[...] Vous savez que je suis parvenu depuis bien des années à une suite bien ordonnée de puissances ou de nombres cardinaux transfinis que je nomme les « alephs »
א0,
א1, א2 ... אω0 ...
א0 signifie la puissance des ensembles « dénombrables » au sens usuel, א1
est le nombre cardinal immédiatement supérieur. א2 est
ensuite le nombre immédiatement supérieur, etc. ; אω0
est le nombre suivant immédiatement (c’est-à-dire immédiatement supérieur
à) tous les אν et égal à
lim אν quand ν ® ω0 etc.
La grande question était s’il y a encore d’autres puissances des ensembles en dehors des alephs ; depuis deux ans je suis en possession d’une démonstration du fait qu’il n’en existe pas d’autre, de sorte qu’un aleph déterminé convient comme nombre cardinal, par exemple, au continu linéaire arithmétique (la totalité des nombres réels).
Si nous partons du concept d’une pluralité déterminée (d’un
système, d’une collection) d’objets, la nécessite s’est présentée à moi de
distinguer deux sortes de pluralités (j’entends toujours de pluralités déterminées).
Une pluralité peut, en effet, être constituée de telle sorte que l’admission d’une « coexistence » de tous ses éléments mène à une contradiction, de sorte qu’il est impossible de concevoir la pluralité comme une unité, comme un « objet achevé ».
J’appelle de telles pluralités des pluralités absolument
infinies ou inconsistantes.
Comme on s’en persuade aisément, la « collection de tout le pensable » est, par exemple, une telle pluralité ; d’autres exemples se présenteront ultérieurement.
En revanche, lorsque la totalité des éléments d’une
pluralité peut être pensée sans contradiction comme « coexistante »
de sorte qu’il soit possible de parvenir à les concevoir comme « un objet », je l’appelle une pluralité consistante ou un
ensemble (en allemand et en italien ce concept sera correctement exprimé par
les mots « Menge » et « insieme »).
Deux pluralités équivalentes sont ou bien toutes deux des « ensembles » ou bien toutes deux inconsistantes.
Toute pluralité partielle d’un ensemble est un ensemble.
Tout ensemble d’ensembles, si on résout ces derniers en leurs éléments, est à son tour un ensemble.
Pour un ensemble donné M, j’appelle le concept général
qui lui convient et ne convient, en outre, qu’aux ensembles qui lui sont
équivalents leur nombre cardinal ou encore leur puissance, que je désigne par m.
J’arrive alors, par la voie suivante, au système de toutes
les puissances dont il apparaîtra ultérieurement qu’il est une pluralité
inconsistante.
Une pluralité s’appelle « simplement ordonnée » lorsque existe entre ses éléments un ordre tel que de deux quelconques de ses éléments l’un est antérieur et l’autre postérieur, et que de trois de ses éléments l’un est antérieur, l’autre est intermédiaire et le restant est dernier d’entre eux quant au rang.
Si la pluralité simplement ordonnée est un ensemble, je
comprends sous son type µ le concept
général sous lequel se trouvent cet ensemble comme aussi tous les seuls
ensembles ordonnés qui lui sont semblables (le concept de similitude est employé par moi en un sens plus limité
que ce n’est le cas chez vous ;
j’appelle semblables deux
pluralités simplement ordonnées lorsqu’elles peuvent être référées biunivoquement
l’une à l’autre, de sorte que le rang relatif des éléments correspondants soit
le même en l’une et en l’autre).
Une pluralité s’appelle bien ordonnée quand elle remplit la condition que chaque pluralité partielle possède un premier élément ; j’appelle en bref « suite » une telle pluralité.
Toute partie d’une « suite » est une « suite ».
Or si une suite S a le caractère d’un ensemble, j’appelle le
type de S son « nombre ordinal » ou, plus
brièvement, son « nombre » ; de sorte que quand je parlerai ci-après de
nombres simplement, j’aurai uniquement en vue des nombres ordinaux,
c’est-à-dire des types d’ensembles bien ordonnés.
Je prend maintenant
en considération le système de tous les nombres et je le désigne par Ω.
Il est démontré dans
les Mathematische Annalen (tome 49,
p. 216) que de deux nombres distincts α et β, l’un est toujours le plus petit et l’autre le plus grand et que si avec
trois nombres on a α < β, β < γ,
alors on a aussi α < γ.
Ω est donc un système simplement ordonné.
Mais, d’après les
théorèmes démontrés au § 13 sur les ensembles bien ordonnés, il résulte aisément que toute
pluralité de nombres, c’est-à-dire toute partie de Ω contient un nombre qui est le plus petit.
Le système Ω forme,
par conséquent, selon son ordre naturel de grandeur une « suite ».
Si, en outre, nous
joignons comme élément à cette suite le 0, et nous le mettons
bien sûr à la première place, nous obtenons une suite Ω’ :
0, 1, 2, 3, .... ω0, ω0 + 1,
..., γ, ...
dont on se persuade
aisément que tout nombre
qui y figure est le type de la suite de tous les éléments qui le
précèdent (0 inclus) (la
suite Ω n’a cette propriété qu’à partir de ω0 + 1).
Ω’ (et par conséquent Ω aussi) ne peut être une
multiplicité consistante ; si Ω’ était consistante, comme à tout ensemble bien ordonné lui conviendrait
un nombre δ, qui serait plus grand que tous les nombres du
système Ω ; mais
le nombre S figure aussi dans le système Ω puisqu’il contient tous les nombres ; δ serait donc plus grand que δ, ce qui est une contradiction. Donc :
A. Le système Ω de tous les nombres est une pluralité inconsistante,
absolument infinie.
Comme la similitude
des ensembles bien ordonnés
entraîne en même temps leur équivalence, à tout nombre γ correspond un nombre
cardinal déterminé א (γ) = γˉ
[ˉ : sūrligné], à savoir le nombre cardinal de l’ensemble
bien ordonné dont le type est γ.
Je nomme « alephs » les nombres
cardinaux qui conviennent en ce sens aux nombres transfinis du système Ω, et
j’appelle ת le système de tous les alephs (Tav, dernière lettre de l’alphabet hébreu).
Le système de tous
les nombres γ, qui correspondent à un seul et même nombre
cardinal c, je le nomme une « classe de, nombres » et précisément la classe de nombres N (c). On voit aisément qu’en toute classe de
nombres est donné un nombre γ0 qui est le plus petit et
qu’il y’ a un nombre γ1 tombant en dehors de
N (c), tel que la
condition
γ0 ≤ γ < γ1
soit équivalente à
l’appartenance du nombre γ à la classe de nombres N (c). Toute classe de nombres est ainsi une « section » déterminée de la suite Ω.
Certains nombres du
système Ω forment chacun pour soi une classe de nombres, ce
sont les nombres « finis »
1, 2, 3, ..., n, ... auxquels correspondent les différents nombres cardinaux « finis » 1ˉ, 2ˉ, 3ˉ, .., nˉ, ...
Soit ω0
le plus petit nombre transfini, je nomme א 0, l’aleph
qui lui convient, de sorte que
א0 = ωˉ0 ;
א0 est le plus petit aleph
et détermine la classe de nombres
N (א0) = Ω0.
Les nombres α
de N (א 0) remplissent la condition :
ω0 ≤ α < ω1
et sont caractérisés par elle ;
ω1 est ici le plus petit nombre transfini dont le
cardinal n’est pas égal à א 0).
ωˉ1 = א1
א 1 est alors non seulement différent de א 0, mais il est aussi l’aleph immédiatement plus grand, car on peut démontrer
qu’il n’y a absolument aucun nombre cardinal qui soit compris entre א0 et א1. On obtient ainsi la classe de nombres Ω1=
N (א1) se joignant immédiatement à Ω0. Elle contient tous les nombres β qui remplissent la condition :
ω1 ≤ β < ω2
ω2 est ici le plus petit nombre transfini dont
le nombre cardinal est différent de א0
et א1.
א2est l’aleph immédiatement le plus grand après א1 et détermine la classe de nombres Ω2 suivant immédiatement Ω1, consistant en tous les
nombres γ qui sont ≥ ω2 et < ω3 où ω3 est le plus petit transfini
dont le nombre cardinal est différent de א0, א1, א2, etc.
Je souligne encore :
Ω =0 = א1, Ω=1 = א2, … Ω =n+1 = אn +1 [ Ω= : double
surlignement ]
∑ (n‘ = 0, 1, 2 …n) אn‘ = אn
toutes choses faciles à démontrer.
Parmi les nombres transfinis du système Ω, dont aucun ne convient comme nombre cardinal à אn (avec v fini), est derechef donné un nombre qui est le plus petit, que nous nommons ω0 ω0 et nous obtenons avec lui un nouvel aleph
אω0 = ωˉω0
qui est définissable par l’équation
אω0 = ∑ (n = 0, 1, 2 …) אn
et où l’on reconnaît le nombre cardinal immédiatement le plus grand après tous les אn.
On se convainc que ce procédé de formation des alephs et des
classes de nombres du système Ω,
qui leur correspondent est absolument
illimité.
B. Le système ת de tous les alephs :
א0, א1, …, אω0, אω0+1, אω1, …
forme une suite absolument infinie semblable quant à l’ordre des
grandeurs qui s’y trouvent
au système Ω et par conséquent pareillement inconsistante.
La question est alors soulevée de savoir si tous les nombres cardinaux transfinis sont contenus dans ce système. En d’autres
termes, y a-t-il un ensemble dont
la puissance ne soit pas un
aleph ?
Il faut répondre à cette question par la négative et la raison en réside dans l’inconsistance reconnue par nous des systèmes Ω et ת).
DÉMONSTRATION : Prenons une pluralité déterminée V
et supposons qu’aucun aleph ne
lui convient comme nombre cardinal, nous concluons alors que V doit être inconsistante.
Car on reconnaît aisément que sous la supposition qui a été
faite, le système entier Ω est susceptible d’être projeté dans la
pluralité V, c’est-à-dire qu’il doit exister une pluralité partielle V’ qui est équivalente au système Ω.
V est
inconsistante puisque Ω l’est ;
la même chose doit donc être affirmée de V.
De ce fait toute pluralité transfinie consistante, tout ensemble transfini doit avoir un aleph déterminé comme nombre cardinal. Ainsi
C. Le système ת de tous les alephs n’est rien d’autre que le système de tous
les nombres cardinaux transfinis.
Tous les ensembles sont, par conséquent, « dénombrables » en un sens élargi, en
particulier tous les « continua ».
Nous reconnaissons en outre du fait de C la justesse de la proposition énoncée dans les Mathetmatische Annalen, t. 46 :
Si a et b sont des nombres cardinaux
quelconques, ou bien a = b
ou bien a < b
ou bien a > b.»
Car les alephs précèdent, comme nous l’avons vu, le
caractère des grandeurs.
* *
On doit soulever la question de savoir d’où je sais que les pluralités bien ordonnées ou suites auxquelles j’assigne les nombres cardinaux
א0, א1, …, אω0, אω1, …
sont aussi réellement des « ensembles » au sens du mot qui a été défini, c’est-à-dire des « pluralités consistantes ». Ne pourrait-on penser que ces pluralités sont déjà inconsistantes, et que la contradiction à admettre une « coexistence de tous leurs éléments » ne serait seulement pas encore devenue perceptible ? Ma réponse à cela est que cette question doit s’étendre pareillement aux multiplicités finies et qu’un examen rigoureux conduit au résultat suivant : même pour les pluralités finies, une « démonstration » de leur « consistance » ne peut pas être instituée. En d’autres termes : le fait de la consistance des multiplicités finies est une vérité simple et indémontrable, c’est l’« axiome de l’arithmétique » (au sens ancien du mot). Et, de la même façon, la « consistance » des pluralités auxquelles j’attribue les alephs comme nombres cardinaux est l’ « axiome de l’arithmétique transfinie élargie ».