Seconde lettre à M. Norbert Rouland


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Posted by Voyer on March 07, 1997 at 05:36:40 AM EST:

La République contre la démocratie

 

       Paris 20 septembre 1994.

 

       Monsieur,

       Je relève dans votre ouvrage Rome, démocratie impossible ? une citation de Tite-Live qui, à peine modifiée, s'applique parfaitement à "notre" monde:

       La démocratie commerciale fut établie de telle sorte que nul ne paraisse exclu du vote, mais que toute la puissance soit entre les mains des personnages les plus importants de la cité.

        Tel est bien le cas aujourd'hui, avec une différence cependant. Vous notez, en effet, qu'une telle chose n'est possible, à Rome, que par un éhonté "trucage des institutions". Or un tel trucage des institutions n'est plus nécessaire. La raison en est que désormais les esclaves sont libres juridiquement et esclaves en fait. Il a fallu deux mille ans pour en arriver là, mais nous y sommes enfin. L'esclave a cessé d'être une marchandise, comme il l'était dans l'Antiquité, mais hélas, il n'a pas cessé d'être un esclave. Les patriciens de Rome n'ont jamais osé rêver d'un tel bonheur et d'une telle facilité, eux qui ont dû lutter pied à pied pendant quatre siècles, comme vous le montrez si bien, pour préserver leurs privilèges et qui ont dû finalement s'effacer devant la monarchie impériale. De nos jours, c'est toute cette plèbe que les patriciens ont tellement méprisée qui est esclave.

       De même que le coup de force de César a consacré la déchéance définitive du sénat, de même la prise du pouvoir par la bourgeoisie commerçante en 1789 a consacré définitivement la déchéance du pouvoir politique. De même que le sénat romain est demeuré l'otage de la puissance impériale, le pouvoir politique est devenu l'otage de l'empire du commerce. Peu importe donc que les esclaves soient libres dans l'État, qui est déchu, pourvu qu'ils demeurent esclaves dans le commerce.

       Dans ces conditions, les esclaves-citoyens pourront voter autant qu'ils le voudront, ils ne demeureront pas moins esclaves et il n'est donc plus nécessaire de truquer les institutions. "Habile système, trop habile" notez-vous à propos du trucage antique. Tant d'habileté n'est plus nécessaire, le simple pragmatisme anglo-saxon suffira désormais. On peut confier le sort de la république à des Jules Ferry-le-Tonkinois, Blum l'incapable, Mitterrand-le-Magnifique qui voulait recouvrir Paris de marbre, et les vaches seront parfaitement éduquées et gardées. Les vaches en effet, car l'esclave antique sait qu'il est esclave tandis que l'esclave moderne, tel le bétail qui ne sait pas qu'il va être mangé, ne sait pas qu'il est esclave. De Gaulle l'avait bien dit: "les Français sont des veaux". Il est vraiment bon d'être patricien aujourd'hui. Vous notez excellemment:

       Si l'aristocratie s'est suicidée au niveau politique (car la fortune de la caste sénatoriale restera immense), au moins aura-t-elle eu la consolation de ne pas le faire au profit d'un peuple en qui elle a toujours vu une plèbe, malgré les déclarations pleines d'emphase de ses orateurs.

        Les patriciens romains se sont suicidés politiquement par leur acharnement à vouloir conserver le pouvoir politique. La bourgeoisie moderne n'a plus ce souci car son pouvoir réside ailleurs. Elle n'a conquis le pouvoir politique que pour l'avilir. L'État est devenu le valet de chambre du commerce, il fait son lit. Seul importait aux commerçants, comme vous le signalez, que ce pouvoir ne soit plus exercé par des monarchies d'ancien régime. Il se trouvait assez de canailles sans emploi pour exercer ce pouvoir du moment que ce dernier était déchu. C'est pourquoi la bourgeoisie put admettre l'innocuité du suffrage universel et la suppression du cens qui était la base de la citoyenneté à Rome. Cicéron eût été ravi: la plèbe était enfin digne du pouvoir politique, non pas que celle-là se fut élevée mais parce que ce pouvoir fut abaissé. C'est la puissance impériale du commerce qui consacre cette déchéance. L'État politique pur que Marx appelait de ses voeux, l'État laïc qui ne s'occupe pas du for intérieur des citoyens peut s'offrir ce luxe justement parce qu'il n'a plus à s'occuper de rien d'important, parce que la politique est déchue. Désormais, c'est le shampooing Dop qui s'occupera du for intérieur de ces citoyens-là. Ainsi que vous le dites, à Rome au dernier siècle, la révolution eut bien lieu mais ce fut la révolution des généraux et non celle du peuple. Ici la révolution eut bien lieu mais ce fut celle des commerçants et non celle du peuple. Dans l'Antiquité, la lutte eut lieu entre riches et pauvres et non entre maîtres et esclaves. Ici, elle n'a même plus lieu entre riches et pauvres puisque les pauvres sont esclaves. Elle n'a lieu qu'entre les commerçants eux-mêmes ! Les pauvres-esclaves assistent à ces luttes titanesques comme ils assistent aux matches O.M.-P.S.G. Quand il veut les réjouir, l'empereur des commerçants ne sacrifie plus 50 000 couples de gladiateurs en trois jours, il libère le Koweït, il investit la Grenade, il bombarde Jugurtha, il rétablit Aristide Pneumatikos. La devise de l'empire du commerce n'est plus pain et jeux (il n'y a plus de pain digne de ce nom) mais guerre et télévision. Les objectifs sont de plus en plus minuscules et les forces attaquantes énormes. Bientôt ses parachutistes sauteront directement dans l'arène du Colisée restauré où l'on aura préalablement introduit les populations à pacifier. Ainsi les chaînes de télévision pourront disposer du confort de studios permanents en dur et de la proximité d'excellentes trattorias. Le général Cédras est plus beau que Charlton Heston. Clintonius imperator pollicem premit. Grâce pour le général Cédras Pulcher. Une brillante carrière l'attend à Hollywood. Contrairement à Scipion, l'empereur Clinton ne vient pas pour la victoire, il vient pour la paix. La paix commerciale triomphe.

       Vous intitulez un de vos chapitres "La république contre la démocratie". C'est toujours d'actualité non pas, comme on pourrait le penser sommairement, parce que le citoyen-esclave a toujours aussi peu de contrôle sur l'État que l'électeur plébéien (il en a moins puisqu'il ne vote plus les lois), mais fondamentalement parce que la république n'a plus rien à refuser au commerce. Or, de même que la république romaine n'était démocratique que pour les patriciens, le commerce n'est démocratique que pour les commerçants. Ce n'est donc plus seulement dans les déclarations pleines d'emphase de ses orateurs que la république se montre hypocrite, mais dans sa fonction même. A Rome, pour s'opposer à la démocratie, la république dut s'opposer au commerce. Ici elle doit s'y soumettre. (L'empereur Clinton fait la loi à Haïti mais n'ose pas s'opposer à ses agriculteurs capitalistes. Les tribus rurales sont toujours prépondérantes à Washington !) Cela fut particulièrement illustré sous le règne de Mitterrand-le-Magnifique car c'est au pied du mur qu'on voit le maçon socialiste. Mme Ségolène Royal nous annonce depuis Lorient que les socialistes, quand ils reviendront au pouvoir, rétabliront des cabines téléphoniques à pièces car cette ignominie qu'est la carte téléphonique non seulement procure un emprunt forcé et non rémunéré aux P & T pour des sommes immenses, mais empêche le malheureux chômeur, s'il ne dispose de 50 francs, de répondre par téléphone à une offre d'emploi. Voilà la grande pensée politique à laquelle prépare l'E.N.A. Évidemment, cela vaut mieux que les procès de Moscou et le goulag. Cette royale penseuse exhorte, dans le Figaro, ses collègues socialistes à donner du monde une explication claire. Bigre, comment vont-ils faire, cette matière n'est pas enseignée à l'E.N.A. ? Plus loin il leur faut prouver que la politique n'est pas impuissante. Voilà, dans cette bouche autorisée, un excellent certificat. L'impuissance des socialistes est la seule chose qui plaide en leur faveur. S'ils ne font pas de bien, au moins ne font-ils pas de mal. S'il est vrai que le pouvoir politique est déchu, il est normal qu'il y ait des politiciens déchus et normal qu'il y ait une école spéciale pour la formation de politiciens déchus.

       Le seul rôle de la gauche dans "notre" monde a toujours été celui de fossoyeur des archaïsmes, et donc de modernisateur du capitalisme. C'est très bien ainsi. Ce patriciat éclairé qui a tant fait défaut à la Rome républicaine existe aujourd'hui. On ne peut nier que les esclaves soient de mieux en mieux traités avec cependant juste ce qu'il faut d'abcès de fixation (immigration et chômage). Mais ils demeurent esclaves.

       On put voir il y a quelques jours sur les deux premières chaînes de télévision françaises, aux heures de plus grande écoute, un jeune homme entreprenant qui venait d'ouvrir une boutique de capotes anglaises. Ce jeune homme maniait avec dextérité la langue du marketing. Il nous expliqua comment il avait créé comme logo un petit bonhomme en forme de capote, à moins que ce ne soit une capote en forme de petit bonhomme. Puis il eut ce mot: "C'est un outil de communication très puissant". Rien d'étonnant dans une démocratie qui comporte une immense majorité d'enculés que la capote soit un outil de communication très puissant. Bien lubrifiée et bien chaussée, elle possède en effet un grand pouvoir de pénétration.

       La grande découverte de Marx au XIXe siècle, alors que les jeux n'étaient pas encore faits, fut précisément de percevoir la déchéance du pouvoir politique au profit du seul commerce. Cette déchéance n'échappa pas à Stendhal, qui le déplorait. Une douairière Rothschild eut ce mot, alors qu'une guerre menaçait: "Mes garçons ne le permettront pas". Aujourd'hui les choses sérieuses se passent ailleurs. Les grandes décisions sont prises dans les collèges internationaux des commerçants internationaux. Ce même Marx constatait que l'esclave moderne est libre comme citoyen et esclave comme homme.

       La déchéance du pouvoir politique est un grand progrès pour l'humanité. Aucune restauration de ce pouvoir n'est plus envisageable. On a vu ce qu'une telle tentative entraîna en Russie. Lénine en disciple infidèle de Marx tenta cette restauration malgré la condamnation de son maître; mais il n'était pas bouché comme ceux qui plus tard se réclameront de lui et dès 1921 il essaya d'instaurer la N.E.P. Hélas, il mourut et ne put continuer son oeuvre. Avec soixante-dix ans de retard, les dirigeants russes et chinois sont contraints à leur tour d'instaurer la N.E.P.

       Si l'on veut réellement abolir l'esclavage, et non plus seulement en paroles, il s'agira de remplacer le commerce, rien de moins, ce qui est tout autre chose que de remplacer un pouvoir politique par un autre pouvoir politique et en tout premier lieu parce que l'adversaire est insaisissable. Ce n'est plus un adversaire personnel mais un adversaire substantiel, ce qui revient à dire qu'il n'y a plus d'adversaire. Il est de ce fait élevé dans un élément supérieur comme dirait Hegel. C'est une chance. Il ne s'agit pas non plus de faire très mal ce que le commerce fait très bien. Il s'agit de faire ce que non seulement il ne fait pas mais qu'il interdit. L'État ne sait pas faire ce que fait le commerce et de plus il interdit aussi ce qu'interdit le commerce. Le commerce communique pour vous. De ce fait, vous ne pouvez plus communiquer. (Ce qu'interdit le commerce, il l'interdit encore plus que ne le faisait l'État. J'ai entendu un cinéaste vietnamien déclarer à la télévision que l'on pouvait toujours discuter avec la censure, mais que l'on ne peut pas discuter avec le commerce. Qui est réellement le monstre froid ? L'État vous enterre mort, le commerce vous enterre vivant !) Il ne s'agit pas d'imposer une nouvelle conception du travail comme le voudrait Madame royale (le socialisme, c'est travailler beaucoup !), mais d'inventer un nouveau mode de communication. (Madame royale fait une découverte: "Tant que le travail sera considéré comme une charge, comme un coût, il sera éliminé par le système libéral".) Un des signes du temps est justement que lorsque les gens se révoltent, en France, en Pologne, au Portugal, ils dédaignent le pouvoir politique. Comme la plèbe à Rome, ils font sécession. En France, en 1968, des millions de personnes purent se parler, et seulement se parler, sans se prendre à la gorge, pendant un mois. Rome ne s'est pas faite en un mois et M. de La Palice vous dirait qu'avant qu'elles n'existent les cités grecques n'existaient pas et qu'il fallut donc les inventer. D'aucuns (les petits cons gauchistes) furent déçus. Leurs schémas de restauration du pouvoir politique furent ridiculisés. Ils se consolèrent rapidement avec le pouvoir tel qu'il existe. L'enculé intellectuel Kahn stigmatisa la révolte de 1968 qui selon lui ne fit que parler (lui, intarissable pipelette joufflue, et ses pairs furent contraints de se taire pendant ce temps). Mais que firent donc d'autre les Grecs dont la démocratie était fondée sur l'égalité de parole qui consistait non seulement dans la liberté de parole (elle existe aujourd'hui, ne puis-je dire ce qu'il me plaît y compris "enculé intellectuel" et "falsificateur juif" ?) mais surtout dans le pouvoir de parole, au bon moment, au bon endroit. En fait la liberté de parole sans le pouvoir de parole conduit vite au silence comme on peut le constater. On n'entend plus alors que la logomachie perpétuelle des enculés intellectuels. Quand bien même l'esclavage devrait durer encore mille ans, il n'en demeurerait pas moins méprisable et ce n'est pas une raison pour l'accepter et prétendre s'en contenter.

       Le pouvoir commercial est éminemment démocratique, pour les commerçants. Ce n'est le pouvoir d'aucun commerçant en particulier mais celui du commerce en général auquel même les commerçants sont soumis. Chaque commerçant ne peut exercer qu'une parcelle de ce pouvoir, aussi grande que soit cette parcelle. L'ostracisme n'est plus nécessaire. Dans l'Antiquité, où le commerce était peu développé, où les marchandises étaient peu nombreuses, l'esclave était une marchandise. De nos jours, alors que le commerce est très développé, alors que tout ou presque est devenu une marchandise, l'esclave a cessé de l'être. Dans ce monde, tout se vend et s'achète, tout sauf les esclaves. Voilà un singulier renversement. On ne peut plus acheter ou vendre un esclave car cela n'est plus nécessaire. Pourquoi s'emmerder à acheter des esclaves alors qu'ont peut en louer. (Déjà à Athènes, on pouvait louer des esclaves à la journée.) L'esclave n'habite plus sur les terres ou sous le toit de son maître, il habite le champ de communication commerciale. Il ne peut s'en échapper, ce n'est même plus la peine de le surveiller. L'esclave commercial n'appartient à aucun maître en particulier mais au commerce en général, il lui est voué (il est sacer comme vous dites en latin). L'esclave commercial est attaché au commerce comme le serf était attaché à la glèbe. Le commerçant nouvellement établi trouve les esclaves commerciaux prêts à l'emploi comme le seigneur qui recevait un fief y trouvait les serfs prêts à l'emploi.

       L'ouvrier savait qu'il était un esclave. Le classe-moyen (c'est ainsi qu'il aime être nommé) s'applique à l'ignorer. Il veut être flatté, il est donc facile de le flatter. C'est vraiment le rêve d'être maître aujourd'hui. Ni le soleil, ni la mort ne se peuvent regarder en face. De nos jours La Rochefoucauld devrait ajouter "ni l'esclavage" et ces mots de Panaït Istrati s'appliquent toujours: "Le maître est à son balcon, il jette sa chéchia dans la cour, les esclaves sursautent". Cependant, le prétendu individu, prétendument rationnel et égoïste dont on nous rebat les oreilles, est en fait dévoré par l'envie et la vanité qui tiennent la première place dans ses calculs. La Rochefoucauld a oublié cette maxime: l'envie et la vanité sont l'hommage que l'amour-propre rend à autrui. La loi fondamentale du champ de communication est la reconnaissance. Elle est impitoyable. On sait à quelles folies elle porte un chef kwakiutl. L'amour-propre est avant tout soif d'être reconnu, il est donc nolens volens soif d'autrui. L'amour-propre ne craint rien comme la solitude. (Bussy-Rabutin souffrit le martyre dans son délicieux château de Bussy. Comment vivre loin du Soleil.) Cette soif de reconnaissance peut prendre des formes aussi ridicules que des questions de tabouret avec Saint-Simon; mais ce ridicule est élevé par la grandeur du monarque. Mieux vaut être ridicule à Rome que respectable en province même si, à Rome, le ridicule est plus déshonorant que le déshonneur. Le classe-moyen n'a même plus de tabouret à sa disposition, seulement un Caddy. Son monarque se nomme Séguéla 1er. Plus encore qu'au travail, il s'épuise dans un inutile effort pour être reconnu. Il connaît une solitude et une séparation que ne connaissaient pas les esclaves à Rome. Ainsi vit-on sous le règne de Néron la plèbe se soulever pour obtenir la grâce de quatre cents esclaves condamnés à mort après l'assassinat de leur maître ce qui témoigne de la proximité des petites gens à Rome, plébéiens, affranchis et esclaves. De même à Athènes, l'artisan maçon travaillait à côté de ses esclaves-compagnons et pour le même salaire (Finley).

       Tout espoir n'est donc pas perdu. Les choses ne sont-elles pas censées avancer par le mauvais côté ? La ruse de la raison n'est-elle pas censée mettre nos vices au service de la vertu ? Plus vous flattez l'esclave, plus vous le rendez mécontent. Regardez ces serial killers, il leur faut de la chair fraîche. (Il ne mérite pas d'être appelé méchant celui qui n'a pas la force d'être bon !) La télévision n'est pour rien là dedans, elle ne fait que répondre à la demande comme tout ce qui existe dans le commerce. Elle la suscite en retour mais ce n'est pas la télévision qui a fait l'esclavage, c'est l'esclavage qui a fait la télévision.

       Je vous prie d'agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.

       Hegelsturmführer Voyer.

       P.-S. Depuis que j'ai écrit ces lignes, j'ai lu Le Métier de citoyen dans la Rome républicaine de Nicolet et L'Argent de Galbraith.

       Nicolet conclut, s'extasiant sur ces citoyens "égaux devant la loi": "Nous sommes tous des citoyens romains." Nous le sommes certainement plus qu'il ne le pense car quelques pages avant il constate: "Le peuple à Rome n'a jamais gouverné lui-même". Et ici donc ! _ d'ailleurs, gouverne-t-on le commerce ? Plus loin: "Reste cependant à expliquer, dans ce contexte typiquement oligarchique, comment ce peuple apparemment dessaisi de ses propres affaires a pu malgré tout continuer à participer, aussi longtemps que la République a duré, aux rites électoraux ou judiciaires qui ne semblaient concerner que la classe politique". C'est l'éternelle plaisanterie de la paille et de la poutre. N'est-ce pas ainsi aujourd'hui ? C'était donc à expliquer hier; mais ce ne l'est plus aujourd'hui. C'est donc toujours confiture pour hier, confiture pour demain et jamais confiture pour aujourd'hui. Popu ne peut même plus "si souvent, intervenir avec passion et violence pour faire sentir directement sa force" tant il est impuissant au temps de la bière pression en bouteille, des étudiants inquiets pour leur avenir (bien fait, petits salauds) et de l'individualisme de masse, si l'on excepte les routiers qui sont sympas et les agriculteurs qui ne le sont pas. (Au temps de l'individualisme de masse dix millions d'Alcibiades se pressent sur les routes chaque week-end. Les sept chars engagés aux Jeux olympiques par Alcibiade font triste figure.) Contrairement à ce que prétend feu le précieux ridicule Debord, ce sont bien des citoyens romains que l'on peut voir dans les salles de cinéma.

       Le livre de Galbraith est une histoire de la politique monétaire des États-Unis depuis leur fondation. (Les Américains ont montré que la monnaie idéale est le tabac. Elle dura deux fois plus que l'étalon or ! Elle est idéalement subdivisible, cartouches, paquets, cigarettes. Elle est très difficile à contrefaire. Quand elle se dévalue, on préfère la fumer ce qui a pour effet de rétablir son cours ! Les fumeurs remplacent la politique monétaire !) Il montre de manière frappante l'assujettissement de l'État au commerce souverain. La seule question fut, pendant deux siècles: que faire ou plutôt ne pas faire pour que le commerce c'est-à-dire les commerçants soient contents. Stendhal avait bien jugé cette nation d'épiciers malgré le fait qu'elle ait "les deux chambres".

       

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