L’anti-bloc-notes de Louis-Henri Brulard

(n° 20)

 

       À Monsieur Bernard-Henri Lévy

Paris, 10 mai 1997.

Cher Monsieur et Lévy,

       M. Rinaldi, dans L’Express, commet une erreur à votre sujet et vous décerne un éloge immérité : vous n’êtes pas cynique. C’est ce qui fait tout l’intérêt et le mystère de votre personnage. Vous croyez à ce que vous faites et dites quelle qu’en soit la nullité. Certes, vous êtes effronté et insolent, mais c’est malgré vous, vous n’assumez pas cette insolence. Elle est dans vos gènes. Il est certain que vos œuvres seraient moins puériles si vous étiez cynique car cela suppose une grande lucidité et certaines capacités. Mitterrand fut un véritable cynique. Coluche ou Desproges ont failli. Ne parlons même pas de Bedos qui met sa méchanceté intrinsèque au service de la bonne pensée. Debord n’était pas un cynique, il croyait à ses calembredaines. Même Hitler ne l’était pas, c’était un fanatique qui croyait faire le bien tandis que le cynique fait le mal consciemment et ouvertement (ce qui élimine également les tartufes). N’est pas cynique qui veut. Dernièrement, M. Baudrillard revendiqua cette qualité. La tradition nous dit que son illustre modèle brisa son écuelle qu’il trouvait encore trop luxueuse. Or M. Baudrillard n’a même pas songé à briser son collier ni sa laisse. M. Baudrillard n’est donc pas un cynique mais un chien grassement nourri par l’État français, contrairement à vous qui avez ce luxe d’être totalement libre du fait de votre fortune. Le cynisme se trouve, aujourd’hui, comme du temps de Balzac et de Marx, parmi vos amis et pairs, les Lagardère, Arnault, Pinault, bourgeois cupides et sans scrupules. Rien n’a changé depuis deux siècles. Il faut dire qu’ils ont les moyens d’ôter quiconque se placerait devant leur soleil. Quant à vous, vous êtes si peu cynique que vous voilà esclave de la gloire. Votre cas n’est pas sans rappeler celui de Debord et c’est à ce titre qu’il m’intéresse. Enfin, avant même que ne paraisse l’article de M. Rinaldi, vous prenez la mouche et lui répondez dans un hebdomadaire le jour même ou paraît cet article ce qui n’est pas là le fait d’un cynique, vous en conviendrez. Debord lui-même affectait de ricaner et de traiter par la superbe, mais il a vite cessé pour consacrer la totalité de son activité au qu’en-dira-t-on. M. Rinaldi se trompe sur le terme, vous n’êtes pas cynique, vous êtes impudent.

       Le singe Minc est-il grimpé sur la table aujourd’hui ?

       Hegelsturmführer Voyer.

       

 

M. Ripley s'amuse