Une vague
populiste se déverse sur les États voulant faire passer l’apparition possible d’un
revenu universel comme l’avènement tant attendu de l’État providence. Le
véritble socialisme enfin réalisé et par les pays capitalistes en prime. Plus
de chômage, car plus de travail. Un véritable miracle.
Si miracle il
y a, il est dans la manière dont les populations sont préparées pour accepter
des mesures devant conduire à la remise en cause des acquis sociaux et à la
protection étatique. Ce qui tombe bien lors des négociations du Traité
transatlantique prévoyant la privatisation des services publics.
Petite
opération de démystification.
Qu’est ce
que le revenu universel
L’idée
d’un revenu universel fait son chemin depuis les années 70. D’origine
américaine, l’idée n’a pourtant pas été réalisée aux États Unis, sauf en partie
en Alaska. Ensuite, les approches ont variées en Europe, en passant par la
Belgique. Pour ensuite être l’objet de toute une machine
institutionnelle :
« C’est aux États-Unis qu’est apparue, après guerre, l’idée d’un revenu
de base progressiste. Initiateur en 1968, avec Paul Samuelson, John Kenneth
Galbraith et mille deux cents autres économistes, d’un appel en ce sens, Tobin
fait introduire son projet de demogrant dans le programme de
George McGovern, dont il est le conseiller, lors de la campagne pour l’élection
présidentielle de 1972. Avec la lourde défaite du candidat démocrate face à
Richard Nixon, le projet est enterré.»
Enterré aux États Unis, il
prend son chemin véritable, celui de l’Europe :
« Il refait surface en Europe, d’abord dans les Pays-Bas des
années 1980 (6). En Belgique, un groupe de chercheurs et de syndicalistes crée en
1984, autour de l’économiste et philosophe Philippe Van Parijs, le Collectif
Charles Fourier. Un colloque organisé en 1986 à l’Université catholique de
Louvain donne naissance au Réseau européen pour le revenu de base (Basic Income
European Network, BIEN), qui deviendra mondial (Basic Income Earth Network) en
2004.»
Et selon les
pays, il est envisagé différemment. L’idée fondatrice est de permettre à chacun
de ne plus avoir peur de la pauvreté, de pouvoir choisir un travail qui
l’intéresse. Bref, le travail dans la joie. Dans les faits, les pays
envisagent des revenus minimums allant de quelques centaines d’euros à un
millier, supprimant en parallèle les aides sociales diverses et variées, les
pensions de retraites, etc.
La Finlande devrait le mettre en oeuvre début
2017 :
« Pour le gouvernement, il s’agit de lutter contre la pauvreté. Un
salaire minimum commun remplacerait alors toutes aides sociales en vigueur. Un
Finlandais verrait donc s’évaporer ses aides au logement, aux études, au
chômage mais aussi sa pension de retraite. Les citoyens qui souhaitent avoir un
niveau de vie plus élevé pourront bien sûr compléter ce revenu de base en étant
salarié, artisan ou entrepreneur. »
Le Québec l’envisage, la France en parle. Le débat reste
toujours social, comment couper les aides sociales, de combien ce revenu
doit-il être,etc. C’est en quelque sorte la version « des pauvres» .
La Suisse doit
proposer une version plus attrayante pour ses citoyens qui ne se contenteront
pas de la version soutien social minimal proposée dans les autres pays, moins
riches. Ainsi, plus de 2000 euros par personnes et par mois, plus encore pour
les enfants. Chacun pouvant alors choisir de travailler ou non, là il veut,
comme il veut. Le Paradis sur Terre. Ou l’Enfer à petit feu. Comme il est bien
commu, l’Enfer est pavé de bonnes intentions. Sauf que les intentions ici ne
sont pas forcément si bonnes et la sincérité des gouvernants et des idéologues
laisse songeur.
L’expérience
russe : la monétarisation des aides sociales et l’appauvrissement des
catégories sensibles
Ce processus,
soi-disant social jusqu’au paroxisme, a été, dans sa logique, déjà mis en place
en Russie sous l’égide des ministres néolibéraux aux commandes au début des
années 2000. En 2004, sous l’impulsion des ministres A. Koudrine et M. Zurabov
a été adopté la loi sur la monétarisation
des aides sociales.
L’idée était
elle aussi très simple. Au lieu de donner des avantages en nature à certaines
catégories de la population, le Gouvernement va leur donner de l’argent qu’ils
utiliseront comme ils veulent. Cette réforme a concerné essentiellement les
retraités, les invalides, les militaires. Ils devaient payer les médicaments,
les transports, n’avaient plus d’aides au logement.
De nombreuses
manifestations
ont eu lieu, car la population a été fortement appauvrie, le montant alloué
ne couvrant pas les frais réels. Les gens furent obligés d’économiser sur les
soins, sur la nourriture, etc. Mais la réforme a
permis ainsi de faire des économies budgétaires, sur le dos des catégories
socialement fragiles. Le Conseil pour les droits de l’homme, à l’époque, avait
même demandé la suspension de la loi pour raison d’urgence sociale. Sans
compter que Zurabov avait déclaré qu’il fallait absolument stabiliser
les tarifs de chauffage, d’eau et d’électricité s’ils ne sont plus
subventionnés, faute de quoi les gens vont avoir de sérieuses difficultés.
Finalement, le financement a été régulièrement augmenté, réformé, mais reste en
vigueur. Et encore aujourd’hui se pose la question de revenir à une aide
matérielle.
Le recul
de l’État et la corruption de la population
Au-delà des buts
à première vue louables affichés, la mesure semble surprenante à l’heure des
plans d’austérité, de la sévérité budgétaire, de la course à la rentabilité.
Plus que surprenant. Car soit l’État veut faire des économies, soit il veut
aider la population, les deux voies ne peuvent être concommittantes.
Ce n’est pas l’état providence réalisé, mais le
néo-libéralisme incarné dont il s’agit en réalité. Car,
cette démarche entraîne obligatoirement le recul de l’État. L’individu roi est laissé face à lui-même [recul total de la solidarité]. Combien coûtent réellement l’enseignement, les
hospitalisations, les médicaments, les transports ? Quelques centaines
d’euros permettront juste de survivre. Mais c’est toujours attrayant de
dire ; vous aurez de l’argent matériel entre vos mains, les billets vous
pourrez les palper, et vous serez maître de les utiliser comme bon vous semble.
C’est attrayant, mais c’est faux, car les gens à revenus limités vont
économiser sur les frais de santé, sur les examens etc. Nous allons alors vers
une société qui risque de fortement se différencier, de tuer la classe moyenne
qui est le ciment social.
Cette réforme
aussi tombe merveilleusement bien au moment des discussions autour du traité transatlantique et de la privatisation des services
publics.
« Les
services publics de l’eau, de l’éducation, de la santé, des transports, mais
aussi l’échange sans restriction de données. Tout est sur la table du nouvel
accord commercial que négocient dans le plus grand secret, les États-Unis,
l’Union européenne et une vingtaine d’autres États depuis deux ans dans les
locaux de l’ambassade d’Australie à Genève.
La négociation porte sur le
commerce des services et vise notamment une vaste libéralisation des services
publics. Les tractations de cet Accord sur le commerce des services (ACS en
français, Trade In Services Agreement en anglais) devaient rester
secrètes » jusqu’à cinq ans après la conclusion d’un
accord » ou la fin des négociations en cas d’échec.»
Et cela
concerne justement les services pour lesquels il est question de retirer les
aides sociales et de la monétariser, comme en Russie finalement. Ainsi on peut
privatiser les services, c’est-à-dire les vendre aux entreprises. Mais sont-ils
rentables ? Peu importe, ils le deviendront, simplement parce qu’il ne
sera plus question d’intérêt général. Il suffit de voir les problèmes de la
poste et des chemins de fer privatisés en Angleterre pour apprécier le dégrè de
prise en compte de l’intérêt social.
Ici se posent
encore quelques questions. Où en sommes nous avec la réduction des déficits
publics ? Soit ce n’est plus grave, car il existe un impératif idéologique
plus important et que les déficits finalement affaiblissent l’État ce qui n’est
pas si mauvais, soit il faut lutter contre leur aggravation et la compensation
financière ne peut être trop importante.
Ensuite, quid
de la productivité ? On appréciera à ce sujet le fait que l’idée
réapparaissent maintenant, en pleine arrivée massive de populations étrangères
en Europe. Car si les « nationaux» ont le droit de ne plus vouloir
travailler, on fait place neuve pour des populations peu formées, certes, mais
payées pas cher. Comme le dit le FMI, il faut intégrer rapidement les
populations immigrées sur le marché du travail. On vend ainsi le dumping
social.
Le fait que
cela aille totalement à l’encontre de la conception du réfugié, qui n’est là
qu’en attendant de rentrer chez lui, ne semble pas déranger. Nous sommes donc
bien face à une immigration de masse, qui n’a rien à voir avec l’urgence de prendre
en charge des réfugiés en danger.
Enfin, sur le
plan personnel, l’individu est censé mieux se réaliser lorsqu’il n’a plus
aucune obligation ni contrainte ni peur. Je ne sais pas où cette explication a
été trouvée, elle est plus que surprenante. Chacun a toujours besoin de stimuli
pour se réaliser, il faut dépasser des obstacles pour avancer et pas se
fragiliser entre un thé bien chaud et une réflexion profonde, longue et
languissante sur le but de la vie.
Le seul
endroit où les êtres humains n’auront absolument aucun obstacle à surmonter,
n’auront jamais besoin de se dépasser, où la température sera toujours la même,
où aujourd’hui ressemblera à demain, c’est à la morgue.