste, de l’existence de niveaux de qualification très divers. Circulations des marchandises, du capital et des hommes concourent à une même unification du marché mondial. Bref, dans les pays développés, les salaires des individus faiblement qualifiés, mis en concurrence avec la main-d’œuvre illimitée du tiers-monde, vont baisser, ceux des travailleurs fortement qualifiés, rares relativement à l’échelle mondiale, vont augmenter ainsi que la rémunération relative du capital, autre rareté sur une planète en forte croissance démographique. Le libre-échange permet la montée d’inégalités importantes dans les pays développés, mieux, l’introduction en leur sein des inégalités mondiales. C’est ce que n’expliquent pas des manuels d’économie internationale ultraconformistes comme celui de Krugman et Obstfeld, mais qu’avouent en termes simples des manuels honnêtes comme celui de Dunn et Ingram :

« La redistribution des revenus induite par le commerce international rend très problématique la conclusion antérieure que le libre-échange doit accroître le bien-être économique dans les deux pays. Quoique le revenu total (PNB réel) augmente clairement dans chaque pays grâce au commerce, certains groupes sociaux gagnent beaucoup tandis que d’autres perdent. Le facteur de production relativement abondant gagne, mais le facteur rare perd. »

Et plus loin :

« Ce problème est particulièrement difficile pour les États-Unis, où le facteur rare, en termes relatifs, est le travail non qualifié. Dans ce pays-ci, les bénéficiaires /219/ du libre-échange sont les propriétaires de terres agricoles, les possesseurs de capital humain (les individus à haut niveau d’éducation) et ceux dont le capital financier est investi dans les industries d’exportation. Les perdants sont un petit nombre de propriétaires de terres tropicales à Hawaii ou en Floride, et un grand nombre de travailleurs non qualifiés ou semi-qualifiés. »

Ce modèle très simple s’applique en fait moins bien aux États-Unis qu’à d’autres pays développés. Il doit être nuancé par l’hypothèse d’une évolution autonome des qualifications de la main-d’œuvre dans chaque pays, qui transforme le facteur travail en un terme instable de l’équation. Lorsque entre 1960 et 1990, le Japon et certains pays européens dépassent, par le niveau culturel et la qualification, les États-Unis, ils modifient évidemment les conditions d’application du théorème de Heckscher-Ohlin. Dans le cas de l’Amérique, on peut observer, empiriquement, durant toute la période 1965-1995, le lien statistique entre libre-échange et montée des inégalités. Mais il faut admettre, avec Lester Thurow, que la première pesée sur les salaires des travailleurs faiblement qualifiés du monde industriel américain, dans les années 70, fut exercée, non par le tiers-monde, mais par le Japon et l’Allemagne, alors à des niveaux de salaire très faibles pour des qualifications supérieures . « La chute des salaires réels a commencé plus tôt aux États-Unis qu’ailleurs dans le premier monde, précisément parce que, dans les années 70 et au début des années 80, l’égalisation du coût des facteurs se produisait à l’intérieur de l’OCDE. » /220/

Les analyses de Thurow sur l’existence de concurrences externes successives pesant sur les salaires américains sont capitales. Elles présupposent une vision réaliste et dynamique des sociétés, et en particulier une perception non statique du tiers-monde. Après l’Angleterre, mais avant d’autres nations, l’Amérique vient de faire l’expérience du dépassement par des sociétés, européennes ou japonaise, qu’elle percevait comme moins avancées. Elle sait donc qu’un pays n’appartient pas pour l’éternité à tel ou tel monde. La sphère occidentale découvre aujourd’hui le décollage d’une bonne partie de l’Asie orientale. Rien ne nous autorise à penser que des pays comme la Corée, Taiwan, la Chine ou la Thaïlande se contenteront, tant qu’ils ne seront pas asphyxiés par le retard de la demande mondiale, d’exporter des biens industriels simples, à fort contenu en travail et à faible valeur ajoutée. La montée en gamme de la Corée, à la suite du Japon, est déjà évidente. Si l’on veut prévoir les trajectoires des pays en question, il faut rester conscient de la dimension anthropologique et culturelle du progrès, qui porte, pour ainsi dire, le développement économique. La production de biens industriels par ces pays ne résulte pas, en dernière instance, d’une politique économique savamment tournée vers l’exportation et d’investissements publics judicieux dans les infrastructures routières ou portuaires. Le décollage économique est en un sens plus général et primordial l’effet pur et simple du décollage culturel : les taux d’alphabétisation asiatiques, rapidement ascendants, ont atteint, dans les années 80, le seuil qui permet le décollage. La vitesse de progression économique est particulièrement impressionnante là où une forte discipline familiale dope l’intensité du travail et favorise une organisation industrielle autoritaire. Pour qui croit en /221/ l’existence d’une détermination anthropologique et culturelle du progrès, l’irruption de l’Asie orientale sur la scène économique n’est en rien un mystère, et j’avais d’ailleurs évoqué son inéluctabilité dans L’enfance du monde en 1984. Ce décollage, sur fond d’alphabétisation de masse, intervient dans la période d’homogénéisation culturelle des sociétés et s’accompagne donc d’une importante poussée démocratique et nationale, qui explique l’enthousiasme des États de la zone à protéger, par des politiques tarifaires et monétaires adaptées, la croissance de l’économie et l’enrichissement de tous. Le dynamisme des sociétés asiatiques ne pourra résister à l’affaissement de la demande des sociétés les plus avancées. Mais dans la phase intermédiaire d’écrasement des secteurs industriels des nations développées, les succès des pays émergents représentent aussi une victoire du sentiment démocratique.

Deux questions fondamentales sont absentes des manuels d’économie internationale.

D’abord, le retard tendanciel de la demande globale induit par la rupture des systèmes économiques nationaux. Dans la France d’après guerre, par exemple, idéologiquement segmentée mais fortement intégrée pour ce qui concernait les interactions culturelles entre les classes, les patrons savaient que les salaires distribués aux ouvriers contribuaient à la formation d’une demande intérieure nationale. Filant à la hausse, ces salaires permettaient d’absorber les gains de productivité. Dès lors qu’une entreprise produit essentiellement pour le marché mondial, elle se met, logiquement et raisonnablement, à concevoir les salaires qu’elle distribue comme un coût pur, et non comme de la demande dans une économie nationale et donc ultimement pour elle-même.

Ces salaires entrent, par ailleurs, en concurrence avec ceux, fort bas, des travailleurs du tiers-monde. Si toutes les entreprises de tous les pays du monde se mettent à considérer les salaires qu’elles distribuent comme un coût pur, dans le contexte d’une offre massive de travail à bas prix, les salaires tendent à se comprimer, et la demande à retarder sur la croissance de la productivité. Nous sommes ici dans le monde économique réel : les entreprises vivent dans l’obsession de la demande, qu’elles cherchent toujours plus à l’extérieur du territoire national, sans réaliser que si les entreprises des pays étrangers font la même chose, la situation ne va pas s’arranger.

Pour faire court, la désintégration des économies nationales d’après guerre a ramené le capitalisme à sa vieille contradiction : le retard de la demande sur la production, la recherche frénétique de débouchés extérieurs [Say et sa ridicule loi était un gros étron], la tension politique que cette quête finit par induire dans les relations internationales . Le libre-échange non régulé favorise aussi sûrement que l’autarcie totalitaire la haine entre les peuples ♦♦.

♦ Ce thème des débouchés extérieurs, dérivé de la problématique marxiste, est central dans l’Histoire de la pensée économique de Henri Denis, Presses universitaires de France, publié en 1966 mais qui retrouve une actualité saisissante.

♦♦ Sur la guerre comme effet possible du « laisser-faire » économique, voir Keynes, Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, Payot, 1969, p. 374 :`

/374/

Notes succinctes suggérées par la théorie générale

 

IV

Nous avons dit en passant que le nouveau système pourrait être plus que l’ancien favorable à la paix. Il convient de revenir et d’insister sur ce sujet.

Les causes de la guerre sont multiples. Les dictateurs et leurs semblables, à qui la guerre procure, au moins en perspective, un stimulant délectable, n’ont pas de peine à exciter le sens belliqueux de leurs peuples. Mais il existe en outre des causes économiques de la guerre, qui leur facilitent l’entretien de la flamme populaire, à savoir : la poussée de la population et la compétition autour des débouchés. Cette dernière cause, qui a joué au XIXe siècle et jouera peut-être encore un rôle prédominant, a un rapport étroit avec notre sujet.

Nous avons signalé dans le chapitre précédent que sous un régime de laissez-faire intérieur et d’étalon-or international, comme celui qui était orthodoxe pendant la seconde moitié du XIXe siècle, le seul moyen pour les Gouvernements de soulager la détresse économique de leur pays était de lutter pour la conquête des marchés extérieurs. Les remèdes au chômage chronique ou intermittent se trouvaient tous exclus à l’exception des mesures destinées à améliorer la balance extérieure des revenus.

Les économistes avaient coutume de célébrer le système international existant parce qu’il procurait les fruits de la division internationale du travail tout en conciliant les intérêts des différentes nations ; mais ils laissaient dans l’ombre une conséquence moins bienfaisante de ce système. Et certains hommes d’État faisaient preuve de bon sens et d’une juste compréhension de l’ordre réel des choses lorsqu’ils soutenaient qu’un riche et vieux pays qui néglige la lutte pour les débouchés voit sa prospérité décliner et s’évanouir. Or, si les nations pouvaient apprendre à maintenir le plein emploi au moyen de leur seule politique intérieure (et aussi, faut-il ajouter, si elles pouvaient atteindre un équilibre démographique), il ne devrait pas y avoir de force économique importante propre à dresser les intérêts des divers pays les uns contre les autres. Il y aurait encore place pour la division internationale du travail et pour l’octroi de prêts à l’étranger en des conditions appropriées. Mais aucun pays n’aurait plus un motif puissant d’imposer ses produits aux autres pays et de refuser les leurs,

Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie /375/ comme ils le font aujourd’hui, non parce que cette politique est nécessaire pour leur permettre de payer ce qu’ils désirent acheter à l’étranger, mais parce qu’ils cherchent ouvertement à rompre l’équilibre des paiements de manière à rendre leurs balances commerciales créditrices. Le commerce international cesserait d’être ce qu’il est, c’est-à-dire un expédient désespéré pour préserver l’emploi intérieur des pays en stimulant les ventes et en restreignant les achats au-dehors ; moyen qui, lorsqu’il réussit, ne fait que transférer le problème du chômage au pays le moins bien placé dans la lutte. Il deviendrait un échange de marchandises et de services, réalisé librement et sans obstacle, en des conditions comportant des avantages réciproques.

 

V

Est-il chimérique d’espérer que ces idées se réaliseront ? Sont-elles trop étrangères aux motifs qui gouvernent l’évolution des sociétés organisées ? Les intérêts qu’elles desservent sont-ils plus puissants et plus apparents que ceux qu’elles favorisent ?

Nous n’entreprendrons pas de répondre ici à ces questions. Pour indiquer, ne fût-ce que dans les grandes lignes, les mesures pratiques qu’on pourrait échafauder progressivement sur ces idées, il faudrait un ouvrage bien différent de celui-ci. Mais, si les idées sont justes — et il est difficile à l’auteur de faire une autre hypothèse — on aurait tort, nous le prédisons, de méconnaître l’influence qu’à la longue elles doivent acquérir. Le monde se trouve aujourd’hui dans une impatience extraordinaire d’un diagnostic mieux fondé ; plus que jamais il est prêt à l’accepter et désireux de l’éprouver, même s’il n’est que plausible. Abstraction faite de cette disposition d’esprit particulière à l’époque, les idées, justes ou fausses, des philosophes de l’économie et de la politique ont plus d’importance qu’on ne le pense en général. À vrai dire le monde est presque exclusivement mené par elles. Les hommes d’action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont d’ordinaire les esclaves de quelque économiste passé. Les visionnaires influents, qui entendent des voix dans le ciel, distillent des utopies nées quelques années plus tôt dans le cerveau de quelque écrivailleur de Faculté. Nous sommes convaincu qu’on exagère grandement la force des intérêts constitués, par rapport à l’empire qu’acquièrent progressivement les idées. À vrai dire, elles n’agissent pas d’une façon immédiate, mais seulement après un laps de temps. Dans le domaine de la philosophie économique et politique, rares sont les hommes de plus de vingt-cinq ou trente ans qui restent accessibles aux théories nouvelles. Les idées que les fonctionnaires, les hommes politiques et même les agitateurs appliquent à la vie courante ont donc peu de chance d’être les plus neuves. Mais ce sont les idées et non les intérêts constitués qui, tôt ou tard, sont dangereuses pour le bien comme pour le mal.

Chapitre complet   

On ne trouvera pas non plus dans les manuels d’économie internationale une explication à la spécialisation loufoque de l’économie américaine. La théorie des avantages comparatifs de Ricardo nous dit que chaque pays devrait se spécialiser dans la production des biens pour laquelle il est relativement le plus doué. Déviant notablement dans la mise en pratique de ce conte de fées, les États-Unis se spécialisent dans la consommation [quels farceurs ces Hammerloques], avec beaucoup d’efficacité il est vrai, ainsi qu’en témoigne leur déficit commercial annuel de 800 milliards de dollars. Le silence des économistes a une cause très simple : l’explication se situe hors de portée de leur science, que son axiomatique simpliste a détachée de la réalité du monde des États, des sociétés, des nations  [autre manière de dire que l’objet présumé de l’économie n’existe pas]. Les États-Unis consomment sans frein parce qu’ils sont encore politiquement dominants. Leur armée, vestige de leur splendeur industrielle passée, leur prestige idéologique résiduel leur permettent — pour combien de temps encore ? — de « produire » la monnaie du monde, le dollar, plutôt que des biens. Mais la chute vertigineuse du dollar, qui a perdu entre 1999 et 20081e quart de sa valeur face à l’euro, signale que la fin est proche, même si les gens sérieux préfèrent détourner les yeux du cataclysme imminent pour profiter de la vie, des inégalités. L’obsession du court terme n’affecte pas seulement les marchés financiers ; elle est la loi d’un monde sans perspective métaphysique. « S’il vous plaît, encore une minute monsieur le bourreau ! »

♦ (Pour une critique ancienne mais définitive d’une science économique détachée de l’histoire, et des nations, voir l’ouvrage classique de Friedrich List, Système national d’économie politique, réédition Gallimard, coll. « Tel », 1998.)

Dans ses traits généraux, l’adhésion au dogme libre-échangiste recoupe l’intérêt personnel. Les détenteurs de capital, facteur de production relativement abondant dans les pays développés, sont favorisés, dans tous les cas de figure, et, au jour du Jugement dernier, ils seront sans doute les derniers fidèles de la foi. Les gens instruits, facteur de production qui fut rare, quelque temps, à l’échelle mondiale, mais abondant dans les pays développés, ont longtemps été avantagés en Europe ou aux États-Unis mais leur position s’érode à l’heure où les systèmes éducatifs chinois et indien produisent des diplômés par dizaines de millions. Leur adhésion au libre-échange fléchit donc aujourd’hui en conséquence. Les retraités et les fonctionnaires, statutairement protégés du chômage, ont longtemps été moins exposés que les travailleurs du secteur privé aux aléas de la concurrence mondiale, et comme tels moins hostiles au libre-échange ; la baisse de leurs revenus, qui ne fait que commencer, entraînera un revirement d’attitude. Ayant été les premiers touchés, les ouvriers et les jeunes ont été aussi les premiers à contester la globalisation.

L’attachement au dogme libre-échangiste des strates supérieures de la société va cependant bien au-delà du seul intérêt personnel. Car le bien-être ne se réduit pas à un niveau de revenu, que celui-ci consiste en un salaire, avec ou sans stock-options, ou, à notre époque de retour au capital, en profits réalisés passivement par la possession d’actifs divers et variés. Le bien-être, celui d’un riche comme celui d’un citoyen ordinaire, c’est aussi de vivre dans un environnement humain équilibré, où l’on n’est pas menacé d’agression, où l’on ne croise pas trop de marginaux atteints de la tuberculose ou d’une autre affection grave non soignée, où l’éducation n’est pas une lutte pour la survie. En vérité, le monde de l’inégalité est infernal, y compris pour les soi-disant profiteurs du système, qui sont touchés, particulièrement à travers leurs enfants, par une évolution sociale régressive.

Le séparatisme social, qui a mené les riches à s’enfermer dans leurs banlieues, leurs écoles et leurs universités, est peut-être une solution aux États-Unis. Mais en Europe, se séparer du reste de la société, ce serait déserter la vie des centres-villes chargés d’histoire et de beauté, une véritable dégradation de la qualité de la vie.

                  

Comprendre la crise, par Paul Jorion (Paul Jorion)   

                

La crise actuelle révèle des changements structurels du capitalisme (Aglietta) →  

            

 

Le premier mérite, et non le moindre, de la crise financière, est d’avoir enfin révélé à l’opinion non instruite de la chose économique le fait essentiel du surendettement des ménages américains. Ce fait occulte cependant encore le surendettement parallèle, parfois plus grave, des ménages néerlandais (qui détiennent la palme), ainsi que celui des ménages anglais, australiens, espagnols et irlandais, voire portugais. Mais, si l’on prend enfin en considération ce paramètre majeur, on comprend spontanément combien le débat public sur les performances économiques des pays occidentaux a pu être biaisé par les économistes institutionnels et l’ensemble des apôtres du système néo-libéral. Les performances de la France, de l’Allemagne ou de l’Italie, depuis le début du siècle, médiocres au regard de celles du monde anglo-saxon et de ses imitateurs, s’expliquent avant toute chose par l’endettement plus raisonnable de leurs ménages. Les ménages français sont, en proportion, deux fois moins endettés que leurs homologues américains et espagnols, les ménages italiens trois fois moins. De ce fait, et si l’on ose dire, les pays les plus sages en termes de dette des ménages ont perdu une croissance potentielle de l’ordre d’au moins un point et demi du PIB chaque année !

Insistons quelque peu sur cet aspect essentiel du dispositif économique. Quand les ménages anglais, pour prendre le pays qui a été cité en exemple par la droite française, aux fins d’édifier nos compatriotes présumés attardés, accroissent leurs emprunts en tirant à la fois sur leurs lignes de crédit hypothécaire et leurs cartes de crédit, ils contribuent spontanément à un surcroît de dépenses qui vient irriguer l’ensemble de l’économie, en multipliant les emplois nouveaux et les revenus qu’ils permettent de distribuer. La prospérité s’installe dans la durée, au point que le cycle économique semble avoir été relégué dans un passé lointain, voire préhistorique. Le Royaume-Uni a connu quinze années de croissance substantielle depuis 1993. Ses dirigeants politiques peuvent parader dans les rencontres internationales en citant en exemple une réussite hors d’atteinte pour les économies de la Old Europe, représentée par l’Italie, l’Allemagne ou la France [Ces pompeux cornichons ont épuisés en 15 ans les gisements de gaz de la mer du nord pour faire de l’électricité, fermant mines, centrales thermiques etc. cf. ici leurs prouesses thermiques].

Endettement ou surendettement, telle est la question. Une question d’autant plus difficile qu’aucun pays dans l’histoire économique n’a connu des montants de dettes des ménages aussi importants, à l’exception révélatrice du Japon des années 1980, dont la double bulle immobilière et financière doit énormément à l’endettement forcené des ménages de l’Archipel. Néanmoins l’absence de repères historiques n’aurait pas dû empêcher les banques centrales et les autorités publiques de s’interroger sur les conséquences potentielles d’un recours exagéré à l’emprunt pour soutenir la conjoncture. La Commission européenne donne, jusqu’à la caricature, le contre-exemple de l’aveuglement et de l’irresponsabilité en la matière. Tandis que l’endettement des ménages anglais a dépassé en 2007 le montant du produit intérieur brut, tandis que celui des ménages espagnols a produit une bulle immobilière sans précédent, le Commissaire européen, de nationalité espagnole, dénonce l’endettement de l’État français, égal aux deux tiers du PIB. Il se livre à cet exercice douteux de morale financière au moment même où les investisseurs, alarmés par les premières manifestations de la crise immobilière espagnole, abandonnent les obligations du Trésor public espagnol pour acheter celles de leurs homologues allemand et français. [un certain président lors de sa campagne électorale ne rêvait-il pas d’endetter les ménages français ?]

En cette année 2008, il devient possible de dénoncer la politique laxiste qui a conduit au surendettement des ménages dans tous les pays que nous avons mentionnés. Les économies dont on disait qu’elles avaient adopté un modèle de croissance dit de l’offre étaient en réalité dopées par une demande artificiellement bâtie sur les facilités du crédit. Les politiques anti-keynésiennes, consistant à abattre les régulations anciennes, dissimulaient un soutien parallèle inconditionnel de la consommation, revenant à mener une politique ultra-keynésienne. La crise financière n’aurait servi à rien, en définitive, si la vérité historique n’était pas enfin rétablie et si ne tombait pas avec elle le leurre d’une nouvelle prospérité exclusivement bâtie sur l’offre et l’optimisme des agents économiques qui en découlerait.

(…)

Je crois en effet que la transmission brutale de la crise hypothécaire américaine aux marchés du crédit européens, qui ont été frappés encore plus lourdement que les américains, obligeant les banques centrales de Francfort, de Londres et de Zurich à des interventions massives réalisées dans l’urgence, est révélatrice des périls d’une mondialisation conçue par des apprentis sorciers. Celle-ci s’accompagne de déséquilibres des échanges entre les nations ou les régions du monde dont le déficit américain donne l’illustration la plus frappante. Jusqu’ici, les économistes qui ont voix au chapitre médiatique se sont constamment extasiés de l’aisance avec laquelle les États-Unis couvraient ce déficit. Avec la simplicité d’esprit qui les caractérise, ils n’ont cessé d’expliquer cette réussite apparente par la confiance des investisseurs internationaux dans la pérennité de la puissance et de la prospérité de l’économie locale. Mais un examen attentif montre que d’autres pays chroniquement et gravement déficitaires, tels que le Royaume-Uni ou l’Australie, bénéficient du même traitement de faveur. Dans le système de relations économiques internationales qui a émergé des décombres du régime de Bretton Woods, les déficits des uns sont couverts par les placements des autres, qui connaissent des excédents.

Les pompeux cornichons masqués enfin démasqués.

                

De la rente minière à la rente boursière

Encore un hold-up du siècle ! – par Hervé Laydier   

 

L’invention géniale des pétroliers n’a pas été la création de ce marché boursier [le spot market] (il existe des bourses de matières premières comme le blé, le cacao, et pratiquement tous les métaux). Elle réside dans le fait que, peu à peu les compagnies pétrolières ont imposé l’idée que le prix du pétrole est celui qui est affiché en bourse pour des achats-ventes d’ajustement court terme [seule une petite partie (15-25 %) du pétrole passe par ce marché qui sert seulement à absorber les fluctuations dans la production (spot market = marché au comptant)], selon des règles et dans des conditions qui sont dominées, dans les faits, par elles-mêmes. Et, dans le même temps, toute référence au prix de marché au sens précédent du coût marginal de production de long terme du pétrole a disparu [qui procure une rente minière ainsi que l’explique clairement Ricardo : le prix du marché est le prix de revient sur le site qui coûte le plus cher à exploiter]. Exit le marché d’échange des biens ; remplacement par un marché boursier d’anticipations spéculatives.

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Tel est le beau résultat de la financiarisation libérale du marché pétrolier mondial.

Imagineriez-vous que votre boulanger augmente continûment son prix du pain et que lui, avec l’appui de quasiment tous les médias, vous donne pour avéré que cela est normal car le prix du blé à la bourse des matières premières de Chicago a atteint ses plus hauts sommets en raison de telle tempête dans le Golfe du Mexique ? Alors que vous savez bien qu’il achète sa farine à des producteurs connus qui n’ont pas augmenté leurs prix et n’ont rien à voir avec le Golfe du Mexique !

L’histoire nous a déjà fourni de beaux exemples de semblables marchés spéculatifs : vers 1450 par exemple, la production de blé était intense dans le Nord de l’Europe alors que la péninsule ibérique manquait de cette ressource vitale ; s’est mis en place alors une exportation de blé par bateau depuis les villes hanséatiques jusqu’à Lisbonne et aux grandes villes espagnoles. Ce transfert, marginal par rapport à la consommation des villes du Nord, a provoqué une hausse considérable des cours du grain, qui ont eu tendance à s’aligner sur les prix espagnols ; et cette hausse s’est propagée du Sud vers le Nord de l’Europe : une rente spéculative s’est ainsi dégagée pour les marchands de blé ; les consommateurs du Nord ont vu le prix de cette matière première vitale augmenter alors que les prix de production n’avaient pas changé.

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Nous voici donc entrés dans l’ère du pétrole cher pour le plus grand profit de compagnies et des Etats. En conséquence, nous disaient certains jusqu’à l’an dernier, s’est ouvert un grand boulevard pour le gaz naturel.

En résumé : Depuis les années 70, la formation des prix sur les marchés pétroliers s’est profondément modifiée : reflétant naguère les coûts des installations à construire pour répondre à l’augmentation de la consommation, ils se sont progressivement alignés sur les prix des échanges sur des marchés d’ajustement ; or ces prix « spot » répercutent toutes les anticipations et toutes les craintes. C’est pourquoi ils créent avant l’heure ce que pourraient être les effets d’une pénurie pétrolière, qui pourtant n’est pas encore d’actualité, et se mettent à flamber sur les bourses de l’énergie.

La conséquence de ce phénomène est un décalage croissant entre le prix du baril de pétrole (calé sur le prix des marchés « spot ») et les coûts réels de production, décalage qui génère [engendre] une rente boursière considérable.

Ceux qui profitent de cette rente sont avant tout les grandes compagnies pétrolières, mais également les États consommateurs (via la fiscalité), et les États producteurs grâce au rapport de force créé par l’OPEP. Les seuls perdants sont les consommateurs. Une telle situation nécessiterait une intervention du politique pour ramener le marché au niveau des coûts de production, quitte à ce que les États conservent une partie de la rente pour investir dans la préparation de l’avenir.

Le contexte géopolitique tendu, ainsi que les problèmes de raréfaction des ressources qui se profilent, servent malheureusement autant d’alibis pour justifier le niveau de la rente actuelle, que de facteurs de sensibilisation qui devraient nous conduire vers un développement durable.

Le bon côté de l’affaire, c’est que les combines de tous ces malins ont permis à la Russie de s’enrichir et de reconquérir son indépendance. Et en Russie, tout cela est entre de bonnes mains, des mains patriotiques russes et mégatonniques. C’est avec un grand plaisir que je fais le plein du grand réservoir de ma berline six cylindres de deux cents chevaux car je sais que ce faisant je contribue au maintien des cours élevés et que j’aide ainsi le pays du colonel Poutine (et celui du colonel Chavez par la même occasion) à défaut du mien qui est en viles mains.

Lisez tout l’article pour comprendre pourquoi la prétendue « « « « con cul rances » » » » (entre quatre guillemets) fait monter les prix du gaz et de l’électricité comme on l’a vu aux États-Unis et comme on va bientôt le voir en France grâce à notre mini président converti de la dernière heure. Cette prétendue concurrence n’est là que pour constituer des rentes boursières. Le prétendu prix du marché est en fait le prix qui s’établit sur un tout petit marché marginal et hautement spéculatif (ce qu’il n’était pas au début, au point qu’il s’agissait souvent d’un simple troc, sans prix : tu m’avances deux tankers aujourd’hui et je t’en rendrai deux dans trois mois)

On comprend ainsi toute l’ironie de l’impayable colonel Poutine qui jure ses grands dieux que la Russie s’engage à livrer son gaz au prix du « « « « marché » » » » alors qu’il s’agit du prix d’une bourse marginale. Merci du cadeau colonel et vive la libre Russie. Si la Russie vendait son gaz au véritable prix du marché au sens de Ricardo, elle le vendrait beaucoup moins cher, ce qu’elle faisait avec les pays de la CEI avant qu’ils ne préfèrent se mettre sous la protection de l’OTAN prout prout.

Des crétins ou des salauds (le deux en fait) osent prétendre que c’est la Russie qui est une menace pour l’approvisionnement de l’Europe alors qu’elle accepte volontiers d’établir des contrats longue durée au réel prix du marché, avec l’Allemagne par exemple, ce qui rend fous de rage les Amères loques et les Angliches qui voient leurs rentes boursières compromises.

Les faiseurs de pognons sont pleins de ressources, comme on voit. Tout ce qu’ils font, ils le font pour faire plus de pognon et ils appellent ça « modernisation ». Effectivement, un prétendu « prix du marché » aligné sur le prix des marchés spot, c’est très moderne. Il fallait y penser. Il fallait l’inventer. Il fallait le faire. C’est fait. Il n’y a aucune fatalité là-dedans contrairement à ce que prétendent certains crétins & salauds. Il y a seulement volonté d’enculage. Alléluia !

Et encore une fois : vive la crise. Tout cela est enfin révélé. N’oubliez pas de chier sur la tombe du quadruple renégat Montand en attendant de pouvoir chier sur la tombe du lycéen aux grosses couilles qui se prenait pour un patron de presse.

 

 

 

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M. Ripley s’amuse

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